LE 23e R.I., un régiment dans la ville de Bourg-en-Bresse
Au printemps de 1923, il y a cent ans, le 23e Régiment d’infanterie quittait Bourg-en-Bresse après avoir séjourné pendant 50 ans dans la ville, l’avoir animée au point d’y être identifié.
L’arrivée du 23e Régiment d’infanterie en terre bressane, à la fin de l’année 1873, constitue un point de rencontre entre trois entités chargées d’histoire : la ville, l’armée et le régiment. Elles partagent désormais un avenir commun.
PREMIÈRE PARTIE : TROIS HISTOIRES PARALLÈLES
Pour la ville : obtenir un régiment en garnison
Autrefois, les militaires logeaient chez l’habitant et une commission municipale établissait la liste des hébergements à réquisitionner lors des passages de troupes, nombreux dans les pays de l’Ain car ils étaient proches de la frontière. Aussi, dès le début du 19e siècle, la ville de Bourg a-t-elle souhaité obtenir un régiment dans un double but : éviter à ses habitants d’avoir à héberger trop de soldats de passage ; profiter des retombées économiques d’une garnison à demeure. Pour cela, elle doit disposer d’une caserne.
Le 12 janvier 1826, le Conseil municipal de Bourg vote donc une imposition extraordinaire. Le ministère de l’Intérieur répond que la ville n’obtiendra aucune subvention et que cette caserne ne sera d’aucune utilité militaire. Auparavant, le Conseil a fait établir, en 1825, un devis pour transformer les Bâtiments des Saintes Maries, l’ancien couvent de la Visitation, rue Bourgmayer, en une caserne pouvant loger de 350 à 370 soldats d’infanterie. Ce dossier est repris en 1831 et mené à bien.
Toutefois, Bourg n’obtient aucun régiment permanent mais la garnison compte 463 soldats en 1851 et 526 en 1856. Pour être au niveau d’autres prétendantes, la ville se résout au projet d’une véritable caserne. En avril 1860, le Génie dresse le plan du Plateau de Bel-Air, à l’est de la route de Lyon [1]. La ville souhaite y implanter une caserne de cavalerie et agrandir les Casernes Saintes Maries pour accueillir davantage d’infanterie. L’armée ne lui accorde qu’une caserne d’infanterie.
Alors, pour l’équilibre de ses quartiers et, en contrepartie de la gare récemment installée sur le haut de la ville et à l’ouest, la ville souhaite placer sa caserne sur le bas et à l’est, au Pré des Piles [2].
L’armée redoute les brouillards de ce lieu et le refuse. On s’accorde alors pour le Clos Sirand, à l’emplacement de l’ancienne citadelle et le champ de foire est transféré au Pré des Piles. La caserne est achevée en 1864 mais aucun régiment ne s’y installe à demeure. Des formations militaires s’y succèdent au rythme de trois ans, comme auparavant. Les pavillons d’entrée sont achevés en 1870.
Par sa dénomination, la caserne rend hommage au général Claude-Charles Aubry, né à Bourg en 1773 et tué à la bataille de Leipzig le 10 novembre 1813. Il est connu pour avoir facilité le passage des canons lors de la traversée des Alpes enneigées en mai 1800, par Napoléon-Bonaparte.
L’armée réorganisée
Le Second Empire sombre au cours de la terrible guerre franco-prussienne et les régiments déposent leur drapeau à l’ennemi, en octobre 1870, à la citadelle de Metz. À la tête du pays, la IIIe République s’installe après cette défaite, vécue comme un traumatisme.
À peine les combats terminés, une commission parlementaire enquête sur les causes et elle conclut à la faiblesse des effectifs et à l’insuffisance de l’encadrement de l’armée. La défaite s’explique aussi par des causes morales et intellectuelles et le pays s’intéresse à l’organisation militaire, politique et culturelle du vainqueur. Le but est de restaurer la défense nationale pour prévenir une nouvelle agression et non pas de préparer la Revanche [3].
Les nouvelles dispositions de la loi du 27 juillet 1872, concernant le recrutement, l’organisation et l’encadrement, donneront à l’armée des assises pour plusieurs décennies. Ensuite, la loi du 24 juillet 1873 réorganise l’armée qui, désormais, « repose sur deux principes : la cohérence territoriale entre le recrutement et le commandement, et la continuité entre les temps de paix et de guerre [4] ». La métropole est alors divisée en dix-huit régions militaires, auxquelles correspondent autant de corps d’armée, créés par un décret du 28 septembre 1873.
