RÉFUGIÉS EN BRESSE, PLUS D’UN SIÈCLE D’ACCUEIL...

L’arrivée des réfugiés d’Ukraine n’est malheureusement qu’un nouvel épisode de guerre qui entraîne un déplacement massif de population. Dans le passé, la Bresse a accueilli des réfugiés à plusieurs reprises.

Toujours, les guerres ont eu des répercussions sur les sociétés. Autrefois, les opprimés n’avaient guère la possibilité de s’éloigner des zones de combat, autrement qu’à pied. L’amélioration des transports l’a permis. Le premier conflit à provoquer des déplacements de population a été la guerre franco-prussienne de 1870-1871 où des Alsaciens et des Lorrains ont préféré fuir l’annexion allemande. Quelques-uns se sont installés en Bresse [1].
La France n’a pas oublié ces Provinces perdues et l’idée d’une Revanche a subsisté. Longtemps éventuel, un conflit avec l’Allemagne devient vraisemblable au début des années 1910 à cause des tensions internationales. Depuis longtemps, en cas de guerre, les militaires ont conçu des plans d’évacuation des places fortes proches de la frontière de l’est. Et ils deviennent applicables après l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand, héritier de l’Empire austro-hongrois, le 28 juin 1914 à Sarajevo. Par le jeu des alliances, l’Europe plonge dans la guerre.

LA DÉMESURE DE LA GRANDE GUERRE

Les premiers arrivants

La Mobilisation générale est décrétée pour le dimanche 2 août 1914 et la place forte de Belfort doit être immédiatement vidée de ses bouches inutiles, c’est-à-dire les femmes, les enfants et les vieillards. Bourg et la Bresse sont concernés par cette évacuation et le plan du 8 mai 1914 prévoit « les lieux de refuge de 11 250 bouches inutiles (...) : 4 490 à maintenir à Bourg et 6 760 à placer dans les localités voisines de Bourg, dans un rayon de 25 km, chaque commune recevant un nombre de personnes équivalent à 13 % de la population municipale [2] ».
Des trains spéciaux amènent les réfugiés durant la première semaine d’août 1914. Les maires, prévenus par télégramme, organisent leur prise en charge, en gare, avec le concours de leurs administrés. Les arrivants sont moins nombreux que prévu et leur installation se déroule bien, la solidarité s’exprimant par des dons de nourriture, de vêtements ou de mobilier. Des locaux sont disponibles du fait de la décroissance, depuis trente ans, de la population départementale. Des réfugiés sont parfois répartis vers des communes solidaires, non inscrites sur les plans.
Tout cela s’est organisé dans un pays où les hommes de vingt à quarante-six ans ont rejoint les armées déployées aux frontières ou, pour les plus âgés, encore dans les casernes. Les quelques automobiles et les chevaux, en masse, ont été réquisitionnés. Les moissons ont été terminées.

Après avoir quitté leur domicile, les Belfortains ont déposé leurs clés en mairie.
Les bouches inutiles sont rassemblées en gare de Belfort.

Un élan de générosité

En terre de Bresse, comment employer les nouveaux venus ? Dès les premiers jours, il apparaît que « les immigrés ne sont pas préparés aux travaux des champs. Ce sont des ouvriers de fabrique, presque en totalité des vieillards, des femmes et des enfants ». Au 31 août 1914, « le département compte approximativement 7 000 évacués, logés chez l’habitant ou dans des locaux scolaires [3] ».
Au 23 octobre 1914, le maire de Bourg signale, au préfet, que « les réfugiés de Belfort, auxquels sont venus ultérieurement se joindre un certain nombre de réfugiés de l’Est, sont arrivés à Bourg au nombre d’environ un millier. Avec l’empressement le plus patriotique, le plus délicat, le plus touchant, - et j’ai quelque fierté à le constater - les habitants de la ville se sont empressés de recevoir, de loger de leur mieux, dans leurs propres maisons, ces malheureuses victimes de la guerre, d’autant plus dignes de sympathie qu’elles étaient dénuées de tout et que, parmi elles, se trouvaient plusieurs centaines d’enfants. »
La même solidarité s’exprime dans les communes des alentours et les secours attribués aux réfugiés, pour leur nourriture, ont été harmonisés.

