DANIEL MORELON, LES DÉBUTS D’UN CHAMPION CYCLISTE OLYMPIQUE

En cet été 2020, les Jeux Olympiques devaient se dérouler à Tokyo, là où le Bressan Daniel Morelon a obtenu, en 1964, la première de ses sept médailles olympiques. Comment est-il arrivé à ce sommet ?
La réponse obtenue, nous complétons notre chronique par l’évocation de Joseph Quaissard, premier coureur professionnel de l’Ain, et de Roger Pingeon, vainqueur du Tour de France en 1967.

Un enfant de Bourg-en-Bresse

Daniel Morelon naît le 24 juillet 1944 à Bourg-en-Bresse, huitième enfant dans une famille vivant dans le quartier des Dîmes. Son enfance se déroule là, avec les garçons du voisinage, à jouer au football, au rugby ou à rien sur les espaces disponibles. Ou à aller pêcher les écrevisses dans la Reyssouze, la rivière qui traverse la ville. Après l’école primaire Charles Robin, il apprend le métier d’ajusteur à l’École Carriat. À l’époque, les jeunes rejoignent les clubs sportifs à l’adolescence et lui choisit le cyclisme, comme ses trois frères plus âgés. Dans ce quartier des Dîmes, il se forme un groupe et bien des participants, compétiteurs ou non, se souviendront "d’avoir roulé avec les Frères Morelon". Tout jeune, Daniel observe d’abord les courses de ses frères et il affirme "avoir rapidement compris comment cela se passait". Tous n’ont pas ce don d’observation et d’analyse et doivent apprendre par eux-mêmes car, en ces années 1950-1960, les clubs n’ont pas d’écoles de cyclisme. L’empirisme et la débrouille dominent.

Première course en 1959

Daniel signe sa première licence au Vélo-Club Bressan [1], dans la catégorie des cadets. Daniel participe à sa première compétition en juillet 1959, à Tournus, où de violentes crampes le contraignent à monter à pied la dernière côte et à terminer loin du vainqueur [2].
Comme ses frères courent aussi, Daniel est d’abord évoqué sous l’appellation "Morelon Jeune [3] et, rapidement, il s’illustre par ses classements. Sa première victoire à Neuville-sur-Saône et les résultats suivants lui valent d’être retenu dans l’équipe du Lyonnais pour participer au Championnat de France des cadets, le 13 septembre 1959, à Montbéliard (Doubs). Il ne figure pas dans le classement, à cause d’un saut de chaîne, dans la rampe finale vers le château [4]. Il termine encore second à la Journée cycliste du Logis-Neuf en octobre. À l’issue d’une première saison réussie, il reçoit une médaille de son club, lors de l’assemblée générale de fin octobre [5].

Articles parus dans La République Nouvelle en août et septembre 1959

Champion du Lyonnais à deux reprises

La saison 1960 débute par une victoire, en solitaire, sur le circuit des Vennes à Bourg-en-Bresse, début mars. Elle ouvre une série de douze, avec des bouquets glanés aussi à l’extérieur du département, à Tournus et Chalon-sur-Saône (avril), Thonon-les-Bains (mai), en Côte-d’Or (juillet), à Aix-les-Bains (août). Logiquement favori du championnat du Lyonnais, fin août, il est dans l’échappée finale à deux et s’empare du titre sur le circuit sélectif de 65 kilomètres de Condrieu (Rhône). Cette victoire le qualifie pour le championnat de France à Lille, disputé sous la pluie. Daniel glisse sur un rail de tramway et chute. Durant la saison, ses principaux adversaires ont été les frères jumeaux Francis et Charles Rigon, licenciés à Décines (Rhône). Nés en Italie, non encore naturalisés, ils ne participent aux championnats officiels. Ils s’entendent pour contrer le Bressan mais en juillet, dans la difficile course de Corveissiat, Daniel Morelon comprend que, tous trois échappés, la victoire est dévolue à Francis [6]. Comme il ne pourra pas répondre à toutes les attaques, il est assez cabotin pour laisser s’échapper Charles dans la dernière ascension et piéger ainsi Francis qu’il bat au sprint [7].
En 1961, Daniel court désormais avec les toutes catégories et il gagne la première course de mars devant son frère Jean-Claude [8]. Son objectif est l’épreuve régionale du "Pas Dunlop", qui se dispute le 16 avril à Ceyzériat sur un parcours revermontois [9] de 80 kilomètres. Daniel domine et contrôle la course, et gagne facilement, au sprint, devant son camarade de club Michel Bas. Tous deux sont qualifiés pour la finale nationale qui est considérée comme le véritable Championnat de France des débutants. Disputée à Toulouse le 11 mai, elle se termine par un sprint à plus de cinquante dans la rampe d’arrivée. Daniel est "dans le coup" et il est le seul à se mêler aux coureurs de l’Ile-de-France. Il se classe troisième et le vainqueur est Pierre Trentin [10], un coureur qu’il a déjà croisé et qu’il croisera tout au long de sa carrière.

