Les débuts du vélo à Bourg-en-Bresse et dans l’Ain
Pierre Michaux et son fils Ernest passent pour les inventeurs du vélocipède. En 1861, ils ont l’idée d’ajouter des pédales à la roue avant d’une draisienne. Ce nouveau mode de déplacement s’incruste, fortuitement, dans la vie burgienne en 1866 et conquiert l’Ain en moins de trois décennies.
Première incursion en Bresse
En ce lundi 2 avril 1866, au lendemain des cérémonies religieuses de Pâques, une "cavalcade" – une fête – est organisée à Bourg en faveur des pauvres. Pour sa réussite, une importante publicité à été faite à Lyon par des affiches et des annonces dans la presse. Le député de l’Ain, Léopold Le Hon, a obtenu qu’un "train de plaisir" – un train spécial à tarif réduit – soit mis en place entre Lyon et Bourg par Ambérieu [1]. Dans son édition du 6 avril 1866, le Journal de l’Ain évoque cette arrivée : « Au moment où le train de plaisir de Lyon versait dans nos rues de 500 à 700 personnes s’orientant de divers côtés, on vit trois jeunes gens arriver sur des vélocipèdes, c’est-à-dire sans chevaux ni locomotives, mais chacun d’eux à cheval sur deux roues placées à la suite l’une de l’autre et marchant au moyen d’un mouvement qu’imprime le cavalier à deux pédales.
Partis de Lyon dimanche à 10 heures du matin, ces jeunes gens, franchissant la route sur ces véhicules d’un nouveau genre, sont arrivés à Saint-Paul-de-Varax à la tombée de la nuit et y ont couché.
Ils sont repartis de Saint-Paul lundi à 5 heures du matin et sont arrivés à Bourg vers 10 heures, au milieu de la population étonnée de ce nouveau moyen de locomotion, qui n’est toutefois pas sans fatigue. Dans l’après-midi, les jeunes Lyonnais, transportés sur leur véhicule, ont encore parcouru le faubourg-Saint-Nicolas. ».
L’histoire n’indique pas l’identité de ces voyageurs ni où ont été fabriqués ces "vélocipèdes", ni s’ils étaient identiques. La description que fait le chroniqueur de ce nouveau moyen de déplacement est néanmoins intéressante.
En réalité, ces véhicules sont plus que des vélocipèdes car, selon la définition, « le vélocipède est une machine inventée dans la vue de faire marcher une personne avec une grande vitesse, en rendant sa marche très légère et peu fatigante par l’effet du siège qui supporte le poids du corps et qui est fixé sur deux roues qui cèdent avec facilité au mouvement des pieds. [2] ». Là, des pédales ont été ajoutées à la roue avant mais le terme "vélocipède" reste et restera durant quelques décennies. Ce voyage itinérant, de plus d’un jour, est l’un des tout premiers effectués en France.
<doc1562|center
Le vélocipède s’inscrit-il désormais dans la vie burgienne ? Peut-être ! La presse locale l’évoque à plusieurs reprises. Le Journal de l’Ain du 11 décembre 1868 rapporte l’emballement d’un cheval à la vue d’un vélocipède : est-ce le premier accident de la circulation impliquant un vélocipède ? Il écrit aussi que, « plusieurs vélocipèdes parcouraient notre promenade du Mail » ou que « la plus noble conquête de l’homme, c’est le vélocipède [qui] s’est acclimaté à Bourg avec la vitesse qui lui convient [3] ».
L’intérêt est déjà suffisant pour que le Vélo-Club de Lyon propose que des courses soient organisées sur le Champ de Mars de Bourg, le 19 septembre 1869. Un mois avant, une réunion préparatoire rassemble « 25 vélocipédistes de Bourg [4] ». La pluie s’invite à la manifestation mais le public répond à l’invitation et applaudit des coureurs venus de Lyon, Paris, Marseille, Orange en encore de Voiron. La course réservée aux locaux est gagnée par Louis Belaysoud. Après le programme, « M. Pascaud, de Paris, a fait, avec son vélocipède, des tours extraordinaires de véritable voltige ». L’excédent de l’organisation est reversé au bénéfice des pauvres de la ville.
Ailleurs, on s’interroge sur l’éventualité de doter les militaires de vélocipèdes ou d’en fournir aux facteurs. Partout, l’élan est impulsé mais il est brutalement stoppé par la guerre franco-prussienne de 1870-1871, un traumatisme pour une France qui se croyait plus souveraine.