Bon d’alimentation journalier pour un adulte, à Bourg. Dans les communes voisines, ils sont de 1 à 1,25 F.
Note écrite par le maire de Lescheroux à son confrère de Saint-Bénigne, après un déplacement de réfugiés. Note exposée en septembre 2014, à Saint-Bénigne, près de Pont-de-Vaux.

Des tensions

Trois mois s’écoulent, le front est stabilisé et les armées sont figées dans des tranchées qui courent de la Suisse à la Mer du Nord. Alors, le maire de Bourg ajoute : « tout annonce que le séjour des réfugiés se prolongera pendant de longs mois encore. (...) Ce qui était supportable en été, époque à laquelle les réfugiés passaient la journée dehors, ne l’est plus au moment où il faut, par la pluie, le froid, rester tout le temps à la maison. Puis il y a eu des incompatibilités d’humeur basées sur la différence des mœurs et, enfin, ces mille petites difficultés qu’entraîne fatalement la promiscuité de la vie quotidienne, sans compter la maladie des enfants, des adultes, etc, etc. Et alors, la municipalité est chaque jour assiégée par plus de trente personnes venant déclarer qu’elles sont obligées de reprendre le logement, le lit qu’elles avaient mis à la disposition des réfugiés et la municipalité est dans l’impossibilité la plus absolue de trouver d’autres logements. »
À l’approche de l’hiver où s’ajouteront des denrées plus chères, les vêtements et le chauffage, le maire exprime son désarroi. Il propose même de déplacer quelques réfugiés en Tunisie ou en Algérie où « la colonisation s’en trouverait accrue », à la condition de n’envoyer « dans chaque village, qu’un très petit nombre de réfugiés, au lieu de procéder comme en France, où on a surchargé, d’une façon exagérée, des petites communes. »
Enfin, il demande, pour les réfugiés, que leurs représentants soient autorisés à aller chercher des vêtements chez eux car, « à l’heure où tant de vies généreuses se perdent, il faut, à tout prix, conserver celles des nombreux enfants des réfugiés, afin de reconstituer le capital humain ».
Dans les communes, à l’automne 1914, les mêmes difficultés sont signalées. Une institutrice publique du Revermont « signale le danger que courent les petites filles de l’école en raison de la proximité avec les évacués ». Ailleurs, « une lettre anonyme accuse d’espionnage une évacuée », « quelques enfants, entendant parler une langue inconnue, ont pu dire le mot de Boches » ou, encore, « les évacués se plaignent que les habitants leur fassent payer les denrées alimentaires à un prix égal ou supérieur aux mercuriales de Bourg ». À l’inverse, est signalé « le dévouement de la dame prénommée Marie, en religion, laquelle prodigue ses soins aux évacués malades et leur fournit gratuitement les remèdes indispensables ». Ces annotations sont extraites des rapports rédigés par le Service du contrôle des évacués et réfugiés qui visite chaque commune [4]

Tous les services municipaux ou départementaux sont mobilisés au service de la guerre pour le ravitaillement, les œuvres d’assistance et les réquisitions.

Finalement, l’intendance militaire de Belfort accepte que des délégués, pour le service de plusieurs familles, aillent chercher des vêtements chauds à Belfort et dans les communes avoisinantes. Des bons de transport sont fournis. À partir d’août 1915, les évacués sont autorisés à rentrer chez eux, s’ils ont des moyens de subsistance à Belfort.

Demande de la mairie de Saint-Denis (près Bourg) pour obtenir une autorisation de transport jusqu’à Belfort.

