AVANT LE MUSÉE DE BROU, LES MUSÉES LORIN ET GUILLON

Le 30 avril 1922, le "Musée de l’Ain" était inauguré à Brou. Il prenait la suite du "Musée Lorin" et mettait fin au "Musée Guillon", installés au centre-ville de Bourg… Ce centenaire de Brou est l’occasion d’évoquer l’histoire de ses deux prédécesseurs.

L’idée de préserver les œuvres d’art dans des collections publiques naît sous la Révolution. Si, à l’automne 1792, l’Assemblée autorise, par décret, la destruction des symboles de l’Ancien Régime, un autre décret assure, au contraire, la conservation des chefs-d’œuvre d’art menacés par le vandalisme. Aussi, en octobre 1793, les monuments transportables intéressant les arts et l’histoire seront-ils transférables dans le musée le plus proche [1].
Par la nationalisation des biens des églises, la confiscation de ceux d’émigrés et les saisies effectuées lors des guerres révolutionnaires, beaucoup d’œuvres sont rassemblées à Paris. Le Louvre, Museum central des arts, ne peut les accueillir toutes. Bonaparte, Premier Consul, demande à son ministre de l’Intérieur, d’en répartir une partie dans de grandes villes de province, à charge pour elles de les recevoir et d’organiser leur galerie ou musée. Par l’arrêté du 13 fructidor an IX (31 août 1801), Jean-Antoine Captal (1756-1832) est ainsi considéré comme le créateur des musées de province.
Ce transfert d’œuvres est repris au fil du temps par les différents régimes politiques. C’est ainsi que la ville de Bourg reçoit un tableau de l’État. Il a souffert au cours de son transport et le maire l’évoque au Conseil municipal du 6 mars 1843 : « un tableau de M. Mathieu représentant ʺFrançois 1er visitant l’église de Brouʺ (…) nous a été expédié d’Amiens ; nous l’avons reçu à la fin du mois de septembre de l’année dernière ». Il était accompagné d’un procès-verbal établi à Chalon-sur-Saône constatant des dommages qu’ont subi les caisses d’emballage, l’une pour le tableau, l’autre pour le cadre démonté. À l’arrivée, les experts mandatés par la ville confirment que « les avaries sont le résultat de vices d’emballage (…), [que] les dégradations peuvent être réparées ».
Auguste Mathieu (1810-1864) est un peintre dijonnais qui « perpétue le travail de son maître, Pierre-Luc Charles Ciceri, par la représentation de vues de villes et d’intérieurs d’églises, dans une veine romantique [2] ». Le tableau (178 x 210 cm), ayant été placé dans le salon de l’Hôtel-de-Ville, le maire propose de n’engager aucune contestation et de régler les frais d’expédition. Le Conseil acquiesce.

François 1er visitant Brou, par Auguste Mathieu. Inv. 843.1.

La ville n’a pas de musée pour présenter ce tableau. Pourtant, Thomas Riboud (1755-1835), érudit et homme politique local, avait présenté un projet le 14 février 1816 à la Société d’émulation et d’agriculture de l’Ain. Il envisageait de « rassembler des collections d’histoire naturelle des trois règnes, des médailles, des livres et écrits sortis de la plume de nos compatriotes, de produits de notre industrie locale et, enfin, de tout ce qui peut honorer la mémoire des hommes illustres de notre histoire civile et militaire ». À côté des bustes de François 1er, Henri IV [3] et Louis XVIII, Thomas Riboud [4] proposait de réserver « une place distinguée au portrait de Marguerite d’Autriche, à laquelle nous devons le beau monument de Brou [5] ».
Ensuite, dans le Courrier de l’Ain du 22 août 1837, un chroniqueur souhaite que la ville se dote d’une bibliothèque documentaire et le département, d’une « galerie ou musée destiné à donner asile aux monuments ou débris qu’ont laissés sur le sol les races gauloises ou romaines qui nous ont précédés, et à conserver, par des peintures et des dessins, les souvenirs historiques que le temps emporte, l’effigie des personnes célèbres qui font notre gloire, (...) enfin la mémoire des usages, des costumes et des mœurs  ».