- Au cours de l’année 1868, cette publicité et l’écho d’un aller et retour Bourg-Ceyzériat sont publiés par le Courrier de l’Ain.
Le temps des améliorations
Concernant le vélocipède, les innovations se poursuivent alors en Angleterre dans diverses directions et dans un contexte d’émulation. James Starley lance d’abord le Grand bi en 1874 mais ce véhicule, avec une roue avant de plus en plus démesurée, exige beaucoup d’équilibre pour son utilisation. Henry John Lawson crée la roue arrière motrice, en 1876-1879, par un pédalier et une chaîne de transmission. Le vélocipède devient alors un "bicycle", ou "bicyclette", avec bientôt des roues au diamètre égal.
« C’est vraiment en Angleterre que se réalise l’industrialisation de ce genre de machines. (...) Les "bis", considérés comme plus élégants, plus racés, conservent de chauds partisans. Mais la bicyclette va s’assurer un avantage définitif lorsque apparaîtront les caoutchoucs "creux", réinventés par John Boyd Dunlop en juillet 1881 ». Dès les années 1885/1886, ces innovations sont diffusées en Angleterre et sur le continent mais il est difficile de les répertorier exactement car beaucoup travaillent à ces améliorations, parfois sans succès. Ainsi, un Écossais avait imaginé le pneumatique 43 ans avant John Dunlop et une transmission par chaîne et pédalier avait été présentée à un Salon de Rouen en 1869 mais ces idées, arrivées prématurément, sont restées sans suite. [5]. La traction par chaîne autorise aussi la diffusion des tricycles, tandems ou autres cycles à plusieurs places alignées.
Malgré ses évolutions, le vélocipède garde son appellation générique et bénéficie du support d’une presse spécialisée dont les premiers magazines sont Le vélocipède à Grenoble et Le vélocipède illustré à Paris, à partir de février et avril 1869. Durant les années 1870, le vélocipède fait l’objet de défis dans la région lyonnaise et de voyages à travers la France, de Milan à Genève par Lyon ou de Lyon à Milan [6].
- Le vélocipède a évolué en grand bi ou tricycle. Le grand bi n’est pas évoqué par la presse locale bressane.
- L’attrait exercé par les vélocipèdes a peut-être suscité la création, par un charron local, de cet étonnant "tricycle". Cette carte, avec une mise en scène soignée, a été éditée au début du XXe siècle.
Dans les Pays de l’Ain
À l’occasion de la vogue du quartier de Bel’Air à Bourg, trois courses de bicycles et une de tricycles – les termes employés – sont organisées le 16 juillet 1882. La course des velocemen de l’Ain est gagnée par Gaillard de Nantua devant Janet de Virieu. Les autres vainqueurs sont des Lyonnais.
Ces courses ne sont pas renouvelées au cours des années suivantes. La presse locale ne publie plus guère d’échos mais le vélocipède est encore un objet onéreux que seuls les gens aisés peuvent acquérir. Sont-ils nombreux à Bourg-en-Bresse, ville passée de 11 552 habitants en 1866 à 18 353 habitants en 1881 et 18 968 habitants en 1891 ? L’arrivée du chemin de fer n’a pas provoqué l’industrialisation d’une cité située au cœur d’une contrée, où les travaux agricoles ne laissent guère de disponibilité à la belle saison pour les loisirs mais le vélocipède se développe néanmoins.
- La presse locale ne publierait pas cette publicité sans une clientèle potentielle.
Premières courses, premiers clubs
De nouvelles courses ont lieu pour la vogue de Bel’Air à Bourg au début du mois de septembre 1888 mais elles ne sont qu’une distraction proposée aux pratiquants du quartier. Par contre, celles de Villars-les-Dombes du 16 septembre 1888, pour les « tricycles, bicycles et bicyclettes » paraissent plus "officielles" et un prix est « offert par la municipalité à M. Chapuy, fils, de Bourg, âgé de huit ans [7] ».
