L’inondation de 1935 à Bourg et dans les environs
Des régions de France ont connu récemment des inondations. Si la Bresse a été épargnée, cela n’a pas été toujours le cas. L’acquisition de photographies originales, bien loin de la Bresse, à Nantes, nous permet d’évoquer l’inondation d’octobre 1935, à Bourg-en-Bresse.
Une nuit d’épouvante
Après la guerre de 1914 à 1918, la Bresse subit une série d’inondations, aussi destructrices les unes que les autres, en octobre 1923, mai 1926, mars 1928, en mars 1933 puis en octobre 1935. Le Courrier de l’Ain du samedi 5 octobre 1935, la décrit, en direct.
« Jamais encore on n’avait vu, à Bourg, un temps comparable à celui que nous avons depuis jeudi soir. Ce qui rend extraordinaire l’orage qui a éclaté hier soir, c’est sa durée. Toute la nuit, sans interruption, et encore ce matin, le tonnerre n’a cessé de gronder pendant que tombait une pluie diluvienne. On a déjà vu aussi violent, mais jamais aussi longtemps.
Dès cette nuit, dans la plupart de nos vieilles maisons, les locataires durent s’employer à arrêter l’eau qui pénétrait partout, poussée par le vent. Mais ce n’était, hélas, pour les quartiers bas, qu’un petit commencement du désastre.
La pluie tombant en trombe sans arrêt eut vite fait de recouvrir tous les terrains voisins de la Reyssouze pendant que, dans les parties basses de la ville, les égouts étaient impuissants à évacuer l’eau et que des torrents commençaient à s’engouffrer dans de nombreuses caves.
La Reyssouze, et tous les biefs voisins, ne tardaient pas à déborder. Avant le lever du jour, l’alerte était donnée et le maire, M. Alphonse Dupont, commençait à envisager les mesures à prendre.
Premières mesures
Dès le commencement de la matinée, tout le quartier des Quatre-Vents était dans l’eau et toutes routes coupées. Les chevaux, eux-mêmes, ne pouvaient passer ! Et tout faisait déjà prévoir que la situation irait en empirant. En effet, durant toute la matinée, l’eau n’a cessé de monter et il fallait bientôt songer au sauvetage des habitants, bloqués dans leurs maisons.
Le maire fit chercher des barques ; ce qui n’est pas chose très courante à Bourg. Difficilement, on en trouva deux. En même temps, M. Alphonse Dupont demandait l’aide de la troupe. Tout de suite, on vit que les dégâts seraient très importants, puisque toutes les maisons du bas de la ville étaient dans l’eau. (…)
L’inondation ne cesse de s’étendre et le spectacle est désolant. Malheureusement, en voyant cette masse d’eau, on comprend que tous les efforts sont impuissants et que le seul remède est de fuir !
Toutes les prairies, en aval de Bourg, étant dans l’eau, l’écoulement se fait d’autant plus lentement et d’autant plus difficilement que la pente est nulle. Les inondations d’aval causent un refoulement, alors qu’il faudrait que l’eau puisse s’écouler librement. Contre cette situation, il n’y a malheureusement rien à faire. (…) Quelle que soit la gravité de l’inondation d’aujourd’hui, il semble difficile qu’elle puisse atteindre les proportions de celles, si souvent signalées dans diverses régions. Fort heureusement, nous n’en sommes pas à voir les habitants, obligés de se réfugier sur les toits des maisons, comme cela s’est vu ailleurs.
Et cependant, la pluie tombe toujours, pendant que les habitants de la partie basse de notre ville se demandent anxieusement comment ils passeront la nuit prochaine. À la mairie, on s’efforce de prévoir le pire et de prendre toutes les dispositions pour secourir nos concitoyens victimes de ce véritable cataclysme. »
Un autre compte rendu
Le Journal de l’Ain publie aussi sa version, simultanément, dès le samedi 5 octobre. « Hier, à la suite d’une brusque baisse de pression atmosphérique, le baromètre marquait 745 et laissait présager un orage proche. L’orage est venu, en effet, mais avec une violence et d’une durée que, de mémoire d’homme, les vieux Bressans ne se souviennent pas d’avoir vu pareil déluge, accompagné de coups de tonnerre qui durèrent près de douze heures sans arrêt.
L’orage se déclencha vers 20h30. Le ciel était tout illuminé et, bientôt, une véritable cataracte, que le vent emportait en paquets, déferla sur la ville et les environs. Les bouches d’égout n’arrivaient pas à assurer l’évacuation des eaux qui recouvrirent rapidement les chaussées. Au bout d’une heure, la violence de la pluie et du vent diminua mais, à chaque coup de tonnerre, il semblait qu’on eût donné le signal d’ouverture de nouvelles cataractes.