Une donation pour un musée

Une lettre du 6 septembre 1853 informe le maire de Bourg que Mme Veuve Lorin, née Frèrejean, du château de Pionneins à Illiat (canton de Thoissey), décédée le 28 août, lègue sa galerie de tableaux, constituée par son mari, décédé en octobre 1847, précédemment avocat et conseiller général [6]. Le testament est lu au conseil municipal du 3 décembre 1853 : « Je donne à la ville de Bourg, sous la direction et la surveillance du Conseil général : ma galerie de tableaux et ceux qui sont à la salle à manger ; mes meubles gothiques et tous les meubles, glaces qui se trouvent dans le salon de tableaux ; les objets d’art, statues, bronzes du grand salon et statuettes de bronze. Outre les objets indiqués ci-dessus, je donne à la ville de Bourg la somme de dix mille francs, payable un an après ma mort, pour l’aider à l’appropriation d’un local et pour la réparation à faire aux tableaux et à leurs cadres. Je donne le portrait de mon mari et celui de mon beau-père pour être placés dans la galerie des tableaux, afin de perpétuer le souvenir de ces deux bons citoyens qui furent si dévoués à leur pays. ».

Portrait (détail) d’André Lorin, où tout indique un homme public cultivé, comme le prouve sa collection d’œuvres d’art. Le document qu’il lit est intitulé "Réquisitions". Inv. 853.103.

Comme « ce legs permettra de former un musée qui sera l’un des plus beaux ornements de la cité et dans laquelle il favorisera l’étude et propagera le goût des arts », le Conseil accepte le legs, remercie vivement la donatrice et décide que le musée portera le nom de Musée Lorin [7].
Ce legs, estimé à 5 000 / 5 500 francs, étant autorisé par un arrêté préfectoral, les œuvres sont transportées le 13 juillet 1854, d’Illiat à Bourg. Une convention du 10 août 1854 en confie l’organisation à Auguste Thierriat, conservateur des musées et du palais des arts de Lyon, et Félix Wileyko, son collaborateur artiste-peintre, pour « l’arrangement de la galerie Lorin, en réparer et restaurer les tableaux, enfin, prendre toutes les dispositions nécessaires pour que la galerie soit digne de la reconnaissance que la ville doit à la donatrice et reçoive du public un accueil flatteur. (…) L’administration municipale exprime le désir que M. Peingeon, professeur de dessin [à Bourg], contribue à la restauration de quelques tableaux que M. Thierriat croira pouvoir lui confier [8] ».
Le musée est inauguré le dimanche 10 décembre 1854 par le maire, Charles Bernard qui affirme : « les arts sont l’un des plus nobles développements et l’une des plus légitimes applications de l’esprit. Ils ont au Louvre leur sanctuaire. (…) Madame Lorin, née Frèrejean, a, dans sa généreuse et intelligente sollicitude, comblé cette lacune [9] » pour la ville de Bourg. Ce musée est décrit dans un Feuilleton [10] d’Auguste Perrodin, jeune peintre local de vingt ans, que publie le Courrier de l’Ain à partir du 12 décembre 1854, en cinq épisodes [11]. Ce désormais Musée Lorin offre en effet un beau parcours dans l’histoire de l’art avec 114 tableaux. Durant les mois de décembre 1854 et janvier 1855, il est ouvert au public les jeudis, dimanches et jours de fêtes de 11 à 16 heures puis, ensuite, les dimanches et jours de fêtes seulement.

