1843, la route de Bourg à Lyon devient "royale"

Il a fallu attendre une ordonnance du 11 juillet 1843 pour que le trajet le plus court entre Lyon et Bourg devienne l’itinéraire privilégié. L’histoire de cette route s’écrit en trois épisodes.

PREMIER ÉPISODE : UNE ROUTE DÉLAISSÉE

À l’origine des chemins

Lorsque les hommes préhistoriques ont éprouvé le besoin d’étendre leurs déplacements, ils ont d’abord suivi les cours d’eau pour se repérer puis ils se sont aventurés au-delà par des cols ou des passages. Le commerce, les relations de voisinage et le déplacement des troupeaux ont ainsi créé des voies de circulation, des chemins agricoles aux grandes routes permanentes. « Elles furent l’œuvre des hommes de l’âge de fer. L’existence d’un réseau de routes gauloises ne peut faire aucun doute. Il suffit, pour s’en convaincre, de lire les Commentaires de César ». Il est admis que les Ambarres, peuple gaulois, occupaient la Dombes actuelle.
Les Romains sont de grands bâtisseurs de routes pour des raisons politiques et militaires. Au confluent du Rhône et de la Saône, Lyon, parfois appelé Capitale des Gaules, reste un carrefour important pour Rome. Des historiens [1] mentionnent une voie romaine à travers la Dombes et Jules Hannezo précise que, de Lyon, « la grande voie d’Agrippa vers Besançon s’est dédoublée ultérieurement au départ de Villars. La nouvelle ligne fut ouverte probablement 200 ans après J.-C. pour réunir Lyon à Bourg et joindre cette ville naissante à la première voie sur Vesontio ; elle fut surtout commerciale et agricole [2] ».

Les voies romaines dans l’Ain, selon Jules Hannezo. Carte établie au début du XXe siècle.

Les routes romaines survivent à l’Empire jusqu’aux temps ʺbarbaresʺ où la circulation générale s’affaiblit ou disparaît. À l’apparition de la féodalité, les échanges se limitent à la seigneurie. Au XIIe siècle, la sécurité renaît et la circulation reprend avec le transport du sel, le commerce, les troupeaux ou encore les multiples pèlerinages locaux ou plus éloignés.
Peu après, le Royaume de France s’affirme, s’unifie peu à peu. Le Roi s’attache à développer l’activité générale dont bénéficie la périphérie. Bientôt il établira le service des postes, décisif pour les routes [3].

De la Dombes à la Bresse

Comme ailleurs, le territoire délimité par la Saône, le Rhône et l’Ain est partagé entre quelques seigneuries où prédomine celle de Bâgé. Un fait modifie le cours de l’histoire locale. En 1272, par le mariage de Sybille, héritière de cette seigneurie avec Amédée de Savoie, la Bresse passe sous la domination du comte de Savoie qui transfère la "capitale" de Bâgé à Bourg. Cette cité prend alors son essor économique et devient le centre d’un réseau routier en étoile.

Après une intercession en sa faveur, le Comte Aymon de Savoie crée une fondation en faveur de la Vierge de Notre-Dame de Bourg, qui attire de nombreux pèlerins. Détail du vitrail.

La Maison de Savoie étend ses territoires, annexe la sirerie de Villars en 1402 et se structure en un état centralisé. « L’acquisition de la presque totalité des pays de l’Ain par la Savoie amena la paix féodale et le retour d’un bien-être certain [4] »
Si les pays de l’Ain sont sur des voies d’échange à grande distance, leur situation se complique lors de la rivalité entre François 1er, qui a des ambitions en Italie, et Charles Quint. La Savoie est dans une position délicate et la France confisque la Dombes de 1523 à 1560, sans la réunir au royaume, et annexe la Bresse de 1536 à 1559. À cette période, Charles Estienne publie, en 1552, La guide des chemins de France mais, dans son descriptif, cet ouvrage de référence « n’indique pas de chemin pour aller à Bourg-en-Bresse [5]

Fac-similé de la carte établie en 1552 par Charles Estienne.

Finalement, à l’issue d’une occupation dévastatrice, les pays de l’Ain deviennent définitivement français en 1601, à part la principauté de Dombes. Mais le reste de la Dombes géographique est administrée par la province dite de Bresse.