Dans cette nouvelle organisation, l’Ain est rattaché au septième Corps d’armée, et Bourg voit partir le dépôt du 45e régiment d’infanterie [5] et voit arriver le dépôt et le 3e bataillon du 23e régiment d’infanterie en provenance de Soissons (Aisne). Lyon accueille les deux autres bataillons de ce régiment. Une convention entre le ministère de la Guerre et la Ville est signée le 15 juin 1874.
Le passé d’un régiment
Lorsque le 23e Régiment d’infanterie arrive à Bourg, il a déjà un long passé. Il a été fondé sous le règne de Louis XIV, en 1656 à La Fère, en Picardie, sous le nom de Régiment Royal. Il entre en campagne dès l’année suivante en Flandres puis participe à des opérations en Lorraine, Franche-Comté, Palatinat, Hainaut et même aux Baléares, lors de la prise du fort de Marlborough en 1756.
Sous la Révolution, l’appellation des régiments est remplacée par une numérotation basée sur l’ancienneté. Le Royal devient le 23e Régiment d’infanterie en 1791 puis, lorsque le mot de régiment est banni, il est la 23e demi-brigade de bataille qui participe à la victoire de Zurich (1799) et de Hohenlinden (1800). Sous l’Empire, en 1804, il est à nouveau le 23e Régiment d’infanterie et combat de par l’Europe. Il contribue aux victoires d’Austerlitz (1805), de Wagram (1809) et à celle de Lützen, près de Leipzig (1813), au retour de la désastreuse campagne de Russie.
Lorsque l’armée impériale est dissoute sous la pression des coalisés, le 23e prend le nom de Légion de la Loire inférieure avant d’être le 23e de ligne en janvier 1823. Le régiment participe alors aux expéditions d’Espagne (1823), d’Algérie (1830-1831 et de 1835 à 1841) et d’Italie (1859) où il se distingue à Magenta et Solférino (Lombardie).
Sous le Second Empire, lorsque Napoléon III engage la guerre contre la Prusse, le 23e est intégré à l’armée du Rhin. Il combat à Sarrebruck, Forbach, Rezonville, Saint-Privat et dépose son drapeau à Metz, le 28 octobre 1870. Après la défaite, le régiment est reformé, en 1871, près du Mans (Sarthe).
Être soldat sous la IIIe République
L’article premier de la Loi Jourdan indique que « tout Français est soldat et se doit à la défense de la patrie ». Le recensement annuel des "conscrits" incombe aux municipalités, sous le contrôle de la préfecture. Aussi le pouvoir civil garde-t-il la primauté sur le pouvoir militaire avec une armée qui regroupe des "appelés" et des militaires de métier.
Sous la IIIe République, la conscription est définie par la loi du 27 juillet 1872, modifiée ensuite pour établir davantage d’égalité. Le service militaire est fixé à trois ans en 1889, à deux ans en 1905 puis à trois ans en 1913. Si la durée des obligations militaires varie d’une loi à une autre, la division en quatre périodes successives est maintenue : l’armée active, puis la réserve, l’armée territoriale et la réserve de l’armée territoriale.
L’armée est aussi un facteur d’intégration dans la nation. Les conscrits ne sont pas intégrés dans la caserne la plus proche de leur domicile mais répartis en divers lieux éloignés. Aussi sont-ils obligés d’abandonner leurs patois et d’utiliser le français pour communiquer avec leur hiérarchie et leurs compagnons.
Un double mouvement concerne l’Ain où les Bressans sont majoritairement dirigés vers le 133e R.I. de Belley et les Bugistes, vers le 23e R.I. de Bourg. Après le service militaire, leur affectation change et les périodes d’exercices se déroulent dans la caserne de proximité. Les soldats bressans du 133e R.I. sont alors affectés au 223e R.I. de réserve. Ces dispositions ne sont que des généralités et non des règles absolues. Il est à noter que les conscrits passent devant le Conseil de révision à vingt ans et qu’ils rejoignent leurs casernes à vingt-et-un ans.
DEUXIÈME PARTIE : LE 23e RÉGIMENT D’INFANTERIE DANS LA VILLE
Un nouveau drapeau
Après les débats parlementaires et selon la volonté du gouvernement républicain, la loi du 6 juillet 1880 institue le 14 juillet comme fête nationale et le drapeau tricolore comme l’emblème national. Il est aussi décidé que les drapeaux seront remis aux régiments le 14 juillet 1880, au cours d’une grande fête sur l’hippodrome de Longchamp. « C’est la cinquième fois depuis le commencement du siècle que tous les corps de l’armée reçoivent en masse ces insignes, symbole de la patrie elle-même. Le drapeau n’a jamais cessé d’être tenu avec honneur par notre armée [6] ». Chaque régiment y est représenté par une délégation et cette cérémonie confirme la soumission de l’armée aux pouvoirs civils que sont la présidence de la République, le gouvernement, la Chambre des députés et le Sénat.