Au Pont des Chèvres, à la sortie des égouts, la Reyssouze, si pacifique d’ordinaire, était devenue, en peu de temps, un véritable torrent qui grondait et annonçait fatalement une inondation proche. De fait, dès les premières heures de la matinée, la plaine de Majornas n’était plus qu’un immense lac. Heureusement, dans ce quartier où l’on est habitué aux inondations, les précautions nécessaires furent prises immédiatement, tant dans les fermes que dans le moulin voisin, les marchandises, le bétail et la gent de la basse-cour purent être mis en sécurité.
Le flot dévastateur ne devait pas limiter ses ravages aux très bas quartiers de la ville. La Reyssouze, quittant son lit qui manque de profondeur, inonda sans tarder les quartiers de Loëze, des Dîmes, des Quatre-Vents et du Champ de foire. »
Actions de solidarité
Quelques commentaires sont ajoutés. « Le flot boueux gagna les rez-de-chaussée de toutes les maisons des quartiers où il atteignit bientôt la hauteur des tables, la dépassant même, parfois. (…) C’est au ravitaillement que s’employèrent de courageux citoyens, qui avec de longues bottes, qui en caleçons de bains dans lesquels ils grelottaient, et en quelques heures, plusieurs familles avaient pu recevoir l’indispensable d’un repas qui sera bien maigre aujourd’hui. (…)
La Reyssouze charrie des rondins et quantités de poules et de lapins que l’inondation a surpris et a emportés.
La municipalité s’emploie activement à faire tout ce qui est possible pour hâter le sauvetage des gens et des meubles. La police assure un service d’ordre difficile, aidée par le 5e R.T.M. [Régiment de tirailleurs marocains]. La circulation des voitures est interdite à partir du carrefour de Brou. (…) Il y a eu, à Bourg, de nombreuses perturbations dans le service téléphonique. Malgré la pluie, les agents des P.T.T. s’emploient, dès ce matin, de leur mieux à réparer les nombreux dérangements. »
Le centre-ville est aussi inondé. « On ne compte pas les dégâts causés par la trombe d’eau qui s’est abattue vers 21 heures. Les caves inondées sont innombrables. Dans plusieurs banques, dans un bazar, chez des marchands de meubles, l’eau a atteint 40 centimètres dans les caves ou les sous-sols. Heureusement, les coffres forts des banques sont parfaitement étanches et leur contenu n’a subi aucun dégât. »
Enfin, « au moment où nous mettons sous presse, l’inondation croît de plus belle. Le boulevard des Belges est coupé, ainsi que la route de Pont-d’Ain, aux Grandes-Baraques. Les pompiers, qui se dépensent sans compter, ont mis toutes leurs machines en service et sont demandés de toutes parts. »
Des dégâts, aux alentours
« Dans toute la région, les nouvelles qui arrivent signalent les dégâts causés par l’orage et des inondations. À Viriat, la foudre est tombée sur le bureau de poste, commotionnant le receveur et détériorant le matériel télégraphique et téléphonique. Partout, des arbres ont été renversés par le vent. Des arbres déracinés ont barré la route de Lyon, la route de Mâcon, etc. Les champs sont transformés en marécages et toutes les prairies basses sont dans l’eau.
À Pont-d’Ain, on n’a pas vu un débordement de la rivière d’Ain pareil à celui qui vient de se produire. Subitement, les eaux ont déferlé en trombe. Le niveau de l’Ain, vers les sept heures, n’avait rien d’anormal. En moins d’une heure, dans la matinée, c’est de plus d’un mètre que le niveau s’est élevé. Le flot emporta et balaya tout devant lui. Vers Neuville-sur-Ain, des bachuts (casiers), pleins de poissons, ont été emportés. »
Des informations complémentaires sont délivrées le dimanche. « À la suite de la poussée des eaux, le pont sur la Veyle, à Saint-Rémy, s’est écroulé, creusant un trou béant dans la route et laissant juste le passage suffisant pour une voiture. Les rails du tram sont suspendus dans le vide et les automotrices n’ont pu circuler ce matin. Un service de pilotage est organisé, par car, entre Bourg et Corgenon, devenu pour quelques jours gare terminus. Une équipe de cantonniers spécialisés a commencé, dès ce matin, des travaux de consolidation, en attendant la reconstruction du pont qui semble inévitable. (…)
[Le samedi, à Bourg], à 15 heures, l’arche du pont de la Reyssouze avait disparu et l’eau se répandait sur le quai. Derrière le moulin de la Halle, l’allée de Challes était barrée et l’eau s’en allait se déverser sur le Champ de foire. (…) Après ce dernier envahissement, le flot resta étale pendant quelques heures et, la cessation de la pluie aidant, commença à se retirer vers les premières heures de la matinée » du dimanche.