Le roi Henri IV a réuni les pays de l’Ain à la France, à part la Dombes.
Les limites de la Dombes ont été définies le 15 juin 1612 et l’accord a été retranscrit sur ce registre.

Pendant tous ces siècles écoulés, Lyon a gardé son attractivité, déjà par ses foires et parce que les paroisses appartiennent à l’archevêché de Lyon. Administrativement, la Bresse est rattachée à la Bourgogne et les relations avec Dijon se font par la Saône et la route de Mâcon à Bourg, voire par Romenay ou par Pont-de-Vaux suivant la météorologie et l’état des routes.

En grisé, les territoires séparés de la Principauté de Dombes. Ceux, en blanc, sont administrés par la province de Bresse ; un terme générique repris dans le texte.
Depuis la période romaine, Lyon est un carrefour important. Les routes de poste y sont nombreuses. Celle vers Bourg quitte la route de Genève à Montluel et passe par Le Monteiller et Saint-Nizier-le-Désert, des relais de poste. Cette carte de 1632 est confirmée en 1676.

1733, le choix d’une route pour Lyon

Avant l’amélioration des routes terrestres, les cours d’eau jouent, dans la circulation des hommes et surtout dans celle des marchandises, un rôle prépondérant. En effet, sur les chemins, les charrettes, même les plus solides et les mieux attelées, transportent difficilement plus de trois mille livres (soit une tonne et demie), souvent beaucoup moins. Dans ces conditions, les prix extrêmement élevés limitent les transports [6].
Au début du XVIIIe siècle, la Régence [7] s’inquiète du mauvais état du réseau routier. En 1716, elle crée, sous l’égide du ministère des Finances, le corps des Ponts, chargé de tracer, de construire et d’entretenir les routes royales, qui, en 1728, devient le service des Ponts-et-Chaussées.
La royauté définit ensuite les routes ʺroyalesʺ à réaliser pour ses besoins militaires et charge les provinces de réaliser les sections qui les concernent. Des représentants du parlement de Bourgogne viennent en Bresse, en septembre 1732, pour une reconnaissance minutieuse des routes. Il s’agit d’établir « de nouveaux chemins pour la commodité des troupes de sa majesté, pour celle des voyageurs et commerçants et pour le bien général et particulier des habitants de la province ». Un arrêté du 27 octobre 1733 définit les trois routes à aménager : de Saint-Amour à Bourg, de Bourg à Mâcon et de Bourg à Lyon [8].
Le tracé des deux premières est établi mais, pour la troisième, « il y a deux routes qui conduisent de Lyon à Bourg, l’une par Villars, que prennent ordinairement les voyageurs, les marchands et les voituriers, l’autre, par Montluel, Meximieux, Pérouges, et Loyes, qui est celle des troupes ; la cavalerie logeant à Meximieux et l’infanterie partie à Pérouges et partie à Loyes.
La première par Villars est de dix grandes lieues, l’autre est de douze. Cependant cette dernière doit être préférée pour plusieurs raisons bien sensibles, premièrement parce qu’il n’y a aucun endroit, dans la route de Villars, où on puisse établir un logement pour les soldats, secondement, la route par Villars est encore plus mauvaise. Il faudrait une dépense immense pour la réparer, ce qu’on ne pourrait même jamais faire de manière solide à cause du grand nombre d’étangs qui se trouvent à droite et à gauche. (...) Enfin, la route que nous avons tracée est sur un terrain bon graveleux, pierreux et de bonne consistance
 [9] ».
Un document postérieur évoque un autre motif pour le choix de l’itinéraire. La route par Villars « était la plus droite, par conséquent la plus courte, mais Monsieur le Prince de Dombes, ayant sollicité le passage par les villes de Lent et Chalamont, la grande route fut établie par ces deux villes [10] ».