A l’arrivée à Ceyzériat : Daniel Morelon, tout à droite, à ses côtés, Amédée Dubois, heureux ; tout à gauche, Michel Bas. La République Nouvelle du 17 avril 1961.

Cette médaille de bronze est le point d’orgue de sa saison 1961. Elle n’est pas saluée lors de l’assemblée générale du club et, au cours de la réunion de la délégation de l’Ain, le président régional reproche à Daniel Morelon de n’avoir pas participé au "Stage Gilette". Par ailleurs, ces articles de presse indiquent que le Vélo-Club Bressan, présidé désormais par Guy Capra, compte 54 licenciés et la délégation de l’Ain, 204 licenciés [11].

De la route à la piste, en 1962

Daniel a décidé de ne travailler que l’hiver et de se consacrer totalement à son sport durant la saison cycliste. Ses deux premières courses, à Bourg et à Tossiat, sont autant de victoires. Fin mars, il participe à l’épreuve régionale de sprint du "Kilomètre Rustines [12]" à Vaulx-en-Velin. Qualifié pour la finale nationale du 12 mai 1962 à Paris, il faut d’abord lui trouver un vélo de piste. Celui récupéré au vélodrome de la Tête d’or à Lyon fera l’affaire. Pendant que son mécanicien Amédée Dubois lui redonne un peu de fraîcheur, Daniel triomphe à Villebois puis à Louhans. Il part pour Paris rejoindre les vingt autres qualifiés, sans préparation spécifique. La découverte de la piste est douloureuse car Daniel, oubliant son pignon fixe, chute rapidement. Il poursuit néanmoins le stage, progresse et, le dimanche, il se qualifie pour la finale des deux épreuves. Il termine troisième en sprint [13], second du kilomètre, départ arrêté, et second du classement général, derrière Charruau mais devant Pierre Trentin.

La République Nouvelle du 14 mai 1962 et Le Dauphiné-Libéré du 17 mai 1962.

L’entraîneur national, Louis Gérardin, pistard des années 1930, est totalement conquis par la prestation du Bressan. Il le convoque pour des stages à Paris. Daniel répond aux invitations et continue à progresser, au point d’être sélectionné, en septembre, dans l’équipe de France des championnats du monde, organisés sur la piste de Milan (Italie). Quatre mois après avoir découvert sa nouvelle discipline ! Ses résultats sont plus qu’honorables avec une quatrième place en vitesse et une huitième en poursuite par équipe.

La rencontre de deux hommes d’exception : un sportif et un entraîneur. Ils peuvent sourire à l’avenir car l’élève sera appliqué et travailleur et le maître, exigeant.