Le Grand salon de la mairie

Les œuvres sont désormais installées dans le Grand salon, d’une surface de 81 m2, déjà « décoré, depuis dix ans, de plusieurs tableaux dus à la munificence du gouvernement ». Outre le tableau d’Auguste Mathieu, Auguste Perrodin évoque d’abord l’artiste locale Élisa Blondel (1811-1845), dont la « scène des enfants de Savoie » a été remarquée au salon de 1843, « pour l’expression de cette gracieuse figure, pour la fraîcheur du coloris, la pureté du dessin, le choix de quelques détails ». Le tableau, acquis par l’État après l’intervention d’Adrien de la Tournelle (1803-1860), député de l’Ain, a été remis à la ville [12].
Louis-Charles-Emmanuel de Coëtlognon (1814-1886), préfet de l’Ain depuis avril 1853, a offert une « Vénus apparaissant sur un nuage à Vulcain, un des tableaux mythologiques [qui] représentent dignement la haute école française, où la dynastie des Coypel [13] y tenait le spectre ». L’œuvre est attribuée à l’un de ces peintres mais cette erreur sera rectifiée par la suite, comme pour d’autres tableaux non signés.
L’exécuteur testamentaire de Madame Lorin, Charles Merlino, conseiller général, remet le portrait de la généreuse donatrice, un pastel d’Anna Félix (Bourg 1827-Lyon 1863), qui « reproduit parfaitement l’accueillante physionomie de la châtelaine d’Illiat », et le « martyre de Saint-Barthélemy (…), unique tableau de l’école espagnole, peut-être la perle de la collection », attribué à tort à José de Ribera [14] (1591-1652).
Philippe Smith, professeur au collège, né en Hollande en 1763 et décédé le 28 mars 1847 à Bourg [15], a légué « un paysage fait à Rome, (…) qui n’est pas sans mérite », attribué à (?). Son collègue, Cotton, ancien professeur du cours municipal de dessin, a offert une « Léda », une huile de l’école française [16], se rattachant à François Boucher (1703-1770). Antony Viot (1817-1866), peintre, est le troisième artiste local à offrir « un joli tableau, signé Van Romeyn ; c’est une escarmouche (…) engagée avec acharnement entre trois cavaliers ». Ce peintre (1624-1694) appartient à l’école hollandaise.
L’école italienne est représentée par un tableau grâce à un don de Victor Bernard : « Judith présentant la tête d’Holopherne. Le peintre n’a pas cherché la vérité des costumes mais les qualités de couleur et de modelé feraient attribuer cette toile à Giorgione. Les guerriers l’entourent et la félicitent. Une émotion profonde est peinte sur le visage de Judith qui va tirer du sac son affreux trophée ». (854-2) Initialement, l’inventaire l’attribuait à Pietro della Vecchia (1605-1678). Victor Bernard a aussi remis deux tableaux de l’école hollandaise, des « satyres et nymphes ».
Auguste Perrodin termine ses chroniques en évoquant brièvement l’Apollon du Belvédère (une copie d’antique) et un « très beau meuble de la Renaissance, placé entre les deux fenêtres ». Il signale enfin que l’autoportrait d’Élisa Blondel « appartiendra, un jour, à la ville ». Sa sœur Marie Françoise Émelie le conserve jusqu’à son décès [17].

Des dépôts, des legs

L’État poursuit sa politique de dépôts et Bourg reçoit notamment, en 1856, « Les Athéniens livrés au Minotaure » de Gustave Moreau (Paris 1826-1898) ; « La clairière aux biches » d’Antoine Chintreuil (Pont-de-Vaux 1814-Septeuil 1873) et, en 1858, une « Gardeuse de vache » par Jean-François Millet (Gréville-Hague 1814-Barbizon 1875).

Lors du dépôt, sous le Second Empire, ce tableau de Jean-François Millet était intitulé "la gardeuse de vache". Inv. 9-859.1.

À défaut d’acquérir des œuvres, les édiles espèrent que le musée suscite des dons. Quelques-uns sont mentionnés lors des conseils municipaux. Ainsi est enregistré, le 14 août 1865, le legs de M. le Baron Passerat de la Chapelle, « maire de Saint-Jean-le-Vieux, membre du Conseil général qui a légué, au Musée de Bourg, un tableau de la Belle Joconde [18] par Léonard de Vinci (suivant le donateur), deux vues du château de Daix et de ses environs, peintes par Lallemant, vers 1710, une statuette en bronze de sa majesté Napoléon III par Félix Roubaud [19] ».
Peu après, le 22 décembre 1866, « le maire, en signalant la lacune remarquée dans le Musée de Bourg qui ne possédait aucun tableau de M. Antony Viot, qu’une mort prématurée et récente a enlevé à l’art, annonce que Madame Viot vient de combler cette lacune en faisant don à notre Musée d’un grand paysage de notre artiste regretté ». Antony Viot, né à Rodez en 1817, a été bressan à partir de son arrivée à Bourg où il a été élève du collège. Il y est décédé le 19 juillet 1866. Le tableau offert représente un paysage du Bugey

Ce "Paysage du Bugey" d’Antony Viot a été offert par sa veuve. Inv. 866.3.