Les caractéristiques d’une route

De toutes les caractéristiques d’une route, développées dans le document archivé [11], seuls quelques-uns sont repris ici. En Bresse, « sur les trois routes, on ne peut se dispenser d’abandonner presque tous les chemins, parce qu’ils sont étroits, creux, remplis de détours et de continuels bourbiers. (...) On leur donnera partout quarante-deux pieds de largeur, faisant sept toises [13,46 m].
On fera des fossés de chaque côté (...), en observant les pentes nécessaires pour l’écoulement des eaux. (...) Le milieu du chemin sera empierré et engravé sur quatre toises de largeur [7,80 m] et de deux pieds et demi de hauteur [81,2 cm]. Les pierres seront arrangées à la main et les plus grosses en bas et les graviers par-dessus, faisant un bombage d’un pied [32,48 cm] dans le milieu. Le bombage sera adossé aux terres provenant de l’excavation des fossés qui lui serviront d’accotement. (...) Les neuf pieds [2,92 m] de chaque côté sont pour le passage des gens à pied et à cheval ; l’empierrement et l’engravement du milieu pour les voitures. (...) On doit bien être attentif à combler les ornières qui s’y feront pour qu’il acquière une solidité convenable.
Il sera planté des arbres à droite ou à gauche, soit tilleuls, ormes, hêtres, noyers, ou autres arbres fruitiers, le long des chemins, à cinq pieds [1,62 m] au-delà des bords des fossés et à cinq toises [9,75 m] de distance les uns des autres dans un juste alignement
 [12] »

Premier ingénieur des Ponts-et-Chaussées

Comment financer les travaux ? Les syndics de Bresse ont obtenu que « sa Majesté voulut bien, par un arrêt de son conseil du 27 octobre [1733], ordonner que, pour la construction des dits chemins, ponts et ponceaux, il serait levé une crue de six livres par minot de sel ». La crue est l’impôt sur le sel, plus connu sous le nom de gabelle [13]
La crue du sel n’est pas augmentée et la part affectée aux routes est mise en place pour neuf années à partir du 1e janvier 1738, puis renouvelée régulièrement jusqu’en 1790 [14].
En 1738, le Royaume instaure la corvée qui oblige les paysans à fournir des journées de travail et, éventuellement, une voiture attelée. Alors que les travaux ont été commencés mais, pour mieux les coordonner, « sa Majesté a cru nécessaire d’établir un ingénieur qui serait chargé de la direction des travaux de main d’œuvre et de corvée. Aussi Jean-Baptiste de Saint-André est-il nommé, par l’arrêté du 10 mars 1746, pour « régler les travaux qui seront faits par corvées, assister à la passation des marchés et à l’adjudication des ouvrages et en délivrer les certificats et procès-verbaux de réception, dans les « pays de Bresse, Bugey et Gex ». Ces routes contribueront au commerce et au débouché de leurs denrées avec les régions limitrophes de la Bourgogne, le Lyonnais et la Franche-Comté [15] ».

L’accès à Lyon

De la Bresse [16], l’accès à Lyon se fait par le faubourg de la Croix-Rousse. Comme la montée Saint-Sébastien est trop raide, la ville de Lyon est intéressée par « un projet aussi utile que celui de [se] procurer une entrée par le bastion de Saint-Clair ». Pour cela, un traité est signé, le 5 mai 1746 entre le Consulat de la ville et les États de Bresse. Les travaux ne sont pas encore entrepris que les prévôts et marchands de Lyon reviennent sur leur position et « s’opposent de tout leur pouvoir à l’exécution du projet du chemin et demandent que la route de Lyon en Bresse, par le faubourg de Croix-Rousse soit conservée, réparée et perfectionnée. (...) Enfin, après bien des écritures, des démarches, des sollicitations, des vérifications, des conférences », ils acceptent, le 24 avril 1769, que le traité de 1746 soit exécuté.
Déjà, par « une délibération du 14 août 1768, les syndics des trois ordres de Bresse [ont offert] une somme de 15 000 livres pour contribuer aux frais d’ouverture et de construction, pour une route d’au moins de 35 pieds en largeur [11,35 m environ] ». Le 5 octobre 1768, ils ont ajouté 3 000 livres pour que la largeur soit portée à 40 pieds (13 m environ). Un rapport d’ingénieur du 29 août 1770 indique que les travaux pour « le nouveau chemin ouvert au bord du Rhône depuis le château de la Pape jusqu’au bastion de Saint-Clair sont en bon train [17] ».