Quelques jours plus tard, la cérémonie est déclinée localement, à Bourg-en-Bresse le dimanche 25 juillet 1880. Le drapeau bleu-blanc-rouge, frangé d’or et frappé du sigle FR, est présenté aux soldats du 23e, en présence du préfet et des autorités locales. Ce drapeau rappelle les épisodes glorieux du régiment avec les victoires de Zurich, Wagram, Lützen et Magenta (évoquées ci-dessus).
La caserne est ouverte au public durant l’après-midi, pendant deux heures. Sur le Champ de Mars, les Bressans s’émerveillent « de l’agilité et de la souplesse déployées par les lestes fantassins » au cours des exercices et des jeux militaires, parmi lesquels « le chat et le rat, course au sac, jeu du baquet, courses de grenouilles, cruche cassée, corde à lutter, course de vélocité ». La fête s’est prolongée par « un concert donné par la Société musicale sur la promenade du Quinconce éclairée par de gracieuses girandoles de lanternes vénitiennes (...). Elle a confondu presque tous les citoyens de la cité dans les mêmes sentiments et les mêmes espérances [7] ».
En réalité, ces fêtes de juillet 1880 se déroulent dans un contexte particulier après les premières expulsions de Jésuites à la suite de l’application des deux décrets du 29 mars 1880, le premier dissolvant la Compagnie de Jésus et l’autre contraignant les congrégations non autorisées à demander une autorisation. Ce sont les premières démarches vers l’école laïque et la séparation des Églises et de l’État. Et, à Bourg, le Journal de l’Ain, clérical, est dubitatif sur ce premier 14 juillet de fête nationale.
Deux événements majeurs
De nouveaux bâtiments sont construits sur le site en 1875 et 1876 et un stand de tir est aménagé aux Vennes, en contrebas de la forêt de Seillon. L’effectif de la garnison double en quelques années et il s’élève à 1 534 soldats au recensement de 1881. Le régiment est désormais bien intégré dans la ville et la population le voit régulièrement sur les parcours vers les lieux d’exercices.
Il participe d’abord à deux événements majeurs de la ville. Le premier est l’inauguration de la statue de Joubert dans la cour de la préfecture et du médaillon de Jérôme de Lalande sur la maison natale de celui-ci. L’hommage au général Joubert est une initiative lancée par Edmond Chevrier de la Société d’Émulation de l’Ain.
Toutes les personnalités civiles et militaires sont réunies dans la cour d’honneur de la préfecture, le dimanche 12 octobre 1884, lorsque la statue de bronze est dévoilée. Elle est l’œuvre du sculpteur lorrain Jean-Pierre Aubé [8], qui a déjà réalisé le fronton de la préfecture. Selon le député Jean Mercier de Nantua, « c’est une œuvre remarquable, d’un beau galbe, plein d’ardeur et de vie. Le général est représenté au moment où, à Rivoli, il saisit un fusil et s’élance, farouche, à la tête de ses soldats dans la mêlée. Il tient de la main gauche l’arme qu’il vient de ramasser à terre et, de la droite étendue, montre l’ennemi à ses troupes ». Ensuite, le général Wolff se moque d’abord du « reproche [fait] au gouvernement de la République de s’abandonner à la passion des statues », puis retrace la carrière militaire du natif de Pont-de-Vaux. Il termine par un hommage au défenseur de la République, à « son amour de la patrie, son attachement aux grandes et légitimes aspirations de la Révolution ». Enfin Jean-Marie Verne, ancien maire de Bourg [9], lit un poème où Charles Jarrin, de la Société d’Émulation de l’Ain, évoque le rôle qu’aurait pu jouer Joubert pour la sauvegarde de la République mais celle-ci fut « à deux Corses vendue [10] »
Le second événement se déroule le dimanche 6 juin 1886, en gare de Bourg, lorsque le train ramène le deuxième bataillon d’une expédition au Tonkin, en Asie du Sud-Est. Il était parti du port de Toulon (Var) le 10 janvier 1884, avec d’autres troupes, pour aller compléter le corps expéditionnaire déjà présent dans le secteur d’Hanoï, pour chasser les Chinois du Tonkin. Les Français se rendent maîtres du delta de la Rivière Rouge dès mai 1884 mais sont surpris par la contre-attaque chinoise, un mois après. La Chine déclare alors la guerre à la France. Une nouvelle reconquête est lancée à partir d’octobre 1884. Le 23e participe à la prise de Lang-Son, proche de la frontière chinoise, en février 1885. La Chine demande l’armistice le 17 juin 1885 et signe le traité de paix de Tien-Tsin, le 9 juin 1885. Le bataillon reste sur place pendant près d’un an.
