L’allée de Challes se transforme...

Les travaux d’aménagement de la Reyssouze ont supprimé l’allée de Challes telle que les Bressans l’ont connue durant plus d’un siècle. La reconfiguration du site s’inscrit dans le projet « Nature en Ville », voulu par la municipalité.

Une allée bordée d’arbres vers un château

Selon l’historien Samuel Guichenon, le premier château de Challes a été édifié vers 1300. Démoli et déplacé, il est acquis, en 1643, par la comtesse de Montrevel, épouse de Ferdinand de La Baume. La comtesse le fait réaménager et la maison est « sans contredit, la plus belle de la Province, étant achevée [1] ». Plus tard, dans les années 1770, la famille de La Baume de Montrevel restructure le site paysager. Dans ses Anecdotes de la Bresse [2], Jérôme Lalande écrit, qu’à partir de 1781, le comte Florent Alexandre Melchior de la Baume de Montrevel se fait construire un nouvel hôtel particulier, à Mâcon.

Le plan du site établi par le comte de Montrevel en septembre 1766, selon l’inscription tout en haut, à gauche.
Détail du plan de la ville établi par Nicolas Aubry, vers 1770, avec, en haut et à droite, l’allée bordée d’arbres qui conduit au château de Challes.

À la veille de la Révolution, le comte connaît quelques épisodes douloureux puis tragiques. Il tombe gravement malade en 1785 mais les Bressans se montrent bienveillants à son égard et, en reconnaissance, il fait ériger une pyramide dans sa propriété. Quatre années plus tard, en 1789, ces Bressans ont changé d’opinion et il faut l’intervention du maire de Bourg pour que le château de Challes ne soit pas détruit.
À ce propos, l’historien Eugène Dubois écrit, en 1931 : « Challes était surtout pour lui un rendez-vous de chasse. À l’exemple du Grand Roy, il avait supprimé tout un hameau et de nombreuses chaumières pour créer un parc immense. Les vastes bâtiments du château couvraient le coteau où se voit aujourd’hui plusieurs habitations bourgeoises au milieu des débris du parc. Il y venait en fastueux équipage et y convoquait la noblesse d’alentour à des chasses princières dont la récolte des manants faisait trop souvent les frais, et à des fêtes dont le luxe était blessant pour la misère des roturiers et de la population de Bourg.
Aussi, malgré ses prétentions démocratiques, la population bressane ne l’aimait-elle pas : il était pour elle la synthèse de cette noblesse arrogante et hautaine dont on voulait se défaire [3] ».

Le château de Challes, au bout de l’allée, d’après une gravure de Lallemand, années 1780.
Cette pyramide a d’abord été élevée près du château de Challes, puis déplacée devant l’Hôtel-de-Ville en l’honneur de Marat puis installée dans un square du haut de la ville à la gloire de Joubert. Endommagée par le temps, elle a été supprimée dans les années 1930.

Le comte se montre plutôt favorable aux revendications du Tiers-État mais, résidant alors près de Choisy-le-Roi, il est arrêté comme suspect, conduit à Paris et enfermé au Luxembourg. Condamné comme aristocrate, il est guillotiné le 7 juillet 1794, à l’âge de 58 ans. Il n’a pas de descendant. Le château de Challes est démoli sous l’Empire mais la partie basse de l’allée bordée d’arbres est maintenue jusqu’à l’automne 2023.

Le cours de la Reyssouze

Le terrain vague, le Pré des Piles, situé entre la ville et le site de Challes est parcouru par différents bras de la Reyssouze. En outre, l’allée d’arbres maintenue est bordée, de part d’autre, par des fossés qui se déversent dans le ruisseau, le Dévorah qui, lui-même, se jette peu après dans la Reyssouze. Ce réseau hydraulique est complexe comme le montre le plan de 1766, déjà cité ci-dessus.

Le réseau hydraulique entre ville et Challes : 1 et 2 - bras de la Reyssouze ; 3 - moulin des Halles ; 4 - allée doublement bordée d’arbres et de fossés ; 5 - le Dévorah ; 6 - site du château de Challes ; 7 - domaines de Challes ; 8 - étang de Challes.
Article du Journal de l’Ain du 24 septembre 1941. C’est le premier édifice de l’allée de Challes, hors la ville.

Cette blanchisserie est l’œuvre de Jean Marie Guillermin (recensement de 1846 et 1851) puis passe à la famille Cœur, d’abord à Jean Marie (de 1856 à 1863) puis à Eugène, présent encore en 1901. La blanchisserie est ensuite reprise par Félix Millet, né à Viriat en 1873, qui l’exploite au-delà de la Grande Guerre (présent en 1921).