Carte de 1754 indiquant l’état des routes : en noir, les routes ouvertes ; en rouge, en construction ; en jaune, projetées. Villars serait alors desservi par les routes de Bourg à Lyon et de Montluel à Châtillon.

Des corvées difficiles à assumer

L’établissement des routes est assuré en partie par les gens du peuple. « Le travail des corvées sera employé dans tous les ouvrages qui en seront susceptibles comme remuement de terre, transport de pierres, sables, et construction de chaussées d’empierrement, cailloutis, pierrailles ou graviers ; les dites corvées seront en outre chargées de l’entretien de ce chemin ». Chaque communauté se voit affecter une section de route en fonction de son importance en habitants, animaux de trait et voitures.
Les corvées prennent en compte les travaux agricoles mais elles sont impopulaires car des catégories d’habitants y échappent. Elles restent aux paysans des campagnes et la communautés de La Boisse décrit la position face aux corvées : « il n’est pas possible que les habitants puissent faire actuellement leurs corvées sans abandonner le travail des vignes et la culture des terres pour semer les avoines, les orges, les millets, les bleds de Turquie [maïs], les chanvres et les blés noirs, ce qui fait la principale récolte et les mettrait absolument hors d’état de payer les charges royales, surtout dans une année où ils sont quasi réduits à la dernière misère par les mauvaises récoltes et les surcharges qu’ils ont été obligés de payer depuis plusieurs années (…)
Pour peu qu’on fasse attention qu’il faut trois heures et demie ou quatre heures aux habitants de La Boisse pour se rendre sur la partie du chemin qui est à leur charge que, peu accoutumés à la marche, ils sont fatigués lorsqu’ils arrivent et qu’ils sont obligés de quitter le travail de très bonne heure pour pouvoir se rendre chez eux avant la nuit. Malgré toute leur bonne volonté, le travail de chaque jour ne peut faire tout au plus que le tiers d’une bonne journée. (…) On ne parle point des souliers qu’usent les corvéables et du temps qu’ils perdent, lorsqu’arrivés au chemin, le mauvais temps les oblige de s’en retourner sans rien faire
 ».
Face aux multiples difficultés, un arrêté gouvernemental du 25 septembre 1770 permet que « les corvées en nature soient supprimées et que l’entretien des routes soit délivré à prix d’argent ». Un débat s’engage en Bresse car toutes les communautés ne sont pas dans la même situation face à leurs obligations et « l’égalité serait blessée, les communautés négligentes ou désobéissantes retireraient un profit de leur faute ». Les corvées sont néanmoins supprimées par une ordonnance du 24 septembre 1771 [18].

Pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle, les travaux d’entretien des routes se poursuivent.

DEUXIÈME PARTIE : UNE ROUTE REVENDIQUÉE

Le réseau se développe

Au moment de la suppression des corvées, la principauté de Dombes est réintégrée au Royaume de France depuis 1762. Il est alors décidé, en 1771, que la route la plus urgente à réaliser est celle de Châtillon à Trévoux pour relier Trévoux à Bourg. « Quant aux autres chemins, ils ne méritent aucune attention et sont plutôt des sentiers que des chemins [19]] ». Ainsi la Dombes ʺcentraleʺ se trouve-t-elle dépourvue de route.
D’autres sont pourtant aménagées entre Pont-de-Vaux à Châtillon par Bâgé et Pont-de-Veyle, de Bourg à Nantua par Serrières, de Bourg à Thoirette, de Bourg à Chalon par Romenay ou encore de Saint-Trivier à Pont-de-Vaux. Les ponts de Neuville et de Chazey sont aussi édifiés. À la veille de la Révolution, alors que les physiocrates (des philosophes économistes) affirment que les échanges créent la richesse, la province de Bresse est dotée d’un réel réseau, même si toutes les routes ne sont sans doute pas uniformément ni complètement aménagées.