Après une dizaine d’années, Bernard Peingeon, le conservateur du musée, constate que, si « la ville de Bourg se trouve en possession d’un musée qui, soit par le nombre de peintures, soit par la valeur artistique de plusieurs et la rareté de quelques-unes, occupe un rang honorable parmi les musées de province (…), il est insuffisant, mal éclairé, il subit des altérations d’humidité et de chaleur torride qui compromettent gravement les peintures ». Il suggère de le déplacer au second étage de l’ancienne préfecture où « le grand salon et des pièces attenantes offrent de bonnes conditions sous le rapport de la contenance et de la conservation [20] ». Le transfert est effectué au cours de l’année 1867 et, en juin 1875, des vitrines sont installées pour l’exposition de faïences et objets d’art.

Subvention pour un triptyque

Un bâtiment de la ville dispose d’une œuvre majeure, évoquée au conseil municipal du 22 décembre 1866 : « tous les amateurs de peinture dans notre ville ont admiré un tableau ancien appartenant à la fabrique de l’église Notre-Dame et attribué généralement à Albrecht Dürer. Le conseil de fabrique, appelé à prendre une décision concernant ce tableau dont l’état de délabrement exige des réparations urgentes, a pensé qu’il importait, avant tout, de conserver, dans notre ville, cette œuvre magnifique et que la meilleure destination à donner à ce tableau était de la placer dans le musée(…). Ce serait une précieuse occasion d’enrichir notre Musée d’une œuvre capitale, enviée par plusieurs musées et qui se rattache à l’histoire de notre contrée.
Ce tableau (…) a été donné par Marguerite d’Autriche à l’église de Brou. Les uns l’attribuent à Albrecht Dürer, d’autres à son maître Volhgemuth, d’autres à Emmeling [Memling ?] mais, quel qu’en soit l’auteur, c’est un tableau du plus grand prix, qui sera le principal ornement de notre musée et qui, nous n’en pouvons douter, attirera un grand nombre de visiteurs étrangers.
 » La délibération ne le mentionne pas mais, en échange, la ville accorde une subvention à la fabrique de 14 000 francs payable en six annuités [21].
À la suite d’un rapport établi par Bernard Peingeon, le conseil du 9 novembre 1869 vote un premier crédit de 1 500 francs et consent « à envoyer le tableau à Paris et à prendre toutes les mesures nécessaires pour que ces réparations soient faites dans les meilleures conditions ». Le coût de la restauration, évoquée le 19 septembre 1871, s’élève à 7 674,75 francs mais, le 29 juin 1872, le maire annonce qu’il a obtenu une transaction à 5 500 francs.

"Jérôme gravement malade en sa jeunesse", panneau de gauche du triptyque consacré à la vie de Saint-Jérôme. Photographie Carine Montfray. Inv. 866.2.

De l’archéologie

En février 1869, la carrière de Brou délivre d’étonnants vestiges antiques, confiés à des orfèvres de la ville. Aussi M. Corsin consent-il à céder le bracelet en or massif pour la valeur du poids du métal (275 francs) et M. Bonnet offre-t-il les deux boucles d’oreilles [22].

Bracelet en or, trouvé dans une gravière de Brou en 1868. Inv. 940.51.