Plan de 1869 : 1 - église Notre-Dame ; 2 - moulin des Halles ; 3 - emplacement réel du lavoir ; 4 - blanchisserie ; 5 - clos de Challes.
Ce plan de 1894 indique les nouvelles dénominations des rues, choisies par le Conseil municipal du 9 mai 1887.
L’allée de Challes au début des années 1900 avec, tout à gauche, l’avancée du toit du lavoir, et, en second plan, la blanchisserie.
Matinée automnale brumeuse sur l’allée de Challes, à la Belle Époque.
Une autre vue, à la Belle Époque. À gauche, un marchand de vin.
À l’Est de l’allée de Challes, une gare est édifiée et les tramways circulent à destination de Treffort à partir d’octobre 1913. Remarquer la hauteur de l’eau dans le canal latéral.

La poterie Chambard

Au milieu du XIXe siècle, les deux frères Claude et Joseph Chambard sont marchands de faïence au faubourg Saint-Nicolas à Bourg. Le premier décède en août 1851 mais la famille continue le commerce. L’activité se poursuit par la seconde génération avec Louis Ferdinand Chambard (fils de Joseph, né en 1849), puis par la troisième génération avec Victor Chambard (fils de Louis Ferdinand, né en 1876).
Victor devient un fabriquant de poterie et il installe, vers 1900 en bordure de l’allée de Challes, des ateliers qui prennent une certaine ampleur.

Extrait d’un plan de 1907 : 1 - le lavoir ; 2 - la blanchisserie ; 3 - la poterie.
Cette carte postale a été expédiée en 1908.
Le magasin, bien pourvu, de la poterie Chambard.

Victor Chambard vend son affaire à Camille Louis Fort le 1er juillet 1919 [4]. Peu après, l’enseigne devient Fort-Vouillon, le mari et la femme, tous deux nés en Saône-et-Loire, et la fabrication de poterie se poursuit jusqu’au début des années 1950.
Le recensement de 1951 indique, qu’à côté de la poterie, sont installés Lucien Fromain, négociant de matériaux de récupération, et Eugène Badel, fabricant de meubles.
Dans les années 1950, l’enseigne Fort-Vouillon devient un commerce en gros de vaisselle, jusqu’au début des années 1960 [5].

Vue aérienne, en avril 1969, sur l’allée de Challes, l’ancienne poterie et la blanchisserie Millet. Au premier plan (X), la Maison des Sociétés, nouvellement construite
Une vue du site avec, en arrière-plan, le Stade Marcel Verchère (1) et le Supercentre Casino-Monoprix (2) qui ouvrira en novembre 1968.

De nouveaux équipements

En 1937, l’ancien hôpital vétérinaire, qui date de la Première Guerre mondiale, est réaménagé pour accueillir les Haras nationaux, c’est-à-dire des étalons venant d’Annecy pour une période déterminée de l’année, durant laquelle les paysans des environs peuvent venir faire saillir leurs juments, pour obtenir de meilleurs poulains.
Le Conseil municipal du 15 novembre 1963 approuve un Plan de rénovation urbaine qui prévoit la construction de la Maison de l’agriculture. Pour cela, le 17 septembre 1966, le Conseil décide de transférer les Haras nationaux à la station hippique du Communal des Vennes. Les vieux baraquements de bois restent près de l’allée de Challes jusqu’en 1967-1968.

Les officiels s’apprêtent à inaugurer la Foire exposition de 1964. À l’arrière-plan, on distingue la pancarte Haras nationaux.

Le second équipement sur le site est un stade de sports, aménagé en 1943, sous le Régime de Vichy, qui se préoccupait de la jeunesse française et souhaitait la rendre plus vaillante par la pratique d’activités physiques. Chaque commune d’importance devait aménager un stade près de son école. L’ambition était grande mais l’occupation ennemie rendait les finances exsangues et peu de stades ont vu le jour.
Celui de Bourg, situé près de l’allée de Challes, a été appelé Stade des Brotteaux et il a été utilisé par les élèves de Carriat et, pour cela, il a été le Stade Carriat.