Une première pétition pour une route par Villars

La Dombes a été délaissée mais la route de Lyon à Bourg par Villars fait l’objet d’une pétition, que le ministère reçoit le 6 septembre 1786 [20]. Les riverains affirment que l’absence de route « occasionne à tous les villages des pertes inappréciables. La stérilité du sol de cette partie de la Bresse, la difficulté de se procurer des engrais, ne permettent aux habitants de se livrer spécialement à la culture des grains, trop dispendieuse en égard à son produit. Le propriétaire a cherché à tirer un meilleur parti de son fond en y faisant des étangs ». Ceux-ci sont néanmoins utiles à l’agriculture car leur mise en eau, pendant plusieurs années de suite, améliore leur sol. Ils s’ensemencent alors avec moins de labeur et donnent d’assez bonnes récoltes, malgré l’absence d’engrais.
La production de poisson serait plus profitable, « si cette denrée, si susceptible d’altération, pouvait se voiturer fraîche. Le débit s’en fait à Lyon en hiver et au commencement du printemps, précisément [au moment où] toutes les communications se trouvent fermées ou, du moins, les charrois sont si peu praticables ». La dépense est double et le poisson, conduit sans eau et resté plus longtemps sur la route, arrive à Lyon « mort ou mal frais, ne se vend peu, ou du moins se donne à vil prix », comme en 1784. Lorsque la Saône est prise par les glaces hivernales fréquentes, la Dombes pourrait fournir des denrées et le bois de chauffage. En outre, « le marché de Bourg devenant de jour en jour plus fréquenté, la partie de la Bresse dont nous parlons [la Dombes] pourrait y trouver le débouché de ses grains ».
« Si la route qu’on propose est d’une utilité si réelle, sa confection est en même temps de la plus grande facilité. (…) Un objet très dispendieux serait les ponts à faire sur cette route, il s’y en trouve huit. (…) Le plus considérable de tous est celui de la Veyle. On serait, pour le faire, obligé de faire venir de la pierre de Bourg ; ce qui serait coûteux »
Les communautés riveraines peuvent-elles financer cette route ? « Il est de fait que la partie de la Bresse voisine de ce chemin est en même temps la plus stérile, la plus malsaine et, par conséquent, la moins peuplée. Les fonds sont divisés en grandes fermes, qui ne voient jamais le propriétaire. Il y a, à peine, dans chacune des communautés un ou deux ou trois habitants dont les propriétés ont quelque valeur. Le reste consiste en métayers, locataires et journaliers qui changent souvent de domicile. On ne peut, sans injustice, charger ces gens de la confection d’un chemin qui, au bout de l’année, peut leur devenir tout à fait inutile. (…)
Villars, le centre de cette route, qui, avant la nouvelle pratiquée par Meximieux, était peuplée d’habitants riches, est à présent la retraite des salariés les plus misérables du canton (…) On peut en dire autant des autres communautés qui se trouvent sur cette route. Il est d’ailleurs naturel que ces communautés, qui ont contribué et qui contribuent encore à la confection des autres grandes routes de la Bresse et à leur entretien, soient secourues par la province
 [21] ».

En Dombes, le poisson était traditionnellement transporté dans des tonnelets. Photographie du XXe siècle.

Une deuxième pétition

Le 6 juin 1790, la commune de Villars se réunit en assemblée dans la maison presbytérale pour rédiger une nouvelle pétition qui reprend le même titre, « Mémoire sur le rétablissement de l’ancienne route de Bourg-en-Bresse à Lyon passant par Villars », et les mêmes arguments. Les détails de sa construction sont davantage précisés et il est souhaité que les municipalités se rassemblent « pour examiner conjointement les moyens les plus efficaces qui assureront le prompt succès de cette entreprise et il serait de nécessité préliminaire de charger un ingénieur ou expert géomètre, intelligent et honnête » des études et de la direction des travaux [22].
La pétition est rédigée après les événements de 1789. Les communes ont été instituées depuis décembre 1789 et le département de l’Ain a été créé depuis environ quatre mois. Le mémoire en tient compte en précisant que la route faciliterait aussi les échanges de produits entre les différentes régions de l’Ain. Par exemple, la Dombes fournirait du poisson, parfois des céréales, au Bugey qui lui expédierait du vin, de la pierre et des bois de sapin dont elle a besoin.
L’assemblée de Villars estime à 120 000 livres le coût global du « rétablissement de l’ancienne route de Bourg-en-Bresse à Lyon, passant par Villars ».
La Révolution se poursuit et ne permet pas la réalisation de ce projet d’autant plus que la crue du sel est supprimée. Elle produisait, « en année commune, 227 000 livres, soit 144 000 pour la Bresse et la Dombes, 63 000 pour le Bugey et 20 000 pour le Pays-de-Gex [23] ». L’Assemblée nationale n’accorde plus que 80 000 livres à chaque département.