Ce ne sont pas les premières pièces antiques ou archéologiques du musée. L’année précédente, Claude-Eugène Chanut, entrepreneur et membre du conseil municipal, avait remis « une magnifique tête de reptile antédiluvien, trouvée dans les carrières de Montmerle, commune de Treffort, dans les couches de la période jurassique. Cette tête fossile, d’une conservation parfaite et d’une grande valeur scientifique, appartient à un saurien, espèce de crocodile très probablement du genre des téléosaures [23] ». Au même moment, Étienne Guillon, avocat et aussi membre du conseil municipal, a offert « un poisson fossile, très bien conservé et qui, quoique d’une époque moins ancienne que le téléosaure, n’est pas moins précieux, pour commencer la collection municipale ».
Le souhait de voir la création d’un musée archéologique est exprimé depuis 1861, « pour empêcher la dispersion de la plupart de nos objets antiques, enlevés par de nombreux amateurs étrangers qui arrivent chaque jour dans notre ville [24] ».
Au début des années 1870, le musée s’enrichit de trois tableaux d’Antony Viot, remis par la préfecture où ils n’étaient vus « que par le préfet et ses amis », d’un « vautour Ténériffe empaillé » de la part d’un naturaliste puis « des collections d’histoire naturelle (minéralogie, paléontologie, ornithologie, conchyliologie) » de la Société d’émulation de l’Ain ou encore de fossiles envoyés par un ingénieur des Ponts-et-Chaussées en poste à Galatz (Roumanie). Par contre, le conseil municipal s’oppose à la vente, par l’intermédiaire d’un notaire, « pour une personne non dénommée qui offre 4 000 francs pour un petit bahut à trois pieds en vieux chêne sculpté [25] ».
En 1875, paraît une notice de 64 pages intitulée Notice des tableaux exposés dans le Musée de Bourg. Le musée comprend alors 163 tableaux, 25 plâtres, différents objets en or, argent, bronze et fer, une collection d’oiseaux, de riches échantillons de minéralogie, de fossiles, de coquillages. Le crocodile antédiluvien est de retour de Caen ou il a été traité et analysé par le laboratoire de la faculté des sciences.
Expédié en 1870, il y est resté cinq ans. En 1873, le professeur Deslonchamps répond à un courrier du maire de Bourg à propos de « la magnifique tête de crocodilien fossile » : « j’ai déjà vu bien des pièces paléontologiques mais je dois vous avouer que je n’ai jamais rencontré des difficultés aussi grandes pour dégager le fossile de l’épouvantable gangue qui l’entoure. Il m’a fallu prendre des précautions inouïes pour ne rien endommager. La gangue était un calcaire plus difficile à entamer que le véritable silex et les os étaient friables. (…) La nouvelle espèce à laquelle appartient la tête de l’animal de Bourg portera le nom de ʺSteneosaurus Burgensusʺ, en l’honneur de la ville qui possède un si beau joyau archéologique ».

Une pièce exceptionnelle de paléontologie, offerte par M. Chanut en 1868. Deux vertèbres soudées sont posées à côté de la tête. Photographie parue dans "Le département de l’Ain", par M. Janin, de 1931.

Le géologue ajoute que ce fossile peut être estimé à plusieurs milliers de francs. La restauration se poursuit et ce « joyau paléontologique » quitte Caen le 22 mai 1875, la mairie ayant demandé son retour pour l’exposer à l’occasion du concours agricole. Il est endommagé durant son transport par un manque de soin à l’emballage. Après une visite en 1883, un géologue de la faculté de Lyon s’étonne qu’un fossile de si grand intérêt « se trouve abandonné au milieu des tableaux, tout au plus avec quelques oiseaux et quelques coquilles, sans étiquette indiquant au moins sa provenance ». Il souhaite que cette pièce soit confiée à la faculté des sciences de Lyon, « sa seule destination vraiment utile [26] ».