Vers les Jeux Olympiques

Daniel Morelon a trouvé sa voie. Pour lui, Louis Gérardin a envisagé les Jeux Olympiques de Tokyo. À des qualités naturelles exceptionnelles, son nouvel élève ajoute le travail. La progression suit et, en 1963, Daniel Morelon est vainqueur du "Kilomètre Rustines", vice-champion de France de vitesse et quatrième des championnats du monde. En équipe de France, il s’initie au tandem, avec son ami Pierre Trentin. En fin d’année, il quitte Bourg-en-Bresse pour effectuer son service militaire au Bataillon de Joinville, réservé aux sportifs de haut niveau. Il quitte aussi le Vélo-Club Bressan pour l’Union Sportive de Créteil. Son club d’origine lui fait ses adieux au cours d’une réception [14].

Daniel Morelon reçoit son bouquet de vainqueur du "Kilomètre Rustines" à Paris.


Après les championnats de France, et une médaille d’argent derrière Pierre Trentin, la saison 1964 comporte deux rendez-vous importants : les championnats du monde disputés à Paris et les Jeux Olympiques. À Paris, les deux Français se retrouvent en finale. L’entraîneur national Louis Gérardin se met totalement en retrait et laisse les coureurs de l’équipe France assister les deux finalistes. Pierre Trentin s’impose en trois manches. À l’issue de ces championnats, l’hebdomadaire Miroir Sprint titre : "Pierre Trentin, le musculeux, a battu Daniel Morelon, le cérébral". Cet étonnant qualificatif démontre que Daniel Morelon dégage une aura particulière, dès le début de sa carrière.

À l’issue de la finale des Championnats du monde disputés à Paris ; Daniel Morelon (à droite) est déçu. Photo Miroir-Sprint.

À Tokyo, les deux Français se retrouvent dans le dernier carré, avec deux Italiens. Ils s’inclinent tous deux et se retrouvent pour la petite finale. Daniel Morelon prend le meilleur sur son camarade et obtient la médaille de bronze. Sa brillante carrière internationale ne sera véritablement lancée qu’avec son premier titre mondial qu’en 1967. Les victoires s’accumuleront ensuite...

Daniel Morelon (à gauche), champion du monde 1967 devant son ami Pierre Trentin ; le début d’un règne de dix ans.
En bas de l’avenue Alsace-Lorraine, la foule et les coureurs de l’Amicale cycliste de Bourg-en-Bresse escortent Daniel Morelon qui sera bientôt reçu en mairie de Bourg-en-Bresse après les Jeux Olympiques de Munich, en 1972.

COMPLÉMENTS

Joseph Quaissard, premier cycliste professionnel

Joseph Quaissard [15] est sans doute le premier coureur cycliste professionnel de l’Ain ou, au moins, de Bourg-en-Bresse où il naît le 30 août 1886, dans le quartier des Arbelles, d’un père voiturier. Concernant ses débuts, la presse locale fournit quelques informations. En 1904, il participe à un brevet militaire de 60 kilomètres à Lyon (en 2h 53mn) puis à un Bourg-Belley de 75 kilomètres (en 3h 53mn). Aux courses cyclistes de juin sur le vélodrome de Bourg-en-Bresse, il termine second de l’épreuve réservée aux départementaux, derrière Julien de Montluel et devant Mouthier de Bourg. Ensuite, il participe à l’épreuve régionale d’une course organisée par Le Journal de Paris et se qualifie, en compagnie de Victor Marmont, pour la finale nationale du 17 juillet 1904, disputée sur 80 kilomètres à Paris. Tous deux licenciés à l’Union Sportive Bressane, Marmont termine 24e et Quaissard 26e d’un classement général établi parmi 250 concurrents, répartis en quatorze courses [16]. Est-ce là qu’il découvre le cyclisme parisien ?