TROISIÈME PARTIE : LA ROUTE EST RÉALISÉE

De l’Empire au retour de la Royauté

Au moment où survient la Révolution, Bourg est le point de départ ou de convergence de grandes routes. Ces routes de France sont une référence pour les autres pays mais elles sont fragiles et exigent un entretien régulier que les troubles de la Révolution ne permettent pas. Et c’est l’ensemble du réseau routier qui se dégrade rapidement et fortement, même s’il reste une préoccupation pour les gouvernements successifs.
L’Empire se préoccupe du réseau routier et le réorganise par un décret du 16 décembre 1811, «  relatif à l’entretien, réparation et construction des routes de l’Empire ; [il] prescrit qu’il soit fait, par département, une division en cantons des routes tant impériales que départementales [24] ». Le service des Ponts-et-Chaussées est restructuré et une numérotation des routes est adoptée pour la première fois en France. Ce nouveau dispositif répond aux nécessités d’un pouvoir centralisé étendu à 130 départements et surtout aux priorités militaires de Napoléon, avec les routes impériales de première et deuxième classes. Les liaisons interurbaines sont assurées par des routes de troisième classe, dont l’entretien est assuré par les départements. Aussi la route de Strasbourg à Lyon par Saint-Amour, Bourg et Chalamont devient-elle la Route impériale n°101.

Sous l’Empire, avant 1811, la route Strasbourg-Lyon était la route impériale n°86.

L’Empire se perd dans les guerres de conquête et laisse une France exsangue et occupée à deux reprises par les Autrichiens. La Royauté restaurée maintient le service des Ponts-de-Chaussées et la numérotation antérieure, les routes impériales devenant des routes royales.
Dans l’Ain, les archives sont peu fournies pour le début du XIXe siècle. L’Annuaire de l’Ain de 1818 indique que l’Ain compte une route royale de 1e catégorie, cinq de 3e, dont la n°101 de Strasbourg à Lyon par Bourg et Chalamont. Les quinze routes départementales ont aussi été numérotées et la n°3 va de Bourg à Lyon par Châtillon-les-Dombes et Trévoux. Villars est en dehors de ces réseaux.
La cité apparaît en 1822 lorsqu’une seizième route départementale est aménagée entre Chalamont et Trévoux, sous le numéro 12. Le développement des routes se poursuit et, en 1825, la 19e siècle est celle de Bourg à Lyon par Villars. Chaque année, le département finance la réfection des ponts et du chemin.
En réalité, le Conseil Général de l’Ain a consenti, dans sa session de 1823, « à accorder des secours pour l’ouverture des quatre nouvelles routes de la Dombes » de Bourg à Lyon, de Chalamont à Trévoux, de Pont-d’Ain à Thoissey et de Gévrieux à Châtillon. L’aide a été conditionnelle : les matériaux étaient transportés aux frais des communes et, pour les ouvrages d’art, l’aide était proportionnelle aux sommes obtenues par des souscriptions volontaires [25].
La Royauté a revu la numérotation des routes royales en 1824, pour tenir compte d’un territoire moins étendu que sous l’Empire. La route de Strasbourg à Lyon est devenue la Route Royale n°83.

Carte routière publiée en 1842, montrant une situation antérieure où Villars n’est pas encore desservi.