À son retour en Bresse, le Courrier de l’Ain du 8 juin 1886 est particulièrement enthousiaste par son directeur Victor Authier qui écrit qu’il est « impossible de voir fêtes plus belles, plus émouvantes que celles qui viennent d’être célébrées à Bourg, pour fêter le retour du glorieux bataillon du 23e de ligne. (...) Les habitants ont payé leur juste tribut d’admiration et de reconnaissance aux braves qui ont défendu le drapeau devant l’ennemi, et qui, payant de leurs fatigues, de leur santé et de leur sang, ont soutenu, dans l’Extrême-Orient, le juste renom de l’intrépidité et de l’héroïsme français ». Le maire de Bourg, Tony Belaysoud, salue aussi « les héros qui sont tombés sur les plages lointaines ». Comme il a été dit deux ans plus tôt à propos du général Joubert, tous les soldats ont « bien mérité de la patrie ».
En début de soirée, un grand banquet réunit, à l’Hôtel de France, les autorités civiles et les officiers du régiment, de la gendarmerie et d’autres formations militaires. Toutes ces personnalités se rendent ensuite « au théâtre où un spectacle gratuit est offert au 23e de ligne. On joue La France au Tonkin, adaptation à la circonstance de l’opérette connue Fleur de Thé. (...) Mais les vrais acteurs ne sont pas sur la scène : ils sont dans la salle ».
À la Belle Époque
Les années suivantes seront appelées la Belle Époque. Il est vrai que la France a retrouvé la prospérité et qu’elle vit une longue période de paix, néanmoins ponctuée de quelques conflits sociaux. La répartition des casernes sur l’ensemble du territoire participe à l’intégration de l’armée dans la société, à Bourg comme ailleurs. La presse locale rend compte des activités militaires et les officiers se plaisent à "parader", en tenue chatoyante, lors des diverses manifestations.
Le régiment participe aussi à la vie au quotidien. Des soldats sont présents pour éteindre l’incendie du bâtiment jouxtant l’Hôtel des Dombes dans la nuit du 11 au 12 décembre 1876. Plus tard, en janvier 1891, un détachement est envoyé dans le Haut-Bugey pour déblayer les voies de la gare de La Cluse ; un autre dans la vallée de la Valserine pour aider la population lors de l’inondation du village de Chézery [11]. Et, dans la ville de Bourg-en-Bresse, des soldats n’hésitent pas à intervenir pour arrêter, au péril de leur vie, un cheval apeuré et emballé [12].
L’armée est utile pour des opérations de maintien de l’ordre, lors de conflit sociaux, heureusement plus comme force d’intimidation ou d’interposition que d’intervention. Des militaires du 23e R.I., « porteurs chacun de six balles », sont répartis dans les gares d’Ambérieu-en-Bugey et Bourg-en-Bresse lors de la grève des cheminots en octobre 1898. La troupe est consignée pour les grèves du Creusot (Saône-et-Loire) de l’automne 1899 et, toujours pour des grèves, des détachements sont expédiés de Bourg à Saint-Étienne (Loire) en octobre 1902 ou dans le Nord en avril 1910. Un autre est expédié, vers Bar-sur-Aube (Aube) lors de l’été 1911, pour l’application de la nouvelle délimitation, plus restrictive, du vignoble de Champagne. Le régiment est encore consigné pour le 1er mai 1909.
Les tensions internationales
La Belle Époque est aussi la période des colonisations et du partage de l’Afrique, essentiellement entre les puissances de l’Europe occidentale. L’Allemagne impériale aimerait une "part du gâteau" qui lui est refusée. Les tensions sont d’abord apaisées en 1906 par la conférence d’Algesiras (Espagne), puis réactivées en 1911 par la crise d’Agadir à propos du Maroc. D’éventuelle, la guerre devient probable et chaque pays la prépare plus ou moins. À l’augmentation des effectifs de l’armée allemande en 1912 et 1913, la France répond par la loi des trois ans, votée le 7 août 1913, qui soulève des mécontentements, jusque dans les casernes. Immédiatement applicable, elle fixe le service militaire à vingt ans et pour trois ans.