UN DEUXIÈME MUSÉE, LE MUSÉE GUILLON

Une nouvelle donation

Charles Guillon, ethnologue, est prêt à offrir à la ville sa collection, « à la condition qu’elle fournisse le local convenable et nécessaire à l’exposition de tous les objets qui la composent. De plus, sous même condition, Monsieur l’abbé Tournier et moi, offrons une importante et très intéressante collection préhistorique, qui est le résultat des recherches auxquelles nous nous sommes livrés depuis plusieurs années dans le département ». Le conseil municipal du 17 décembre 1896 accepte cette donation qui « viendra compléter et agrandir considérablement la collection archéologique du Musée Lorin et lui donnera un intérêt beaucoup plus grand ».
Cette donation s’inscrit dans une période où « de tous côtés, en France et à l’étranger, on cherche à rétablir les traditions perdues, à faire revivre, par des collections, les mœurs et les usages du passé ». Le poète Gabriel Vicaire avait développé le même thème dans sa préface à l’ouvrage, Chansons populaires de l’Ain, de Charles Guillon, publié à Paris en 1883. Et l’Exposition universelle de 1900 à Paris présente « un musée centennal du costume où toutes les modes locales des anciennes provinces se trouvent représentées ». Pour cela, des éléments de la collection de Charles Guillon sont sollicités mais la ville refuse de prendre le risque de les détériorer dans les transports [27].
La ville a trouvé un local adapté et, le 11 octobre 1900, le maire propose « maintenant que le bâtiment de la halle aux grains est complètement terminé, de procéder à l’installation de la collection de M. Charles Guillon, dans le local qui lui est destiné, au premier étage du pavillon sud-est de l’établissement ». Une commission est nommée et elle intégrera la collection de M. Portier, de Paris, « qui se compose d’un certain nombre d’objets intéressants, ayant trait aux us et coutumes bressans anciens ».

Cette carte postale indique la présence du "Musée Guillon" dans la Grenette. Les fenêtres de ses deux salles sont repérées. A.M. Bourg. 617W175.
L’Abbé Tournier et Charles Guillon ont publié le résultat de leurs recherches dans la grotte des Hoteaux . Auparavant, Charles Guillon avait répertorié les chansons de Bresse et Bugey. Dans la préface, le poète Gabriel Vicaire souligne l’intérêt d’une telle recherche..

Un engouement

Installé dans deux pièces (totalisant 75 m2), le musée est inauguré le 14 avril 1901. Le maire rend d’abord hommage à Charles Guillon, « le disciple si dévoué au folklorisme, le chercheur patient » et à l’abbé Tournier, son collaborateur. Ensemble, « avec une patience, une rare perspicacité, ils ont visité, fouillé, scruté les cavernes principales du Bugey et arraché à la terre qui les recouvrait, le secret de la vie (…) de l’homme des cavernes. (…) À ces collections, vous avez ajouté ces merveilleux costumes de notre ancienne Bresse [28] ».
Ses remerciements s’adressent aussi à « M. Portier, un Bressan exilé à Paris » et à Mme Fornet pour « un don superbe qui fait revivre, à l’aide de bijoux rares, l’histoire de l’émail bressan » en l’honneur de son mari Amédée Fornet, à qui les émaux bressans doivent leur réputation de par le monde. Le maire termine son allocution en espérant « que de nouveaux dons viendront augmenter les richesses de ce musée [29] ».
Ces dons ne tardent pas et certains sont directement liés à des événements locaux de l’Ancien Régime pour une montre ou à la période napoléonienne pour la bourse d’une mariée. Le musée reçoit des ossements de mammouth trouvés dans le lit de la Reyssouze à Mantenay, des fragments d’ours des cavernes trouvés dans une grotte à la frontière de l’Ain et du Jura, puis des objets divers comme « un antique chapeau de paille, plusieurs tabliers de soie d’une grande richesse, plusieurs garnitures de berceau d’enfant, un bourrelet d’enfant en soie brodée d’argent, un éventail brodé de paillettes, nombre de bonnets d’enfant richement ornementés, une saucière et un mortier en faïence de Meillonnas, etc, etc [30] ».

La grotte des Hotteaux, près de Rossillon, fouillée par l’Abbé Tournier et Charles Guillon. Photographie extraite de l’ouvrage "Les hommes préhistoriques dans l’Ain". Bourg. 1895.
Bâton percé et gravé d’un cerf bramant. Bois de renne, 24,8 mm de long. inv. 945.232.


Vers un regroupement

Au début de l’année 1904, les 1 800 objets des deux musées s’entassent dans sept pièces, cinq au Musée Lorin et deux pour le Musée Guillon. Tout est à l’étroit et de nouveaux locaux sont nécessaires. L’opportunité arrive avec la loi de séparation des Églises et de l’État et les séminaires doivent libérer les bâtiments publics. Celui du diocèse de Belley quitte l’ancien monastère de Brou le 21 décembre 1906 et il faut lui trouver une nouvelle destination. Lorsque le sous-secrétaire d’État aux beaux-arts, Étienne Dujardin-Beaumetz, vient inaugurer le square Lalande le 18 avril 1909, les élus locaux l’attendent en gare pour le conduire d’abord à Brou pour la visite de l’église et « étudier la meilleure affectation qui conviendrait aux bâtiments contigus ». Comme l’inauguration du square se termine avant midi, le cortège officiel visite le Musée Lorin et, dans son discours lors du banquet officiel, M. Dujardin-Beaumetz, surpris du « grand nombre d’œuvres de valeur » du Musée Lorin, affirme « qu’il fera tous ses efforts pour compléter l’intérêt de l’admirable monument de Brou en y faisant placer, à côté, le musée de Brou [31] ».