Le mirage d’un chemin de fer

En 1832, MM. Mellet et Henry, directeurs du chemin de fer de la Loire, présentent un projet alternatif à la route ou à un éventuel canal. Au printemps de 1832, ils proposent d’établir une ligne ferroviaire de Bourg à Lyon par Villars, ou plutôt un chemin de rails. « Un chemin de fer qui, ouvrant une voie sûre et rapide aux voyageurs et aux marchandises, assurerait la prospérité du pays et contribuerait même essentiellement à l’amélioration sanitaire. Le chemin, mis en projet, tendrait de Bourg à Lyon par Péronnas, Saint-André-le-Panoux, Servas, Saint-Paul-de-Varax, Saint-Germain-de-Renom, Marlieux, Beaumont, Le Plantay, Villars, Birieux, Saint-Marcel, Saint-André-de-Corcy, Mionnay, Neuville, Fontaine, Sathonay, Rillieux et Caluire, et exercerait une grande influence sur la prospérité des communes limitrophes du parcours. (…)
Parcourons le pays dans l’état où il est maintenant ! Nous remarquerons partout une population languissante, une culture pour ainsi dire abandonnée, de grandes contenances en friche, une propriété nulle, et ceci à la porte de la seconde ville du Royaume.
Qu’on déroule maintenant l’immense tableau de propriété résultant de l’établissement d’un chemin de fer qui permettrait de transporter, en deux ou trois heures à Lyon, à des frais très modiques, les voyageurs et tous les produits du pays.
On verra la prospérité s’accroître avec rapidité, une riche culture se développer, tous les produits s’utiliser, des usines et des manufactures s’élever sur les cours d’eau comme annexes aux établissements de Lyon
 ».
Ces propos sont extraits d’une circulaire que les directeurs adressent aux propriétaires et habitants. En effet, « la confection du chemin dépendra des dons volontaires des propriétaires, soit en concession des terrains traversés par le chemin, soit en sommes qui devront s’élever au moins à 200 000 francs [26]. ».
Le projet est étudié par une commission jusqu’en 1836 mais il n’a pas de suite, presque logiquement, car une région faible économiquement ne peut fournir nombre d’investisseurs.

La traction hippomobile était utilisée pour les premiers chemins de fer. Elle est encore envisagée en 1836 pour l’éventuelle ligne de Lyon à Bourg.

Une route améliorée et "royale"

Sur la route de Bourg à Lyon, les travaux se poursuivent au fil des années. Au début de l’année 1840, on annonce la prochaine mise en place d’une voiture publique, le Conseil général de l’Ain demande la mise en place de relais de poste puis l’installation d’une brigade de gendarmerie à Villars.

Le même Conseil « appuie le projet de rectification de la route royale n°83, par déviation sur le chemin de grande communication n°4, de Bourg à Lyon par Villars, en offrant de prendre à sa charge, comme route départementale, la partie de la route ainsi abandonnée de Meximieux à Monternod », Monternod étant le hameau de Péronnas où les deux itinéraires ont leur origine.
En février 1841, l’enquête publique est lancée et, à l’issue de celle-ci, « la commission a émis l’avis le plus favorable sur l’utilité publique de cette entreprise, qui transformera cette ancienne route de la Dombes en route royale. (…) La commission a surtout été guidée par ce principe que la ligne la plus courte est toujours préférable, principe qu’il faut bien se décider à accepter si l’on veut suffire aux relations de commerce et d’affaire, où la promptitude est tout [27] ». Quelques jours plus tard, l’administration des postes confirme la nouvelle ligne postale avec des relais placés à Vancia, Saint-André-de-Corcy, Villars et Saint-Paul-de-Varax.
En avril 1842, le Conseil Général réitère son vœu pour que cet itinéraire soit la route royale n°83. L’administration de la guerre le classe déjà comme route militaire, en juin 1842, avec un gîte intermédiaire à Villars pour les militaires isolés ou les détachements ne dépassant pas 150 hommes et 50 chevaux.
L’ordonnance royale attendue est signée le 11 juillet 1843 précisant que « il sera procédé à la rectification de la route royale n°83 de Lyon à Strasbourg, dans le département de l’Ain, entre La Pape et Monternod. (…) La portion de l’ancienne route abandonnée, entre Meximieux et Monternod, est classée au nombre des routes départementales de l’Ain [28] ».

Carte des relais de postes de 1842, avec la desserte de Bourg à Lyon.
Les partisans du maintien de la route par Chalamont publient ce mémoire de 44 pages en novembre 1841. Ils demandent un réexamen du dossier pour des "questions d’art et d’économie politique".

D’autres travaux d’amélioration

L’établissement de la route de Bourg à Lyon se fait comme les grandes routes de 1728. Les nombreux croquis montrent que le principe d’alors, « on ne peut se dispenser d’abandonner presque tous les chemins », est aussi valable en Dombes.
Après le classement de la route, des travaux d’amélioration sont entrepris et la plupart des villages traversés font l’objet d’une déviation ou d’un contournement. La commune de Marlieux s’estime lésée car elle avait souscrit à la condition que la route passe par le centre-village. La rectification l’évite complètement.