D’autres bouches inutiles

Ces bouches inutiles ne sont pas encore parties que d’autres bouches inutiles arrivent dès janvier 1915. Ce sont celles que les Allemands évacuent des territoires qu’ils occupent en France. Ils leur font d’abord traverser le territoire allemand jusqu’à Schaffhausen, à la frontière suisse, où ils les remettent à la Croix-Rouge suisse. Celle-ci les accueille et les accompagne jusqu’à Évian [5], où le Casino a été réquisitionné.
D’Évian, par trains entiers, ces évacués sont répartis sur l’ensemble de la France. La Dombes et le Haut-Bugey en reçoivent à plusieurs reprises et, bientôt, la presque totalité des communes de l’Ain héberge des réfugiés.
Ce déplacement de population, à l’initiative de l’Allemagne pour ne pas à avoir à nourrir des bouches inutiles, est particulièrement massif jusqu’en 1918 car il va concerner 493 000 personnes. Ces évacués transitent d’abord, pour quelques semaines, dans des camps allemands où « ils n’ont pas subi de mauvais traitement mais ils se plaignent amèrement de l’insuffisance et de la très mauvaise qualité de la nourriture qui leur était donnée. Par contre, ils se sont montrés particulièrement heureux et touchés de l’accueil très cordial qui leur a été fait en Suisse où ils ont été pourvus de vêtements chauds et soumis à des soins d’hygiène nécessaires. ».

Télégramme annonçant l’arrivée d’un train d’Évian pour la Dombes, jusqu’à Villars-les-Dombes.
Deux trains au départ d’Évian en février 1918 : l’un traversera l’Ain pour se rendre à Aurillac (Cantal), l’autre est pour le Bugey.
Les réfugiés ou évacués sont tous des "éprouvés" de la guerre et une des nombreuses quêtes leur est destinée. A.D. Ain.

La guerre se prolonge. L’attaque des Allemands sur Verdun en février 1916 et leur vaste offensive du printemps 1918 provoquent de nouvelles évacuations des régions menacées et l’arrivée, moins massive, de nouveaux réfugiés en Bresse, où toutes les capacités d’accueil sont saturées. Les mesures de rationnement, progressivement mises en place en France, concernent de plus en plus de produits, alimentaires et autres.

Annonce de l’arrivée de nouveaux réfugiés, en juin 1918, au cours de l’offensive allemande sur le front ouest.

Dans cette guerre d’usure, l’Allemagne est la première à céder et l’armistice est signé le 11 novembre 1918. Ensuite, plus de deux ans sont nécessaires pour un retour à une vie sans privation ni rationnement. Le retour des réfugiés s’organise mais quelques-uns choisissent de rester dans le département. Les allocations spéciales d’assistance aux réfugiés cessent officiellement au 1er janvier 1923.

Le nombre de réfugiés était si important qu’une presse leur était destinée pour maintenir les liens avec les territoires d’origine.
L’après-guerre dresse les bilans des pertes diverses, humaines et matérielles, et des réfugiés morts en Bresse.
Des bons de transport sont accordés aux réfugiés pour le retour dans leurs territoires, souvent meurtris.

Quatre années de guerre

La ville de Bourg et la Bresse étaient situées bien loin des combats mais la Grande Guerre a été un épisode important pour la contrée par la présence des bouches inutiles que des personnes découvrent aujourd’hui, avec étonnement, lors de leurs recherches généalogiques.
Les Archives départementales conservent, par commune, divers documents concernant les bouches inutiles et les réfugiés (série R).

L’évolution du nombre de réfugiés dans l’Ain, durant la Grande Guerre. Tableau paru dans L’Ain 1910-1925 , édité par Chroniques de Bresse (2017).