Les photos originelles
Acquises à Nantes, ces photographies ont été offertes aux Archives municipales de Bourg-en-Bresse.
Sur l’ensemble du département
L’inondation a suscité beaucoup d’émoi dans la ville où des rumeurs ont circulé comme celle de l’effondrement du pont en pierre de Neuville-sur-Ain. Des nouvelles arrivent des environs où on n’évoque pas des débordements de rivières « mais d’une nappe d’eau venant directement du ciel et recouvrant tout ». Ce ne sont que villages envahis par l’eau, routes coupées, communications interrompues et vastes étangs subitement formés. De l’Ain aux départements voisins, le même spectacle, totalement inattendu, s’est imposé et la région lyonnaise déplore même des morts.
Le Journal de l’Ain publie quelques échos. À Jujurieux, « depuis jeudi soir, un orage d’une violence inouïe s’est abattu sur notre région, une pluie diluvienne, accompagnée de grêle, n’a cessé de tomber toute la nuit et toute la journée, les rivières sortent de leur lit, inondent les villages riverains. La plaine entre Jujurieux et Pont-d’Ain n’est plus qu’un vaste lac. L’Oiselon, rivière de la vallée de l’Abergement-de-Varey, a subi une crue comme on n’en a jamais vu de mémoire d’homme ; la route n’est plus qu’un torrent fougueux. (…) Les vendanges sont à peine commencées et les vignerons se demandent avec inquiétude quand ils pourront ramasser leur récolte déjà fort compromise. »
Le niveau de la rivière d’Ain s’est élevé de 15 centimètres par heure et, sur la rive gauche, seules émergent la tête des saules et des autres arbres. « Le Suran a subi une crue plus forte que l’Ain et la vallée qu’il traverse est entièrement submergée par les eaux » et, là, peu après, deux ponts sont emportés.
À Chevignat, village du Revermont, « un éboulement s’est produit sur la voie du T.A. [Tramway de l’Ain] Le premier train du matin put passer sans encombre. Le train de 9 heures, descendant sur Moulin-des-Ponts, ne put passer, les remblais étant éboulés sur une longueur de 12 mètres. »
À Viriat, « la plus forte baisse barométrique jamais constatée a déclenché une véritable tornade. Dans la nuit du 3, la foudre est tombée sur le réseau électrique sans faire de gros dégâts. Il n’en fut pas de même au central téléphonique où une décharge atmosphérique arracha l’installation, ainsi que chez les proches abonnés. Les communications sont interrompues. Une forte et rapide crue obligea, dès le petit jour, les meuniers de la Reyssouze à évacuer leur bétail et à s’installer dans les greniers. Plusieurs se préparèrent à faire face au siège des eaux, qui peut durer plusieurs jours, et vinrent s’approvisionner en vivres, pendant qu’ils n’étaient pas complètement isolés dans leurs moulins. »
La Saône, déjà haute, « a eu une crue d’une rapidité exceptionnelle : 8 centimètres à l’heure en face de Thoissey, 6 centimètres en face de Saint-Laurent-lès-Mâcon. La montée, en 24 heures, a atteint 1,72 mètre. De Feillens à Montmerle, les prairies sont couvertes d’une eau charriant arbres et débris. »
À Beaupont, « des sauvetages par barque » ont été organisés aux moulins Jailler et Litrat. Un remblai de route a été coupé pour favoriser l’écoulement des eaux.
Dans la région de Meximieux, « les étangs ont vu leur niveau s’élever au maximum et plusieurs d’entre eux ont vu leurs vannes céder à la puissance des eaux » qui, par le déversoir et les ruisseaux, ont rejoint la rivière d’Ain. Des poissons ont ainsi été versés dans cette rivière, « dont une importante quantité de poissons-chats, qui ne sont pas précisément très prisés des pêcheurs. »
L’après-inondation
Par la presse, le Docteur Poncet, inspecteur départemental d’hygiène, publie « les précautions à prendre dans les régions ou quartiers inondés ». Il faut faire bouillir soigneusement l’eau des puits submergés ou victimes d’infiltrations. Les salades ou radis inondés « peuvent être très dangereux » et les légumes ne doivent être consommés que cuits. « Si les recommandations bien simples sont observées par chacun, on peut espérer qu’il n’y aura pas d’épidémie de fièvre typhoïde ».