Alors que des courses ont déjà eu lieu à Châtillon-sur-Chalaronne le 31 mai 1891 à l’initiative de l’Union vélocipédique des Dombes, un comité lance un appel à Bourg-en-Bresse et des vélocipédistes se réunissent, le 19 août 1891, pour constituer le Cyclophile Bressan. Le président en est Louis Belaysoud, négociant en fers, vainqueur de la course de Bel’Air de 1882 et déjà président de la Société de tir. Il est secondé par Louis Parant, président de l’Alouette des Gaules, société de gymnastique et d’escrime. Dès le 6 septembre 1891, le Cyclophile bressan organise des courses pour la fête patronale de Montrevel [8] et à Bourg-en-Bresse, à l’automne 1891.
En France, l’évènement de l’année 1891 est la première édition du Paris-Brest-Paris. À l’issue des 1 200 kilomètres, la victoire de Charles Terront est un haut fait de l’histoire du cyclisme [9].
Au printemps de 1892, la société est présidée par Jean Morgon, encore chimiste et futur créateur d’une fabrique de bouchardes ou autres outils de taille de pierre. Peu après, le journal Lyon républicain organise une course de 557 kilomètres, traversant l’Ain dans sa première partie, où Pierre Lavalex, tuilier de 25 ans à La Tranclière (canton de Pont-d’Ain), membre du Cyclophile bressan, termine à la douzième place des 80 coureurs classés. Six mois plus tard, l’armée l’affecte comme vélocipédiste à la section des secrétaires d’État-Major [10].
Vers une année 1892 décisive
La création d’une société au chef-lieu du département s’inscrit dans une floraison d’initiatives. Par exemple, à Trévoux, « des courses vélocipédiques entre les amateurs de la ville, parmi lesquelles une course de lenteur » sont au programme de la fête annuelle d’août 1891 et des « courses de bicyclettes autour du village » à celle de Bouligneux, en Dombes, en septembre 1891.
L’Union vélocipédique des Dombes organise d’abord ses premières courses à Châtillon-sur-Chalaronne le 5 juin 1892 avec, en matinée, un Championnat des Dombes, disputé entre 87 coureurs sur 50 kilomètres. Durant l’après-midi, des courses se succèdent sur « le vélodrome du champ de foire dont l’installation fait le plus grand honneur aux organisateurs ». Le Prix de l’Ain compte 27 engagements ; le Prix de la ville, 92 engagements ; le Prix d’honneur, 10 sociétés de trois coureurs. Le Prix du chemin de fer rassemble 28 jeunes de moins de 18 ans ; le Prix des Dombes, 18 et le Prix des dames est réservé aux militaires qui ne sont que 5 à concourir.
Le 12 juin, le Cyclophile bressan fait disputer le Championnat de la Bresse sur 50 kilomètres et le vainqueur est Reydellet de Montrevel, en 1 h 55 mn.
Le 10 juillet, le Vélo-Club trévoltien organise une série de courses à Trévoux, « par une fête magnifique, une animation extraordinaire dans les rues splendidement pavoisées. Malgré les menaces d’un temps orageux, la pluie n’est pas tombée et les épreuves ont été exécutées dans d’excellentes conditions ». Un Championnat de la Saône est disputé sur plus de 50 kilomètres, le Prix du Vélo-Club est une course de tricycles et le Prix des dames, un exercice d’adresse.
Le 14 juillet est un peu pluvieux à Bourg-en-Bresse. Sur le Champ de Mars, « les vaillants cyclistes, malgré l’état dangereux d’une piste détrempée, tiennent à exécuter une partie du programme qui leur est réservée ». Quelques chutes se produisent dans les virages au cours des trois courses.
Le 31 juillet, la ville de Villars-les-Dombes organise des courses avec un Prix des étangs de 55 kilomètres sur route et diverses épreuves sur un circuit, dont un Prix des dames pour les tricycles.
Le 21 août, en matinée pour échapper à la chaleur, d’autres courses animent la cité de Chalamont où « le fameux pneumatique "increvable" qui, jusqu’ici, n’était guère qu’un rêve, est enfin devenu une réalité. L’honneur de sa découverte revient à M. Fageot, aîné, le constructeur lyonnais. (...) Dans la course de fond du samedi soir, les trois premiers montaient des machines Fageot. C’est, pour les "velocemen", une véritable révélation ».
Si on ajoute des courses vélocipédiques pour les fêtes du faubourg de Mâcon à Bourg en juillet, à Montrevel et Châtillon en septembre, à Mézériat en octobre, un brevet de 100 kilomètres à Bourg en octobre ou encore un vélodrome en construction à Montluel, cette année 1892 est celle où le sport vélocipédique fait une véritable percée dans l’Ain [11].