Le chauffeur s’installe au volant et les personnalités quittent Brou après leur visite du 18 avril 1909. Photographie parue dans "Le Carillon".

Les bâtiments sont été remis à l’administration des Beaux-Arts par un décret du 20 novembre 1908 mais, dans un premier temps, l’armée investit l’ancien séminaire et ne le quitte qu’en janvier 1913. La transformation des locaux pourrait être envisagée mais le service militaire est porté de deux à trois ans par une loi d’août 1913. L’armée, qui a besoin de locaux pour accueillir le surplus d’effectifs, s’installe à nouveau à Brou.
Charles Guillon a-t-il suivi ces événements ? Il décède le 20 décembre 1913 et il repose au cimetière de Bourg-en-Bresse, dans la sépulture familiale.
Durant cette même période, le député de Bourg-en-Bresse, Pierre Goujon, a offert, au Musée Guillon, "La Bressane", l’effigie d’un magasin de Lyon qu’il avait achetée chez un brocanteur [32]. Aujourd’hui, cette enseigne restaurée est l’emblème du Musée des saveurs de Saint-Cyr-sur-Menthon (Ain).

Au cimetière de Bourg, la sépulture où est inscrit Charles Guillon. Son épouse décède en avril 1939 à Sainte-Madeleine. Ils n’avaient pas d’enfants.

La guerre survient en août 1914 et l’ancien séminaire accueille, en mai 1917, l’hôpital militaire auxiliaire 203, installé au Lycée Edgar Quinet depuis le début des hostilités. Les malades et blessés y restent jusqu’en juillet 1919. Le dossier du musée est repris, la ville a enregistré de nouveaux dons dont celui de Prosper Convert, « admirateur passionné des usages et costumes d’autrefois (…) [qui souhaite être] encore de ce monde le jour où l’on viendra prendre livraison (…) de ses antiquités et vieilleries bressanes [33] ».
Le transfert des œuvres et objets s’effectue au début de l’année 1922 et le Musée de l’Ain est inauguré au cours de la grande journée du 30 avril 1922. Alphonse Germain conduit la visite du nouveau musée. Dans le guide édité peu après [34], il en explique l’organisation : « Peintures, dessins, meubles, vestiges archéologiques, fossiles, costumes et objets bressans, séries de l’histoire naturelle, souvenirs de la Grande Guerre, ont été classés dans les galeries du premier étage. En bas, la belle salle à croisées d’ogives, jadis le réfectoire, groupe diverses sculptures ; la salle d’études et la vaste cuisine abritent, l’une le matériel agricole, l’autre une habitation bressane. »

Collection de Charles Guillon transposée à Brou, en 1922. Photographie Alphonse Germain.
Un vaste programme pour deux journées de manifestations dans l’immédiat après-guerre. Les musées concernent le "Musée de l’Ain" et le "Musée Gustave Lambert" en l’honneur d’un hydrographe de Grièges (1824-1871), engagé volontaire, mort pendant la guerre franco-prussienne. A.M. Bourg. 4R5.

Le musée parcourt les décennies, sous la direction de personnalités locales puis avec un premier conservateur professionnel, Françoise Baudson, nommée en 1946. Aujourd’hui, il est un ʺbeauʺ centenaire, toujours agréable à parcourir…

Rémi Riche

Mars 2022

Avec la collaboration d’Anne Autissier, Magali Briat-Philippe, Claude Brichon, Martine Cividin, Michèle Duflot, Françoise Ferrand, Gyliane Millet et Romuald Tanzilli.
Archives départementales de l’Ain.
Archives municipales de Bourg.
Médiathèque É & R Vailland.
Musée du Monastère royal de Brou.