Cette loi entrave les projets de la ville de Bourg qui a construit de nouvelles casernes pour regrouper l’ensemble du 23e R.I. par le rapatriement du bataillon qui occupe les forts de Salins-les-Bains et Pontarlier. Ces casernes, construites à l’économie, sont utilisées pour héberger le surplus de soldats "appelés".
Cette loi envoie les hommes de la classe 1912 (nés en 1892) dans les casernes en septembre 1913 et ceux de la classe 1913 (nés en 1893) en novembre 1913. Les obligations militaires sont portées de vingt-cinq à vingt-huit ans : trois dans l’active, onze dans la réserve, sept dans la territoriale et encore sept dans la réserve de la territoriale. Et, à Bourg, l’ancien séminaire de Brou est réinvesti par l’armée ; le projet d’installation du musée est repoussé...
Durant ce temps, les Balkans sont secoués par deux guerres où les Allemands sont présents aux côtés des Turcs. Ils y étudient l’utilisation des tranchées et de l’artillerie. Par le jeu des alliances, l’attentat de Sarajevo du 28 juin 1914 déclenche une guerre, européenne à son origine.
Le 23e R. I. dans la Grande Guerre
Lorsque l’Allemagne lui déclare la guerre le 3 août 1914, la France a déjà décrété la mobilisation générale pour le dimanche 2 août. Les permissionnaires agricoles ont été rappelés depuis le 28 juillet et les régiments d’active ont déjà été envoyés, en "troupes de couverture", à dix kilomètres en retrait de la France. Le 23e R. I. qui compte alors 65 officiers, 182 sous-officiers, 3 247 hommes et 187 chevaux est parti, par deux trains, le 2 août. Il débarque à Remiremont (Vosges) et les deux tiers du régiment vont cantonner à quelques kilomètres, à Saulxures-sur-Moselotte (Vosges).
Les réservistes de la territoriale sont mobilisés les premiers pour garder les voies de communication. Les réservistes et les territoriaux affluent dans les centres mobilisateurs dès la première semaine d’août 1914.
Mis en marche dans la nuit du 6 au 7 août 1914, le 23e R.I. participe d’abord à la bataille de Mulhouse. Là, l’objectif de réaliser une percée et de prendre à revers les Allemands n’est pas atteint. Ailleurs, sur le front nord-est, l’armée française est partout débordée et il y a urgence à regrouper les forces. Le 23e R. I. est donc déplacé pour participer à la bataille et à la reprise de Saint-Dié (Vosges) à la mi-septembre. Ses pertes sont importantes et elles sont comblées par un renfort de 516 hommes.
Le front se stabilise à la mi-décembre 1914 de la Mer du Nord à la frontière suisse et la "guerre des tranchées" s’installe. Le régiment reste dans le secteur de Saint-Dié et les pentes de la Fontenelle [13] sont désormais le théâtre de ses opérations jusqu’en juin 1916, à part une expédition d’un mois vers le sommet de l’Hartmannswillerkopf. Comme ailleurs et auparavant, les pertes ont été importantes. Elles ont été remplacées à l’avenant et le régiment n’a plus sa physionomie d’avant-guerre, comme les autres.
Par la suite, le 23e R. I. participe aux offensives de la Somme de l’été 1916 et du Chemin des Dames du printemps 1917. Au repos au camp Ville-en-Tardenois (Marne), il est impliqué dans les mutineries de fin mai/début juin 1917 avec le 133e R. I. de Belley [14]. En représailles, les deux régiments, issus de l’Ain, sont dissociés pour la poursuite de la guerre.
Le 23e R. I. combat ensuite en Argonne, avant de connaître Verdun, toujours un enfer, vingt mois après l’offensive allemande. En Lorraine au début de l’année 1918, il est dans le Nord lorsque les Allemands lancent leur offensive, au printemps. Peu engagé dans les combats, il est déplacé vers Villers-Cotterêts (Picardie) pour participer à la contre-offensive de juillet 1918 qui le conduit jusqu’à Audenarde, au bord de l’Escaut (Belgique), lorsque l’armistice est signé le 11 novembre 1918.