- À partir de 1892, beaucoup de coureurs bressans utilisent cette bicyclette dont le concessionnaire est lui-même un coureur.
La confirmation dès les années suivantes
La tendance se confirme ensuite avec d’autres courses à Lagnieu, souvent en liaison avec le journal Lyon Républicain, à Montluel avec la participation de plusieurs clubs lyonnais, à Nantua, à nouveau à Chalamont où est créé le Cyclophile dombiste, à Bellegarde pour le 14 juillet, à Meximieux, à Tenay avec le Club vélocipédique de Tenay ou encore à Belley par le Club bugiste de Belley [12]. Lagnieu innove en créant une course réservée aux femmes et elles sont deux à concourir le 25 juin 1893. L’initiative est renouvelée à Chalamont le 15 août 1894, avec encore deux participantes. D’autres courses sont pour les seuls "vétérans", des hommes de plus de 40 ans.
- Une vue de Saint-Paul-de-Varax, au début du XXe siècle, où c’est une femme qui pose sur une bicyclette.
Quelques épreuves se disputent sur 100 kilomètres et Lagnieu, « cité vigneronne, reine du Bas-Bugey, devenue le rendez-vous favori des cyclistes », organise un Championnat de l’Ain de 100 kilomètres, le 10 septembre 1893, sur un parcours, aller et retour, « en direction de Belley, par la vallée pittoresque du Rhône où le fleuve majestueux se déroule comme un ruban d’argent, parmi les prés verts et les grands peupliers [13] ». La vélocipédie suscite le lyrisme !
Le vainqueur, Yvrard, gagne devant un compatriote de Lagnieu et des concurrents de Gex, Tenay et Chalamont. Une polémique naît aussitôt car Cochaud, de Saint-Rambert, régulièrement inscrit, n’a pas été autorisé à prendre le départ, le jury l’ayant considéré comme un résident de Lyon où il travaille.
Les initiatives se poursuivent. Une Société vélocipédique est créée à Bâgé-le-Châtel, en juillet 1894, pour l’ensemble du canton. L’Union vélocipédique bugeysienne a été officialisée et elle inaugure le vélodrome de Nantua le 26 août 1894 [14]. Un Championnat de l’Ain se déroule à Châtillon-sur-Chalaronne le 9 septembre 1894 et le vainqueur, Couturier, devance un compatriote de Bourg et des concurrents de Châtillon et Rillieux. Le championnat suivant se déroulera à Nantua.
Au début de 1895, A. Maréchal, auparavant secrétaire, accède à la présidence du Cyclophile bressan. En juin 1895, à Divonne-les-Bains, l’épreuve de vitesse est « courue par série, avec finale, à laquelle prendront part les premier et second de chaque série ».
En 1895, sont créés un Vélo-Club à Ferney-Voltaire (juillet), le Cycle oyonnaxien (septembre) et le Cercle vélocipédique de Pont-de-Vaux (novembre). Enfin, « pour répondre au désir exprimé par un grand nombre de cyclistes de la région, un groupe de vélocipédistes de Bourg s’est réuni le 3 mars [1896] et a posé les bases d’une nouvelle société vélocipédique. Cette société, qui comprend actuellement 22 adhérents, est dénommée "Vélo-Club" de Bourg [15] ». Par contre, à Pont-de-Vaux, « réunir une quarantaine de personnes aimant et pratiquant la bicyclette est, paraît-il, une impossibilité. Les Pont-de-Valiens, quand ils se groupent, c’est pour se chamailler, comme le veut l’habitude ». Aussi, par 18 voix sur 29 votants, la dissolution du Cercle vélocipédique est-elle décidée dès mars 1896 [16].
- Cette publicité identifie déjà le principal ennemi des bicyclistes, la gent canine.
- Une médaille remise lors des courses de Châtillon-sur-Chalaronne de 1897. Les Chroniques de Bresse l’ont offerte aux Archives départementales de l’Ain.