L’ENTRE-DEUX-GUERRES

Italiens et Sarrois

Après la Grande Guerre, les migrations sont d’abord économiques mais, se sentant en danger, des Italiens ont fui le fascisme mussolinien. En Bresse, ils sont ouvriers dans le bâtiment ou le bois. Là, ils excellent de l’ébénisterie en ville au débardage ou au charbonnage dans les forêts du Revermont. Souvent arrivés démunis, leur venue est plus tolérée qu’acceptée, ponctuée de quelques réflexions désagréables. Heureusement, ils sont solidaires entre eux et, lorsque leurs familles les rejoignent, l’intégration se fait par la scolarisation des enfants. Ceux-ci peuvent apprendre des métiers plus qualifiés grâce à l’École primaire supérieure de Carriat pour les garçons ou au Cours complémentaire de Brou pour les filles.
Au recensement de 1936, dans la ville de Bourg-en-Bresse de 24 746 habitants, la communauté italienne compte 538 personnes [6]. Elle devance nettement les Suisses (49), les Espagnols (41), les Polonais(22), les Belges (12) ou les citoyens d’Europe Centrale (12).
En septembre 1935, 42 Sarrois, de seize familles, sont arrivés à Bourg où ils sont hébergés à la salle des fêtes grâce à du matériel fourni par le 5e Régiment des tirailleurs marocains, en garnison dans la Caserne Aubry [7]. Après la guerre de 1914-1918, la Sarre, riveraine du Rhin, est restée sous le contrôle français jusqu’en 1935 où la population a choisi, par référendum, son rattachement à l’Allemagne d’Hitler. Face aux nazis, environ dix mille francophiles quittent leur contrée. Les départements ont été sollicités pour les accueillir. Après un court séjour à Bourg, les Sarrois sont répartis dans diverses communes, avant de trouver du travail en Isère [8].

La guerre civile en Espagne

La Seconde république espagnole a été instituée en 1931 et, aux élections suivantes de 1936, la victoire du Frente Popular est contestée par le soulèvement militaire et civil des nationalistes, le 18 juillet 1936. Ce Coup d’État, fomenté au Maroc espagnol, n’a pas la réussite escomptée et le pays se déchire entre deux camps, soutenus par l’étranger, dans une guerre civile sans pitié.
La conquête du Pays basque par le général Franco, à la tête des nationalistes, provoque un premier exode de plusieurs milliers de civils, parfois acheminés par des navires jusqu’à Bordeaux ou La Rochelle, pour être répartis sur le territoire français.
Le 19 mai 1937, un premier convoi de 400 réfugiés arrive à Bourg et les Espagnols sont accueillis, avec le soutien logistique du 5e Régiment des tirailleurs marocains, à la salle des fêtes, dans les locaux de l’ancienne entreprise La Bressane (près du cimetière) et de la Jeunesse laïque de Bourg (rue Charles Robin).
La Société Saint-Vincent-de-Paul apporte son concours bénévole pour assurer la préparation et la répartition des vivres. Elle sollicite la population pour fournir « le plus possible de tissus, linges, drapeaux, effets d’habillement, chaussures, savons, destinés surtout aux femmes et enfants qu’une lutte fratricide a contraints à chercher asile dans notre pays [9] ».

L’accueil des civils espagnols, à Bourg, en mai-juin 1937.
La première vague repart, la seconde arrive...
Lors de la conquête du Pays basque espagnol par Franco, l’évacuation de civils, par bateaux, jusqu’à Bordeaux et La Rochelle, se poursuit.