Cet extrait de plan, de janvier 1841, montre la rectification des chemins ruraux en une future "Route Royale" de Bourg à Lyon.
La rectification de la montée de la Frétaz avec le pont sur la Veyle. Plan signé le 18 novembre 1846.
Le contournement de Saint-Paul-de-Varax. Plan signé le 5 août 1846.
La déviation de Villars-les-Dombes.
La plupart des dossiers de travaux, de 1844 à 1848, sont contresignés par le père du peintre Gustave Doré.
La carte de la Dombes en 1853 avec ses deux mille étangs. Le chemin de fer concédé pour supprimer six mille hectares d’étangs est inauguré le 25 août 1866.

Rémi Riche

Avril 2023

Avec la participation de Claude Brichon, Martine Cividin, Jacqueline Cordier, Édith et Lucien Ducolomb, Gyliane Millet, Pierre Pagneux (†).
Archives départementales de l’Ain.
Bibliothèque Municipale de Lyon-Part-Dieu.
Médiathèque Chalucet de Toulon.

Bibliographie simplifiée
CATTIN Paul et GERLIER Jean-Marc (sous la direction de), Bourg-en-Bresse, une épopée humaine et urbaine. Éditions Cleyriane. 2018.
Collectif. Histoire de l’Ain. Éditions Horvath. Écully. 1989. (La carte du chapitre IV du Livre III est incorrecte).
CAVAILLÈS Henri. La route française, son histoire, sa fonction. Librairie Armand Colin. Paris. 1946.
GUICHARD Paul, Connaissance des Pays de l’Ain. Éditions de Trévoux. 1965.

[1Notamment Raymond Chevallier dans Les voies romaines,1997. Raymond Chevallier (1929-2004), originaire de Belmont (Ain).

[2Les voies antiques et romaines dans les bulletins de la Société des Naturalistes et Archéologues de l’Ain. 1912-1917.

[3Citation et informations extraites de l’ouvrage d’Henri Cavaillès. Voir Bibliographie.

[4Paul Cattin dans L’hégémonie savoyarde, livre II de Histoire de l’Ain. Horvath.

[5Réédition critique par Jean Bonnerot. 1935. Il est vrai qu’à cette période, la Bresse est savoyarde.

[6D’après Henri Cavaillès.

[7Période correspondant à la minorité de Louis XV (1715-1723) et durant laquelle Philippe II, duc d’Orléans (le Régent), exerça le pouvoir.

[8Une quatrième, entre Bourg et Pont-d’Ain, est ajoutée le 18 septembre 1738.

[9A.D. Ain. C 1105.

[10Mémoire du 24 décembre 1763. A.D. Ain. C 1043.

[11A.D. Ain. C 1105.

[12A.D. Ain. C1105.

[13Le minot de sel correspond à quatre boisseaux d’environ treize litres actuels et la livre est la monnaie de référence de l’époque.

[14A.D. Ain. C 1106 et C 1107. La crue du sel est différente en Bugey

[15A.D. Ain. C 1106.

[16Il s’agit de la Bresse administrative qui comprend les régions naturelles de Dombes et Bresse.

[17Citations et informations extraites des dossiers C1043 et C1044 des A.D. Ain.

[18Citations et informations extraites du dossier C 1106 des A.D. Ain.

[19A.D. Ain. C 628.

[20Le document du dossier C 1044 des A.D. Ain n’est pas daté ni signé.

[21Mémoire inclus dans le dossier C 1044 des A.D. Ain.

[22A.D. Ain. 2L238.

[23Adresse aux comités d’imposition du 26 novembre 1790. A.D. Ain. 2L236.

[24A.D. Ain. 2S6.

[25Journal de l’Ain du 30 septembre 1835.

[26Journal de l’Ain du 16 mai 1832.

[27Journal de l’Ain des 31 août 1840 et 23 mars 1841. Le procès-verbal complet de la commission d’enquête est publié dans le Journal de l’Ain du 26 mars 1841.

[28Journal de l’Ain du 1er aout 1843.

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