Au début de 1906, il est présent à Paris pour des compétitions sur les divers vélodromes. Et ses obligations (un contrat ?) ne lui laissent pas la possibilité de venir en Bresse et participer aux courses du vélodrome de Bourg [17]. En cette même année 1906, au Conseil de révision pour le service militaire, il obtient un sursis, renouvelé jusqu’en 1909. Il se déclare alors "coureur professionnel" et réside à Billancourt (Seine) depuis janvier 1908. Il effectue son service militaire à Saint-Cloud (Seine) d’octobre 1910 à septembre 1912. Sa fiche militaire n’indique pas où il choisit de résider à sa libération. À Paris ou retour en Bresse ?
À la déclaration de guerre du 2 août 1914, il est mobilisé au sein du 23e régiment d’infanterie de Bourg, engagé dans les Vosges. Il est blessé le 5 septembre 1914. "Revenu sans tarder sur le front, placé comme guetteur", il obtient la Croix de Guerre en juillet 1915 pour sa bravoure. Il passe dans l’aviation en juin 1916, obtient son brevet de pilote en octobre 1916 et il est porté "disparu" après une mission, le 15 avril 1917, à Moronvilliers (Marne). Il est déclaré "Mort pour la France" par un jugement du 23 décembre 1921. Dans les années 1930, en sa mémoire, une Journée cycliste est organisée à Saint-Étienne du-Bois [18].

La fiche militaire de Joseph Quaissard, établie en 1909, à Bourg. Il est de petite taille, 1,58 m.

1967, Roger Pingeon, vainqueur du Tour de France

En 1967, Daniel Morelon obtient son premier titre de champion du monde et le Bugiste Roger Pingeon, coureur cycliste professionnel, gagne le Tour de France et entre alors au panthéon cycliste.
Jean-François Supié lui a consacré un ouvrage, toujours disponible en librairie. Voici quelques photographies des débuts du vainqueur du Tour de France. Il est à noter que les Frères Pingeon ont côtoyé les frères Morelon dans les courses régionales, au début des années 1960.
Après ses activités de coureur cycliste et de consultant de télévision, Roger Pingeon s’est retiré en Bresse, à Beaupont, où une journée cycliste perpétue sa mémoire, fin septembre.

Chronique rédigée par Rémi Riche avec la participation de Claude Brichon (association Chroniques de Bresse), Xavier Grandmougin des Archives municipales de Bourg-en-Bresse, Fanny Venuti de la Médiathèque E. & R. Vailland et de Jean-François Supié, auteur et correspondant de presse Le Progrès].

[1Ce club est né en décembre 1958, en remplacement de lÉtoile cycliste bressane et de l’Auto-Moto-Vélo-Club de l’Ain, présidé par Félix Guerrier de Corveissiat. Le Dauphiné-Libéré du 1er décembre 1958.

[2La suite de cette chronique se base essentiellement sur les articles de la presse locale de l’époque pour rester au plus près de la réalité.

[3République Nouvelle des 28 juillet (8e à Corveissiat) et 3 août 1959 (6e à Montluel).

[4L’Est Républicain du 14 septembre 1959. Archives départementales du Doubs.

[5République Nouvelle du 26 octobre 1959. Le club a organisé 32 courses et ses licenciés ont obtenu 14 victoires.

[6Francis sera coureur professionnel dans l’équipe de Jean de Gribaldy et il terminera 54e du Tour de France 1969.

[7La République Nouvelle du 25 juillet 1960.

[8Celui-ci a alors effectué son service militaire en Algérie et, comme pour d’autres jeunes, sa carrière sportive en a été pénalisée.

[9Le parcours est publié dans La République Nouvelle du 11 avril 1961.

[10La République Nouvelle du 13 mai 1961.

[11La République Nouvelle des 30 octobre et 21 novembre 1961.

[12Dunlop et Rustines sont des marques de produits de vélo.

[13À l’époque, les finales nationales de sprint se disputent à trois, et non à deux comme actuellement.

[14Le Dauphiné-Libéré du 30 octobre 1963.

[15Son nom est parfois orthographié Quessard et c’est d’ailleurs ainsi que son père signe son acte de naissance.

[16Courrier de l’Ain des 14 mai, 1er et 7 juin, 19 juillet 1904.

[17Courrier de l’Ain du 18 mai 1906.

[18Courrier de l’Ain du 30 septembre 1934.

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