Ces réfugiés sont ensuite répartis dans de multiples centres d’hébergement dans le département. Trois nouveaux convois arrivent au début de 1939, après un passage dans un camp des Pyrénées-Orientales. À leur arrivée, comme à l’accoutumée, ils reçoivent les premiers soins médicaux : « aucun de ces réfugiés n’a été vacciné contre la variole ; les vaccinations se feront. (...) Un grand nombre sont porteurs de poux ou atteints de la gale [10] ».
Le rapatriement de l’ensemble de ces réfugiés est envisagé lorsque la victoire de Franco paraît inéluctable. Dès mars 1939, un recensement est effectué dans les centres, dont ceux de Bourg (112 personnes) ou proches de Bourg, d’Étrez (16 personnes), Marsonnas (26), Mézériat (64), Montrevel (62), Neuville-les-Dames (20), Pont-de-Veyle (30) et Vonnas (33). L’Ain compte alors 2 200 réfugiés, répartis dans 35 communes [11].
Vont-ils accepter de retourner en Espagne ? Des doutes sont exprimés et le sous-préfet de Nantua écrit : « afin d’éviter que des réfugiés ne tentent de s’enfuir, ou qu’ils n’essaient de profiter de certaines complicités pour ne pas partir, il y aurait nettement intérêt à ce que le départ ne soit envisagé que dans l’après-midi (soirée même de préférence) afin que les intéressés puissent être avertis au commencement de la journée et non la veille [12] ». En définitive, les départs s’échelonnent d’avril à novembre 1939.
Après leur défaite consommée en Catalogne, les combattants républicains qui franchissent la frontière sont intégrés dans l’armée française, notamment au sein du 145e Bataillon régional des travailleurs étrangers avec des compagnies stationnées à Certines, Lent ou Péronnas. Sous le contrôle du Génie, ces réfugiés espagnols empierrent des chemins, les "traces", de la forêt de Seillon, proche de Bourg, pour l’entrepôt de munitions.

Les combattants républicains ont franchi la frontière au Perthus pour se réfugier en France.
Vestiges du travail des réfugiés espagnols en forêt de Seillon, près de Bourg-en-Bresse.

La Seconde Guerre mondiale

Face à la montée du péril nazi, les milieux protestants français s’interrogent sur le sens à donner à leur engagement chrétien. En octobre 1939, ils créent la CIMADE (Comité Inter-Mouvements Auprès Des Évacués) pour venir en aide, notamment, aux populations évacuées d’Alsace et de Lorraine. En 1940, la CIMADE est aussi présente dans les camps de regroupement des réfugiés espagnols des Pyrénées-Orientales où elle apporte une aide matérielle et psychologique.
Lorsque les Allemands envahissent brutalement le pays, en juin 1940, les armées françaises se replient, ou fuient, vers le Sud et tout se désagrège. Après l’Armistice, les anciens combattants espagnols sont livrés à eux-mêmes ou intégrés dans divers Groupements de travailleurs étrangers. À partir de 1943, ils font partie des réquisitions d’hommes que les Allemands exigent pour l’édification du Mur de l’Atlantique. Certains refusent et s’engagent dans la Résistance.
Cette Résistance est la caractéristique de cette Seconde Guerre mondiale. Elle est fort active dans l’Ain et des étrangers, au département et à la France, la rejoignent. Dans la lutte contre l’occupant, quelques-uns de ces réfugiés vont trouver la mort sans n’avoir rien dit d’eux. Ils reposent dans les cimetières commémoratifs, sans doute loin de leur terre natale, sous la mention Inconnu. Ils ont été des combattants de la Liberté.
Les Juifs résidant dans l’Ain avant-guerre ont été persécutés et d’autres, venus d’ailleurs, avaient espéré trouver refuge dans l’Ain. Comme l’indique le Mémorial de l’oppression, quelques-uns ont été tués par les nazis, parfois fortuitement.
Le département est libéré du joug allemand en septembre 1944 et la guerre se termine le 8 mai 1945.

Au pied du monument du Val d’Enfer à Cerdon, 29 tombes (en bas, à gauche) portant la mention Inconnu, des hommes parfois venus d’ailleurs pour combattre au nom d’un idéal.

APRÈS LA SECONDE GUERRE MONDIALE

Dans la lointaine Asie du Sud-Est

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la France s’assoit à la table des vainqueurs grâce à la contribution de son Empire mais des velléités autonomistes y sont apparues en plusieurs lieux. Si le général de Gaulle en prend conscience [13], il a ensuite une attitude bien différente. Et son gouvernement réprime, avec une grande violence, le 8 mai 1945, jour de victoire, les émeutes algériennes dans le Constantinois, notamment à Sétif [14].
Pour l’empire colonial français, la situation la plus préoccupante se situe d’abord en Indochine où le conflit se transforme, en novembre 1946, en une véritable guerre. Celle-ci se termine par la défaite de Diên Biên Phu, le 7 mai 1954 et la France doit se retirer de la péninsule, après trois siècles de présence. Elle rapatrie ses soldats et ses ressortissants nés en Indochine. La plupart des prisonniers, décimés par la faim et de longues marches, ne reverront pas leur pays.
Ce conflit s’est déroulé avec l’intervention de puissances étrangères, de part et d’autre, dans le climat de Guerre froide qui régit désormais les relations internationales. Et à l’opposition entre les deux super puissances, les États-Unis et l’U.R.S.S., s’est ajoutée la Chine.