Le vélocipède s’est démocratisé
Comme le démontrent toutes ces anecdotes, le vélocipède s’est développé sur l’ensemble du département de l’Ain et dans tous les milieux de la société. L’historien Georges Vigarello [17] affirme : « en faisant entrer la vitesse dans le monde des ouvriers, le vélo apparaît comme une sorte de substitut du cheval qui jusque-là demeurait le symbole même de la noblesse. L’ouvrier dispose du "cheval de fer", c’est le mot employé par certains chroniqueurs de l’époque [18] ».
En cette fin du XIXe siècle, les divers clubs sont créés selon les lois républicaines de 1880 [19] mais les Archives départementales n’en gardent pas de traces. Les objectifs qu’ils se sont fixés ne sont donc pas connus précisément. Il est néanmoins à remarquer que les échos de presse ne font pas référence à une quelconque "préparation militaire", qu’évoquent d’autres sports, comme la gymnastique, l’escrime ou le tir.
L’Union vélocipédique de France (U.V.F.) est créée depuis 1881 et elle régit le sport vélocipédique, pas encore appelé "cyclisme". Dans l’Ain, il est pratiqué sous deux formes : selon les règlements de l’U.V.F. ou de façon informelle, sur des initiatives locales pour animer une fête locale ou le 14 juillet. Des Championnats de l’Ain ont déjà été organisés mais, par la difficulté des transports, ils ne rassemblent pas tous les meilleurs éléments et la véritable hiérarchie départementale est difficile à établir.
La fin de siècle se termine par une décision de la désormais Union cycliste de France, applicable au 1er mai 1897 : « sont interdites les réunions de courses qui ne seront pas régies par les règlements de l’Union cycliste de France. Par suite, seront disqualifiés à temps sur toutes les pistes affiliées à l’U.C.F. les coureurs ayant pris part à ces réunions ».
- Au début des années 1890, la vélocipédie se développe par les clubs et les installations. Parfois, il est difficile de savoir comment sont édifiés les vélodromes.
L’expansion se poursuit
La pratique du vélo poursuit sa progression et de nouveaux clubs sont créés mais la loi du 1er juillet 1901, sur les associations, n’impose pas l’inscription au Journal officiel. Toutefois, après toute création, la préfecture demande une enquête de gendarmerie pour connaître les opinions politiques des dirigeants, la République étant toujours sur ses gardes. L’usage est alors de s’assurer le parrainage d’une personnalité reconnue ou de faire figurer la préparation militaire dans les buts de l’association.
Les jeunes employés n’empruntent pas cette voie lorsqu’ils créent, en octobre 1902, l’Union sportive bressane (U.S.B.). Comme le seul but est de pratiquer des sports, dont le cyclisme en premier lieu, ils s’attirent cette condamnation "morale" : « cette société compte 35 membres actifs. Elle n’a d’autre but que la distraction et l’amusement et ne présente aucune utilité publique [20] ». En avance sur leur temps, ils ont une approche qui préfigure le "sport moderne", tel qu’il sera pratiqué durant la seconde moitié du XXe siècle.
Le vélo s’est inscrit dans la vie quotidienne et devient même un moyen utile aux forces de l’ordre. En effet, dans la séance du 16 août 1904, le Conseil municipal de Bourg-en-Bresse vote « un crédit de 400 francs pour l’achat de deux bicyclettes destinées aux agents de police. Ces machines rendront de réels services en assurant journellement la rapidité du service de la police sur le territoire étendu de la commune ».
- Avant le football-rugby, l’Union Sportive Bressane a d’abord pratiqué le cyclisme, ici en 1902. Sans frein, les vélos sont à "roue fixe" et le cycliste au premier plan (X) utilise un important développement.
- Un bel "instantané" de la vie quotidienne au hameau de La Madeleine où figurent plusieurs cyclistes dont une femme (X), en retrait.
