La crise municipale de 1880-1882 à Bourg

La mise en œuvre du testament de Joseph Marie Carriat a généré une grave crise municipale, allant jusqu’à la démission du maire Vincent Triquet, en octobre 1880, à la demande du préfet, dont l’intervention a été sollicitée par les opposants, dès mai 1880.

Notre article "Notes discordance autour de Carriat" [rubrique 63] explique comment Jean-Marie Verne est arrivé à la tête du conseil municipal. Son équipe garde sa légitimité lors des élections générales des 9 et 16 janvier 1881. La municipalité est installée le 4 février avec Jean-Marie Verne, maire, et le préfet invite le conseil à oublier les escarmouches de la campagne électorale. Les débats semblent apaisés.

Le conseil municipal gère les affaires mais Eugène Chambaud, influent directeur du Progrès de l’Ain, qui s’est beaucoup impliqué dans les dernières élections en faveur des républicains, démissionne en novembre 1881. La presse locale n’évoque pas ce fait.

Jean-Marie Verne aura été le premier maire élu par son conseil municipal, mais à titre officieux, le 25 janvier 1881. Courrier de l’Ain du 27 janvier 1881.

Premières escarmouches

Les séances s’enchaînent jusqu’au 13 janvier 1882. Là, le maire propose de voter 1 000 francs au Conseil général pour compenser un loyer pour les cours de l’École normale des filles qui, d’une aile de l’école de filles du faubourg Saint-Nicolas, s’installe dans les locaux de l’Hôtel du Midi, place Joubert. L’affaire s’appuie sur des engagements oraux du précédent maire. Certains élus ne sont pas d’accords car la somme pourrait être utilisée à l’entretien des rues. Un vote à bulletins secrets est demandé et la proposition est adoptée par treize voix contre neuf.

Les opposants démissionnent les uns après les autres. Cette affaire est la goutte d’eau qui fait déborder un vase plein d’anciennes rancœurs. Depuis plus d’un an, elles ont été nourries de la lutte entre les républicains modérés, les républicains radicaux et les conservateurs, non représentés au conseil municipal. Ces sensibilités s’expriment à travers les journaux locaux, respectivement le Courrier de l’Ain, le Le Progrès de l’Ain et le Journal de l’Ain.
Paradoxalement, le Courrier de l’Ain publie les copies des courriers envoyés, et non publiés, au Journal de l’Ain, les réponses, les contre-réponses et les diverses invectives.

Multiples élections particulières

Les règles électorales d’alors n’ont pas la rigueur d’aujourd’hui. Elles se déroulent sans la participation des femmes, sans campagne officielle, sans dépôt préalable des candidatures en préfecture. Les listes, qui peuvent être incomplètes, sont parfois établies au cours d’une dernière réunion, le jeudi ou le vendredi soir précédant le dimanche de l’élection. En outre, comme tous les électeurs ne savent pas lire et écrire, les listes imprimées, sans contrôle, sont importantes, même sans l’accord formel de tous les candidats.

Ces pratiques se vérifient lorsque le préfet convoque de nouvelles élections, le 12 février 1882, pour compléter le conseil municipal. Elles suscitent peu d’intérêt. Sur les 3 064 inscrits, seuls 428 électeurs se déplacent et répartissent leurs suffrages sur plus de deux cents noms. Huit jours plus tard, les 620 votants permettent l’élection des huit conseillers nécessaires qui n’acceptent pas leur mandat.

Les républicains sont divisés, la démocratie locale est un champ de ruines et Pierre Barbier du Courrier de l’Ain en fait porter la responsabilité à Eugène Chambaud du Progrès de l’Ain pour ses agissements depuis 1881 [1]. Peu après, incomplet, le conseil municipal se réunit. Une démission collective s’impose et MM. Verne et Cocard, maire et adjoint, adressent leur démission au préfet. Un décret ministériel fixe de nouvelles élections au 26 mars 1882.

Courrier de l’Ain du 23 février 1882.

Sursaut démocratique

Quinze jours avant, « un groupe nombreux d’électeurs, appartenant à toutes les nuances du parti républicain, s’est réuni sous la présidence de M. Tony (Antoine) Belaysoud, pour établir un programme (…) et fait appel à la concorde et à l’union de tous les citoyens. » Une liste est établie le 23 mars mais seuls 280 électeurs se déplacent (moins de 10 %) le 26 mars 1882.
Le second tour connaît plus de participation avec 1 366 votants. L’appel au civisme a-t-il porté ses fruits ou est-ce le résultat d’un incident électoral ? Il a été distribué des listes où cinq noms ont été rayés et remplacés par d’autres, dont celui de Jean-Marie Verne, ancien maire, non candidat. Ce dernier intervient aussitôt pour saisir les bulletins modifiés, distribués à l’entrée du bureau de vote. La manœuvre frauduleuse connue en ville, des électeurs se seraient alors précipités pour voter.

Le programme établi sous l’égide de Tony Belaysoud. Courrier de l’Ain du 16 mars 1882.

Encore des soubresauts

Vingt-trois conseillers sont élus aux côtés des quatre qui s’étaient maintenus. Le 11 avril 1882, le conseil municipal élit Antoine Belaysoud comme maire, par treize voix contre neuf à Vincent Triquet. Aussitôt, Antoine Belaysoud envoie « sa démission au préfet, motivée par la difficulté qu’éprouve le conseil à constituer une municipalité homogène ». L’annonce est faite trois jours plus tard lors d’un court conseil municipal.

L’assemblée municipale est donc réunie le 21 avril pour, à nouveau, « procéder, sans débat, au scrutin secret et à la majorité absolue des suffrages, à l’élection du maire ». Parmi les 21 bulletins exprimés, Antoine Belaysoud, avec 12 voix, devance Vincent Triquet, 8 voix. M. Belaysoud refuse formellement les fonctions de maire.
Au second tour, 13 bulletins sont blancs ou nuls et Vincent Triquet obtient 8 voix. Au troisième tour, 15 bulletins sont blancs ou nuls et Vincent Triquet, rentier, est élu maire avec 8 voix. Les adjoints M. Hyvernat, négociant, et Antoine Belaysoud, négociant, sont élus avec 19 et 18 voix.

Paradoxalement, avec un maire élu par moins d’un tiers des conseillers, le conseil municipal s’active pour gérer les dossiers. La crise est terminée. Elle s’est déroulée dans une période particulière où la République cherche à consolider ses bases laïques. À la différence d’une Assemblée nationale composée de conservateurs et de républicains, le conseil municipal de Bourg n’est constitué que de républicains, de différentes sensibilités. Quelle a été la nature même de la crise ? Crise politique ou querelle de personnes ? Plus d’un siècle plus tard, il est difficile de démêler l’écheveau.

Le mandat du conseil municipal s’achève en 1884. Le maire, Vincent Triquet ne se représente pas et Antoine Belaysoud lui succède. De tous les protagonistes, la mémoire retient Jean-Marie Verne par la rue qui lui est attribuée, en 1968. Maire de 1888 à 1900, il réalise la Percée de l’avenue Alsace-Lorraine, déjà étudiée lors de cette crise municipale.

Sources :
Délibérations du conseil municipal de Bourg-en-Bresse.
Presse locale. (Le confinement entraînant la fermeture des Archives départementales, Le Progrès de l’Ain n’a pu être consulté.

[1Courrier de l’Ain du 21 février 1882.

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