D’autres conseils portent sur les logements. « Lorsque l’eau s’est retirée, ouvrir largement portes et fenêtres et aérer en permanence. Entretenir un feu continu. Étendre d’abord de la sciure de bois pour finir de sécher et enlever cette sciure lorsqu’elle a absorbé toute l’humidité. (…) Eau de Javel et chlorure de chaux sont les produits les plus efficaces, les plus économiques et les plus simples à employer, tant pour désodoriser que pour assainir un logement envahi par l’inondation. »
La vie reprend son cours dès le dimanche où « la Société des naturalistes de l’Ain a, cette année, réalisé un tour de force. Malgré les pluies diluviennes qui ont désolé la région, les chercheurs de champignons ont couru prés et bois et sont arrivés, quand même, à présenter de très nombreuses variétés. (…) Un public nombreux et attentif a visité l’exposition, cherchant à s’instruire pour éviter les fatales méprises dont nos voisins de la Drôme ont souffert. »
Toujours à Bourg, allée de Challes, « malgré le terrain gras et boueux, le match amical de rugby, disputé contre le F.C. Lyon, a été l’occasion d’une première victoire pour nos locaux. (…). La partie, qui avait attiré un public assez nombreux, fut belle à suivre. » Ce match concerne l’équipe réserve car l’équipe 1 est allée gagner à Villefranche.
Pluie persistante
Deux semaines plus tard, il pleut encore et, à Pont-d’Ain, la rivière déborde sur la rive gauche. À Ambronay, les ruisseaux, transformés en torrents, inondent les prairies. L’arrachage des pommes de terre et des betteraves, les semailles sont compromis et, « pour la troisième fois en un mois, la gare du tramway est sous les eaux ».
Le Journal de l’Ain du 19 octobre ajoute qu’à Saint-Jean-sur-Veyle, « les pluies continuelles ont provoqué une nouvelle et forte crue de la Veyle. Tous les prés environnants sont submergés, de même que certains terrains ensemencés de blé. Dans plusieurs maisons du bourg et dans les moulins, des précautions ont été prises. Le bétail a été évacué et les meubles ont été enlevés ou surélevés ».
Le rappel de 1896
Par son ampleur et les circonstances dans lesquelles elle est survenue, cette inondation rappelle beaucoup celle du 31 octobre 1896. Des études ont été demandées aux Ponts-et-Chaussées et la cartographie de cette inondation a été établie. Le rapport de l’ingénieur est examiné par le Conseil municipal du 11 mars 1897. Il est écrit que « la solution naturelle est la création d’un nouveau lit, servant de déchargeoir pour les eaux des crues. L’origine en serait à l’amont du moulin de Curtafray, où un vaste déversoir serait établi pour les hautes eaux, (…) aboutirait vers le Moulin Neuf, en évitant la traversée de la ville ».
Ce déchargeoir, d’une longueur d’environ cinq kilomètres et d’une largeur de huit à dix mètres, occasionnerait une dépense de cinq à six cent mille francs environ. « Devant cette dépense énorme, que les finances communales ne permettent pas d’envisager d’ici longtemps, et aussi en raison de la rareté des fortes inondations, le Conseil, à l’unanimité, décide qu’il n’y a pas lieu de pousser plus loin l’étude commencée par MM. les ingénieurs. »
En réalité, cette solution est connue depuis plus de cinquante ans et elle est évoquée dans un rapport du 21 septembre 1842, du greffe civil de Bourg. Elle n’a pas été mise en œuvre pour les mêmes raisons de coût. La ville de Bourg étant la seule collectivité concernée, elle ne pouvait guère espérer des subventions venant de plusieurs ministères.
Épilogue
Le dossier est repris dans son intégralité, après la Seconde Guerre mondiale, après une première réunion le 20 décembre 1950. Aucune ʺidée génialeʺ ne surgit et la solution adoptée est celle, centenaire, qui attendait un financement et l’avènement d’engins de terrassement la rendant réalisable.
Avec un canal de dérivation débitant 37 mètres cubes par seconde et les 10 mètre cubes de la Reyssouze, « on touche presque au débit maximum de la crue de 1935, de 53 mètre cubes à la seconde ».
L’avant-projet de l’aménagement de la Reyssouze est adopté par le Conseil municipal du 31 juillet 1951. Un an plus tard, les travaux sont estimés à soixante millions de francs (d’avant 1960) et une subvention est demandée à l’État. La première tranche des travaux est votée 31 juillet 1953. Ces travaux se poursuivront jusqu’à l’été 1965, pour terminer le revêtement bétonné du canal, notamment « entre la R.N. 396 et le Moulin Neuf, en limite de la commune de Viriat ».
La construction du canal de dérivation
La Reyssouze, un quartier de Bourg-en-Bresse
Chronique rédigée par Rémi RICHE
Avec la participation de Claude Brichon, Gyliane Millet, les Archives municipales de Bourg-en-Bresse (A.M.B.) et les Archives départementales de l’Ain (A.D. Ain).
Novembre 2021.
Anecdote : le Café Brichon (photographies de 1935) était tenu par de lointains cousins de notre collaborateur Claude Brichon.