Créé en 1903, le Tour de France traverse Bourg dès 1905
Le journal L’Auto lance le Tour de France à partir de 1903, une occasion de s’intéresser au cyclisme dans le secteur Bresse, Val-de-Saône et Revermont. Divers clubs y sont créés [21] : la Pédale du Revermont le 8 mars à Ceyzériat, la Pédale du Suran le 22 mars à Villereversure, la fusion du Cyclophile Bressan au sein du Vélo-Club Bressan le 24 avril, l’Avant-Garde cycliste bressane à Saint-Étienne-du-Bois le 17 mai, le Club sportif montrevellois de Montrevel en juin, une Amicale sportive républicaine à Montrevel et une Union sportive à Marsonnas à l’été,
D’autres sociétés sont signalées : Vélo-Club L’Éclair de Pont-d’Ain, l’Union Sportive de Pont-de-Vaux, l’Union sportive bressane et Bourg-Sport à Bourg-en-Bresse
La lecture du journal nous apprend aussi que le ministère de la Guerre a commandé « 200 bicyclettes spéciales qu’il fera répartir dans différentes légions » de France, que les cycles taxés sont passés de 203 026 en 1894 à 1 206 742 en 1902 en France et que l’Ain, en 1902, comptait « 109 vélocipèdes munis d’une machine motrice et 11 432 bicyclettes ou tricycles actionnés par les pédaleurs [22] ».
Créé en 1903, émaillé d’incidents en 1904, le Tour de France est modifié en 1905. Pour diminuer les parcours nocturnes, les étapes sont raccourcies et leur nombre augmenté. Et, pour la première fois, « les intrépides de la route » traversent la ville le vendredi 14 juillet 1905, au cours de la troisième étape, de 327 kilomètres entre Besançon et Grenoble par Lons-le-Saunier, Bourg et Lyon. Au contrôle fixe installé rue Charles Robin par un correspondant de L’Auto avec l’aide de l’Union Sportive et du Vélo-Club, un premier groupe de 17 coureurs se présente à 8 h 6 mn pour signer la feuille de contrôle. Louis Trousselier (24 ans) gagne la prime offerte par les deux clubs avant de gagner l’étape et ce Tour de France 1905 de 2 994 kilomètres que seuls 24 des 60 coureurs terminent.
Le Tour de France est à nouveau de passage à Bourg-en-Bresse le 14 juillet 1907, sur l’étape de Besançon à Lyon, longue de 309 kilomètres. Au contrôle installé au carrefour de la rue Voltaire et du faubourg de Lyon, « le premier passage a eu lieu à 10 h 51. C’est celui de Cadolle, Georget, Beaugendre et Gannat, arrivés en peloton. Après avoir avalé un réconfortant en moins d’une minute, ils repartent à vive allure ». Cadolle gagne l’étape à Lyon devant ses trois compagnons d’échappée [23].
Le Tour de France traverse à nouveau le département de l’Ain le 16 juillet 1907 au cours de l’étape de Lyon à Grenoble par Cerdon, Nantua et Bellegarde. Ces deux étapes par l’Ain sont renouvelées en 1908, 1909 et 1910.
- Louis Trousselier, en 1905, premier coureur à Bourg et vainqueur du Tour de France 1905. Son vélo est équipé d’un frein à patin agissant sur la roue-avant.
Un vélodrome à Bourg
Toujours en 1903, « une grande fête sportive aura lieu le 7 juin. Le vélodrome du Champ de Mars, qui sera inauguré à la même date, est déjà en partie installé et, chaque soir, de nombreux cyclistes s’exercent aux virages ».
En fin de matinée, le site est d’abord le lieu d’arrivée des courses sur route de Mâcon à Bourg et de Lyon à Bourg. L’après-midi, en présence d’une foule nombreuse, « le spectacle est des plus pittoresques : autour de la piste, sous les frais ombrages des grands arbres, ce sont d’élégantes toilettes d’été, et sur la pelouse, c’est la troupe des coureurs aux costumes bigarrés qui se prépare aux dures épreuves. Plusieurs sociétés musicales prêtent leur concours ; on entend à tour de rôle les excellents morceaux joués par la musique militaire du 23e d’infanterie, par l’Union bressane et par les vaillantes trompettes du Réveil bressan. Les courses, très attrayantes et très disputées, ont lieu en sept séries [24] ».
Ces courses sont renouvelées les années suivantes, avec un succès complet le 5 juin 1904, avec « certainement près de 4 000 personnes ». En 1905, une première journée à lieu le 1er juin, avec la présence du préfet et des autorités civiles, puis une seconde le 4 juin, avec « plus de quinze cents personnes ». Malgré le succès populaire, le bilan final est juste équilibré.
Sur le plan sportif, en trois années, ces courses ont permis à des coureurs locaux d’acquérir de l’expérience et les Joseph Quessard, Louis Mouthier ou autre Victor Marmont réaliseront d’honorables parcours.