De l’autre côté de la Méditerranée, en Algérie

Finalement, la guerre est-elle la voie qui conduit à l’indépendance ? Les Algériens les plus déterminés le pensent et l’affirment par les attentats concertés de la "Toussaint Rouge", le 1er novembre 1954. La France n’y perçoit pas les aspirations du peuple algérien. Elles se manifestent pourtant depuis plusieurs années et le Mouvement pour le triomphe des libertés démographiques (M.T.L.D.) a déjà alerté l’O.N.U., favorable au « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » par sa charte de 1945.
La France répond par des "mesures de pacification" et envoie le "contingent", celui-ci est constitué des jeunes qui effectuent leur service militaire. Là encore, la lutte se transforme en une véritable guerre, de plus en plus violente de part et d’autre. Les attentats se multiplient et des Français d’Algérie préfèrent s’expatrier au début des années 1960. Des structures d’accueil se créent en métropole et, le 26 décembre 1961, la loi « relative à l’accueil et à la réinstallation des Français d’outre-mer » est votée.
Dans l’Ain, le Docteur Rollin et le président local de l’Association nationale des Français d’Afrique du Nord, d’Outre-Mer et leurs amis (A.N.F.A.N.O.M.A.). Il reconnaît que « le problème est complexe et qu’il soulève de nombreuses questions qu’il faudra étudier et des problèmes qu’il faudra résoudre [15]  ».

Des familles n’ont pas attendu les Accords d’Évian pour quitter l’Algérie.

Le confit prend fin avec les Accords d’Évian, applicables au 19 mars 1962, le lendemain de la signature. La violence ne cesse nullement et l’exode vers la France est aussi massif que précipité. L’Ain a déjà accueilli environ trois mille réfugiés en août 1962 [16]. Les problèmes à régler dans l’immédiat concernent le logement, le travail et la scolarisation, au-delà de la sémantique : ces gens sont-ils des rapatriés, des repliés ou des réfugiés ? Que deviennent les supplétifs ? Les mesures à prendre doivent être envisagées à plus long terme.

Un Centre d’accueil des déplacés d’Algérie est créé à Bourg à l’été 1962.
L’action de l’Office municipal H.L.M. de Bourg sera bientôt complétée par un programme de la SEMCODA sous l’égide de la préfecture.

Mieux héberger les nécessiteux et les immigrés

L’après-guerre a été suivi d’une période économique plus favorable pour une partie importante de la population. Cette période, appelée les Trente glorieuses, a vu l’avènement d’une société de consommation et de loisirs, avide de main-d’œuvre étrangère pour satisfaire ses besoins, une main-d’œuvre, souvent mal payée, mal considérée et mal hébergée.
Des responsables se sont émus de cette situation et le plus emblématique est l’abbé Pierre. Au sein de son association Emmaüs, il lance sa croisade contre la pauvreté et pour l’hébergement des sans-abri, au début de l’année 1954, à Paris. Pour financer ses actions, la communauté organise la collecte et la vente de vieux objets.
L’antenne de Bourg-en-Bresse, créée en 1972, collabore avec l’association Foyer d’accueil et de reclassement. Deux structures sont à créer et la réunion d’information de novembre 1973, à l’initiative du maire, rassemble plus d’une centaine de personnes [17]. Le projet se concrétise par l’ouverture du Foyer d’accueil le 1er juin 1976 et celle du Foyer de reclassement le 15 octobre 1976.