La cessation des combats ne signifie pas le retour immédiat des soldats dans les foyers. Il y a d’abord le temps des défilés et le traité de paix n’est signé que le 28 juin 1919, juste à temps pour le grand défilé du 14 juillet 1919, à Paris. Au final, le 23e R. I. déplore environ trois mille morts, soit l’équivalent de son effectif au début de la guerre, et seuls une soixantaine de soldats ont vécu toute la guerre en son sein.
Les soldats sont progressivement démobilisés, le temps pour le pays de passer d’une économie de guerre à une économie de paix. Le retour, à Bourg, du 23e R. I. est organisé solennellement pour le 10 août 1919.
Menacé puis déplacé
Commencée comme une guerre offensive napoléonienne, la Grande Guerre se termine comme une guerre industrielle où ont été découvertes la puissance de feu des armes utilisées et la motorisation des moyens de transports ou d’attaque avec l’apparition des chars. Le rôle de l’infanterie a évolué et, pour l’avenir, ses effectifs sont diminués.
Le 23e R.I. figure parmi les régiments à dissoudre dès 1921 mais il est maintenu. La ville de Bourg souhaite le garder mais il est finalement déplacé en 1923. Il poursuit sa mission
d’abord en troupes d’occupation de la Ruhr (Allemagne) puis il sera caserné à Sedan.
À Bourg, beaucoup auraient souhaité une fête de départ mais des détachements ont été progressivement déplacés et le 23e R.I. a discrètement abandonné les casernes de Bourg...
TROISIÈME PARTIE : AUTRES DOCUMENTS CONCERNANT LE 23e R.I.
Rémi Riche
Janvier 2023
Avec des contributions de Michel Barbe, Albert Béréziat, Joël Brayard, Claude Brichon, Françoise Ferrand, Cécile Gerbe-Servettaz, Élisabeth Roux, Marie-Claude Vandembeusche, Jean-Christophe Vigier.
Archives départementales de l’Ain.
Archives municipales de Bourg-en-Bresse.
Service historique de la défense à Vincennes (Paris).
Collectif de Recherche International et de Débat sur la guerre de 1914-1914 (C.R.I.D.). Aisne.
Bibliographie sommaire :
1656 "Royal" - 1972, 23e Régiment d’infanterie. Tapuscrit. Ms 215. A.D. Ain. (historique réalisé par de jeunes soldats).
Destins brisés. Poilus de l’Ain et du Rhône dans la Grande Guerre au sein des 23e et 223e Régiments d’infanterie. Rémi Riche. Éditions de la Catherinette. 2004.
L’Ain 1910-1925. Travailler Soutenir Espérer. Rémi Riche. Chroniques de Bresse. 2017.
Histoire de la conscription. Annie Crépin. Folio Histoire. 2009.
Des champs de blé au champ d’honneur. Soldats et civils de l’Ain dans la Grande Guerre. 1914-1918. Amis des Archives de l’Ain. 2001.
Photos
[1] Actuelle rue Jean Jaurès.
[2] Actuel parking du Champ de foire.
[3] D’après La réforme de l’armée française après 1871 par André Boniface. Revue Inflexions 2012-3.
[4] La France devant la conscription, par Philippe Boulanger. Paris 2001. Cité par André Boniface.
[5] Un dépôt accueille la partie administrative de l’unité et la gestion des hommes affectés au régiment.
[6] Courrier de l’Ain du 13 juillet 1880.
[7] Courrier de l’Ain des 24 et 27 juillet 1880.
[8] Né à Longwy (Meurthe-et-Moselle) en 1837, mort à Capbreton (Landes) en 1916.
[9] Il a été maire de Bourg de 1880 à 1882 et le sera à nouveau de 1888 à 1900.
[10] Extraits du Courrier de l’Ain des 14 et 16 octobre 1884. Les deux Corses sont Napoléon Bonaparte qui a réussi son coup d’État du 18 brumaire grâce à l’aide de son frère Lucien, président du Conseil des Cinq Cents.
[11] Courrier de l’Ain des 25 janvier 1891 et 19 janvier 1899.
[12] Courrier de l’Ain du 6 juin 1897.
[13] Sommet stratégique à 627 mètres d’altitude, dans le Massif de l’Ormont, dominant trois vallées.
[14] Pour le 23e R.I., le C.R.I.D. signale 96 arrestations et le Conseil de guerre prononce 8 peines aux travaux forcés et une condamnation à mort, un soldat de 19 ans natif de la Somme, dont la grâce a été refusée par le président Poincaré. C.R.I.D., la bataille de l’Aisne (avril-mai 1917).