Des élèves de Carriat en 1947 qui fréquentaient le Stade des Brotteaux ou, ici, le Stade Verchère. Le stade était aussi utilisé par les jeunes du Centre d’apprentissage, installé boulevard des Belges.
Extrait d’un plan de 1956 : 1 - l’École Carriat ; 2 - les haras nationaux ; 3 - le Stade des Brotteaux ; 4 - l’allée de Challes bordée des bâtiments industriels.
La Foire Exposition de 1962 photographiée par Le Progrès : le Stade des Brotteaux (à droite) est occupé par des manèges.
La foire-exposition a pris beaucoup d’ampleur, ici en 1974. L’entrée se fait désormais par l’avenue, l’organisation bénéficie d’un pavillon (X) et le Stade des Brotteaux n’existe plus.

Le souffle de la mort

Le 1er septembre 1944, six maquisards sont désignés pour emporter du ravitaillement aux Granges-de-Montagnieu où ils déchargent leur camion. Au retour, vers deux heures du matin, ils franchissent à nouveau le Pont de Chazey mais, dans l’intervalle, les Allemands ont repris ce pont tenu par les Américains lors du premier passage. Les maquisards tombent alors dans une embuscade ennemie où Georges Guenin est tué et Pierre Schmidt a les deux jambes brisées. Les quatre autres maquisards sont pris par les Allemands qui les conduisent d’abord à Villars-les-Dombes puis à Bourg, allée de Challes, où ils sont reclus dans les tribunes du Stade Verchère.
Le dimanche matin 3 septembre, les prisonniers sont emmenés, en file indienne, au bord de la Reyssouze. Paul Pin raconte la suite [6] : « Une détonation claque. Plouf ! Un de mes camarades, le premier de la file est abattu d’une balle dans la tempe. Brusquement, je fais volte-face, écrase mon poing sur la face de mon bourreau et plonge. Sur l’autre rive, je cours à perdre haleine tandis que les Boches vident leur révolver. Une balle m’atteint au genou droit. (...)
Un tas de bois providentiel m’abrite. Je m’écroule. Les balles s’enfoncent dans les rondins
. »
Ensuite, Paul Pin rampe jusqu’à la rivière, plonge et nage dans la Reyssouze une cinquantaine de mètres pour dépister les chiens. Il remonte sur la berge, là où ses trois camarades ont été abattus puis pénètre dans la cour d’une maison, avenue de Rosière, où il est soigné. Dans la nuit, les Allemands quittent la ville et les Américains arrivent. Paul Pin est définitivement libéré.
Les trois maquisards assassinés au bord de la Reyssouze sont Paul Frémion, Henri Leborgn et Sébastien Schellings. Une plaque commémore leur sacrifice.

La stèle, allée de Challes, en hommage au sacrifice des Résistants.

Nouvelles utilisations

Après leur abandon, le conseil municipal du 19 juin 1964 décide de reprendre les anciens bâtiments de la poterie. Après des réaménagements, ils sont mis à la disposition d’associations qui, au cours des années 1970, se développent fortement. Ainsi, en 1971, le Judo-Club s’entraîne dans un local de l’ancienne poterie. Ensuite, ces associations bénéficient d’équipements sportifs, mieux adaptés, et les bâtiments longeant l’allée de Challes seront progressivement démolis au début des années 2000.
Et la Ville lance une réflexion et le projet retenu fait l’objet des travaux en cours.

Plan de répartition des salles de l’ancienne poterie, pour des associations. 1967-1970.
Sur la façade du bâtiment de droite, il est écrit Maison des Sociétés - Immeuble Chambard.

Quelques vues des travaux

Si l’on se réfère au premier plan de 1766, un nouveau "lit" est offert à la Reyssouze...

La Reyssouze dans son nouveau lit.
De nouveaux arbres ont été plantés au début de décembre 2024.

La future allée de Challes

Voici ce que sera la future allée de Challes, d’après les images de synthèse fournies par la ville de Bourg-en-Bresse (©Bigbang Paysagistes).

Rémi Riche, Claude et Geneviève Brichon

Octobre 2024
Avec la participation de François Chaume, Jacky Guéraud, Bernard Loisy, Gyliane Millet.

Photos

[1Histoire de la Bresse et du Bugey édité à Lyon en 1650.

[2Manuscrit conservé à la Bibliothèque de Lyon Part-Pieu. Fonds Coste.

[3Histoire de la Révolution dans l’Ain, tome 1.

[4A.D. Ain. 3Q5519.

[5Sur l’Annuaire de l’Ain 1963-64, M. Fort-Vouillon est inscrit comme potier dans l’allée de Challes mais il ne figure pas parmi les potiers dans le répertoires des professions.

[6Son témoignage est paru dans L’Éclaireur de l’Ain du 31 mars 1945.

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