Document à télécharger

Photos

[1D’après l’article L’histoire de la protection des monuments historiques, sur le site du Sénat.

[2Magali Briat-Philippe, conservatrice du musée de Brou, La visite de François 1er à Brou, dans Chroniques de Bresse n°3-2010, en annexe, à la fin de cette chronique.

[3Ces deux rois ont rattaché la Bresse à la France mais par les armes et le sang, le premier de 1536 à 1559, le second, définitivement, en 1601.

[4Comme beaucoup d’hommes politiques de son époque, il a servi sa circonscription en étant successivement royaliste, révolutionnaire, bonapartiste puis, à nouveau, royaliste.

[5A.D. Ain. Bibliothèque E276-2. Un portrait de Marguerite d’Autriche ne sera acquis qu’en 1975.

[6Voir sa biographie, parue dans le Courrier de l’Ain du 5 octobre 1847, à la fin de cette chronique. Celle de Madame Lorin est parue le 3 septembre 1853.

[7A.M. Bourg-en-Bresse. 1D23.

[8A.M. Bourg-en-Bresse. 4 R1.

[9Courrier de l’Ain du 12 décembre 1854.

[10Voir ce document à la fin de cette chronique.

[11Voir aussi le remarquable article de Michèle Duflot, écrit en 2003, dans l’ouvrage 1853 : un musée est né !.

[12Lettre du 29 avril 1843. A.M. Bourg 4R16. L’artiste bénéficie d’un mausolée au cimetière de Bourg, élevé grâce à une souscription publique.

[13Dynastie de quatre peintres, peut-être la plus importante dans l’histoire de l’art français aux XVIIe et XVIIIe siècles (de 1628 à 1752).

[14En face de ce tableau, la mention « mauvaise copie » a été inscrite sur l’inventaire de Brou.

[15Pour ce don, la ville accorde la concession gratuite de la tombe à la fille du professeur en juin 1850. A.M. Bourg. 1D23.

[16Auguste Perrodin n’évoque pas ce tableau. Était-il exposé ?

[17Conseil municipal du 14 juin 1847. Cet autoportrait n’étant pas entré au musée, l’accord s’est-il perdu avec le temps ?

[18Ce tableau sera volé en 1938.

[19Jean-Baptiste Lallemand (Dijon 1716-Paris 1803). Félix Roubaud (Cerdon 1824-Lyon 1876). Pour le bronze de Napoléon III, l’inventaire indique François Roubaud (n. b : frère de Félix) et « disparu ».

[20Rapport du conservateur Bernard Peingeon du 14 décembre 1866. A.M. Bourg. 4R8.

[21Arrangement mentionné dans la délibération du 19 septembre 1871 ; « cette subvention n’était en réalité que le prix d’achat du tableau ».

[22Journal de l’Ain des 5 et 22 mars 1869. Conseil municipal du 19 mars 1869.

[23Genre de crocodiliens piscivores du Jurassique. Journal de l’Ain du 22 avril 1868 pour la découverte et Conseil municipal du 30 mai 1868 pour le don.

[24Journal de l’Ain du 21 mai 1861.

[25Conseil municipal des 1er avril 1873 et 16 novembre 1872.

[26Lettres au maire de Bourg de Caen du 5 février 1873 et de Lyon du 10 février 1883. A.M. Bourg. 4R16.

[27Article du Lyon républicain du 26 novembre 1896, courriers des 3 février et 25 juin 1900. A.M. Bourg. 4R3.

[28M. Fongond, des Magasins Fongond, a aidé, avec un « goût délicat », à l’installation des costumes.

[29Courrier de l’Ain du 16 avril 1901.

[30Courrier de l’Ain des 7 juin et 25 août 1901.

[31Courrier de l’Ain du 20 avril 1909.

[32Courrier de l’Ain du 13 octobre 1912.

[33Sa lettre du 15 novembre 1916. A.M. Bourg. 4R16.

[34Le Musée de Bourg, par Alphonse Germain, dans Collections publiques de France. Éditions Henri Laurens. Paris. (non daté).

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