Ces courses sur vélodrome se poursuivent, sur une ou deux journées, chaque année, jusqu’à la veille de la Grande Guerre, avec souvent la participation de "professionnels" de Lyon ou de Paris. Elles sont un événement annuel important de la vie bressane.
Une communauté de pratiquants
Le vélo s’est développé et il est pratiqué sous diverses formes, de l’utilité au loisir et au sport. Les nombreux clubs encouragent la pratique du vélo par l’accueil de nouveaux membres et par l’organisation de courses adaptées à leurs capacités, sur de courtes distances. En outre, la création d’un club participe à l’apprentissage de la démocratie par les votes aux assemblées, le partage des tâches, l’élaboration des projets lors des réunions ou encore l’acceptation de la non-prise en compte de ses avis.
Celle-ci est bien une réalité dans l’Ain mais les difficultés de transports et les exigences d’une vie essentiellement rurale ne facilitent guère les échanges sportifs au-delà d’un certain périmètre. Sans ces limites, quelques compétitions sur route, ayant déjà acquis une certaine renommée, rassembleraient les meilleurs coureurs et favoriseraient l’émulation.
Néanmoins, les reliefs peu accidentés du département permettent que la fête patronale, dénommée la vogue dans nos contrées, soit une occasion pour créer d’authentiques courses ou d’autres, plus modestes, à l’initiative d’un commerçant pour les seuls gars du village. Dans tous les cas, le vélo est une belle attraction, en plus des manèges, des stands ou de l’aubade de la société musicale.
Les femmes auraient sans doute aimé être davantage impliquées dans la communauté cycliste naissante. Les propositions sont rares pour elles mais les dames de Polliat se donnent rendez-vous le 17 novembre 1907 pour un parcours aller et retour jusqu’au hameau de Cornaton. Les résultats ne sont pas publiés mais ces dames ont bien effectué leur parcours. Ensuite, elles se sont retrouvées pour un « banquet fraternel » où une quête a été lancée au profit du Sou des écoles [25].
Les vélodromes offrent une autre pratique du vélo qui demande de l’agilité. Plusieurs chutes sont signalées au cours des compétitions mais elles sont sans gravité. Situés dans des chefs-lieux de canton, ces vélodromes sont accessibles par le train, pour les coureurs et le public.
- Une photographie bien maîtrisée, pour l’époque, pour une fête de village. Selon l’usage, les coureurs ont des tenues de "jockeys".
- Là, le restaurateur, M. Girard, a proposé une course pour les gars du village. La pluie ne les rebute pas et l’un court avec ses sabots de bois.
- Joseph Quaissard, ou Quessard, (né à Bourg en 1886), premier coureur professionnel de l’Ain. Pistard, il fait carrière à Paris à partir de 1906 où il est "Qui-qui". Il gagne la course des professionnels à Bourg en 1911.
- Louis Mouthier (né à Bourg en 1884), champion de l’Ain en 1904, abandonne le vélo pour l’aviation, dont il est un des pionniers dans l’Ain.
- Victor Marmont (né à Bourg en 1886), un coureur plus à l’aise sur les longues distances. En août 1905, il est le vainqueur du Circuit du Forez-Velay long de 200 km.
Des vélocistes
La pratique de la bicyclette ne peut se faire sans un réseau de concessionnaires et de réparateurs qui mettent à la disposition du public les plus grandes marques. Les cycles Clément ou Gladiator font de la publicité sur les journaux locaux. Comme le Lyonnais est un centre actif, des marques plus locales font leur apparition.
Les Cycles Charbonnier sont créés à Lyon en 1902 et se font connaître dans l’Ain à partir de 1904. En cette même année, Joseph Chapolard installe l’enseigne Aux docks des machines à Bourg-en-Bresse, en décembre 1904. La marque Radior apparaît à partir du 31 décembre 1904 et, par des actions de propagande, elle s’installe durablement dans le cyclisme régional, au-delà du seul département de l’Ain.
- Vers 1905, les Cycles Charbonnier s’affichent en grand sur un mur de Bourg-en-Bresse, au bas du boulevard de Brou.
- Joseph Chapolard multiplie les actions de propagande en faveur de son entreprise. En un mois, il s’est déjà constitué un réseau de revendeurs.
- Comme dans d’autres domaines, la publicité pour des cycles utilise l’image séduisante d’une femme.
- Dans cette publicité de 1908, Radior accorde une place égale à un homme et à une femme.
- Autre publicité Radior de 1909.
- Des marques de cycles parrainent des courses. Là, ils sont 38 concurrents à partir pour environ 130-140 kilomètres.
Août 1914 : la guerre !
En août 1914, par le jeu des alliances, l’Europe plonge dans une guerre. La Belle Époque est définitivement terminée. Le conflit ne résout pas, en quelques mois, les tensions du moment. Au contraire, il devient bientôt mondial et se prolonge pendant plus de quatre années. Partout, les économies nationales se mettent au service de cette guerre et les hommes s’entretuent. Le conflit s’arrête au 11 novembre 1918 mais, lorsque la paix sera signée à l’été 1919, rien ne sera résolu, nulle part.
Les cyclistes ne sont pas épargnés et certains tombent au Champ d’honneur. Parmi les coureurs cités dans l’article, Louis Mouthier survit à un accident d’avion, il est prisonnier pendant 3 ans et parvient à s’échapper. Joseph Quaissard, mobilisé au 23e régiment d’infanterie de Bourg, rejoint l’aviation en juin 1916 et perd la vie au cours d’une mission de reconnaissance en avril 1917. Victor Marmont, boulanger, est affecté aux services auxiliaires et échappe ainsi aux tranchées de première ligne pendant la période la plus meurtrière de la guerre.
Rémi RICHE
Avec la collaboration de Claude et Geneviève Brichon, Gyliane Millet, Martine Cividin, Raymond Henry (†), Michel Jeanny (†), Serge Laget.
Archives départementales de l’Ain.
Archives municipales de Bourg-en-Bresse.
Médiathèque É. & R. Vailland de Bourg-en-Bresse.
Cyclo Bressan Charles Antonin à Bourg-en-Bresse.
Bibliographie
BORGÉ Jacques - VIASNOFF Nicolas. Le vélo. Éditions Balland. 1978.
DURRY Jean (et ses amis). L’EnCYCLEopédie. 1982. Édita.
HENRY Raymond. {}1865-1939 Histoire du cyclotourisme. (1ère partie). Fédération Française de Cyclotourisme. 2010.
L’ILLUSTRATION. Histoire de la locomotion terrestre - II La voiture, le cycle, l’automobile. 1942.
Télérama Hors série. 1903-2003 - La folie du Tour.
Photos
[1] La ligne de Lyon-Croix-Rousse à Bourg par Villars-les-Dombes ne sera ouverte que le 1er septembre 1866.
[2] Article de Jacques Seray dans L’EnCYCLEopédie. Voir bibliographie.
[3] Éditions des 30 avril et 9 juillet 1869.
[4] Courrier de l’Ain du 24 août 1869.
[5] Jean Durry. Voir bibliographie.
[6] Journal de l’Ain des 15 septembre et 21 novembre 1879.
[7] Journal de l’Ain du 19 septembre 1888.
[8] Courrier de l’Ain des 20 août et 1er septembre 1891.
[9] Reprise depuis 1931 par les "randonneurs", l’épreuve, qui se déroule tous les quatre ans, connaîtra sa vingtième édition en août 2023. L’auteur l’a réalisée en 1979.
[10] Courrier de l’Ain du 23 avril 1892 et sa fiche matricule n° 1R0043 de Belley 1886.
[11] Informations puisées dans le Courrier de l’Ain.
[12] Informations puisées dans le Courrier de l’Ain.
[13] Courrier de l’Ain du 7 septembre 1893.
[14] Une médaille est attribuée au record du tour de piste de 333,33 mètres.
[15] Courrier de l’Ain du 8 mars 1896.
[16] Courrier de l’Ain du 17 mars 1896.
[17] Né en 1941. Historien et philosophe, il est un spécialiste de l’histoire du corps et du sport.
[18] Télérama hors série. 2003.
[19] La loi de 1901 sur les associations ne fait qu’entériner un fait déjà acquis.
[20] A.D. Ain. 4 M.
[21] Ordre chronologique relevé dans le Courrier de l’Ain.
[22] Courrier de l’Ain des 2 septembre et 15 octobre 1903.
[23] Extraits du Courrier de l’Ain.
[24] Courrier de l’Ain des 26 mai et 9 juin 1903.
[25] D’après le Courrier de l’Ain des 10 et 21 novembre 1907.