Le Foyer d’accueil et de reclassement en cours de construction, rue des Crêts. Photographie Studio Picot.

Parallèlement, les institutions départementales se sont inquiétées de l’hébergement des plus de trois mille travailleurs immigrés de l’Ain. Une association a été créée le 24 février 1971 pour faciliter la mise en place de structures d’accueil. D’abord Foyer des travailleurs de l’Ain , elle a pris l’appellation d’Association Logement et Accueil des Travailleurs et Familles de l’Ain (A.L.A.T.F.A.), le 5 novembre 1972 [18] et quatre foyers sont ouverts en 1973 dans l’Ain. Au-delà de l’hébergement, l’animation socio-culturelle est importante, comme est essentielle « l’intégration des foyers de travailleurs migrants à la commune où ils sont installés [19] ». Le cinquième foyer ouvre à Bourg-en-Bresse au printemps 1977 dans une ville qui comptait, en 1975, 4 573 étrangers (10,16 % de la population) : 1 590 Marocains, 673 Algériens, 597 Italiens, 568 Portugais, 495 Espagnols, 482 Tunisiens et 168 Turcs. « La plupart des étrangers vivant à Bourg font des travaux pénibles que peu de Français acceptent de faire. Ils ne connaissent que très mal la langue française [20] ».
Des bénévoles s’inquiètent de cette situation et ils créent l’Association de solidarité avec les travailleurs immigrés (A.S.T.I.), dès mai 1969 [21] pour dispenser des cours d’alphabétisation.
À l’inverse, les enfants d’immigrés n’apprennent pas la langue de leurs parents et, dans les années 1970, les consulats du Maroc, Portugal, Tunisie, Italie ou encore de Turquie demandent la mise en place de cours avec l’aide de l’Association départementale pour l’enseignement agricole et la formation technique et culturelle des ruraux (A.D.E.A.) et sous le contrôle de l’Éducation nationale. Au cours de l’année scolaire 1981-1982, la ville de Bourg-en-Bresse a recensé 1 137 élèves étrangers parmi les 5 364 dans ses écoles du "primaire" : 680 Marocains, 99 Tunisiens, 97 Algériens, 74 Portugais, 62 Turcs, 40 Italiens, 16 Espagnols et 69 de diverses nationalités [22]. Des actions sont aussi engagées en faveur de l’alphabétisation des femmes étrangères et Micheline Antonucci (1921-2008), alors maire-adjointe de Bourg-en-Bresse (1977-1989), pense que leur intégration pourrait se faire par la culture.
Ces communautés étrangères subissent parfois le "racisme au quotidien" et l’Office municipal de la culture de Bourg-en-Bresse consacre le mois de mai 1984 à l’immigration sur le thème Nouvelle génération, nouvelle expression. Le souhait est de faire découvrir la culture immigrée pour un « mieux vivre ensemble ».
D’autres associations, comme la Confédération syndicale des familles œuvrent aussi en faveur des populations d’origine étrangère, notamment pour l’aphabétisation et la culture.

Le Foyer des migrants en cours de construction au Pennessuy, en 1976. Photographie Studio Picot.

Accueil des réfugiés chiliens

Le monde reste agité par de nombreux conflits à travers lesquels s’affrontent sournoisement les deux "grands" de la planète, les U.S.A. et l’U.R.S.S. Comme au Chili où, le 11 septembre 1973, le renversement du président démocratiquement élu, Salvador Allende, est un "choc". En France, les associations se mobilisent aussitôt par des manifestations dans les villes.

Les Bressans ont répondu à l’appel d’organisations syndicales et politiques.

La dictature chilienne pourchasse ses opposants, les emprisonne ou les enferme dans des camps de travail. Cette oppression ne faiblit pas au fil des ans et beaucoup d’opposants quittent le pays, à la fin des années 1970. Ils reçoivent le concours d’organisations comme la Cimade [23]. À partir de 1979, des Chiliens arrivent à Bourg-en-Bresse, d’abord les hommes puis leurs familles. Une solidarité s’organise avec l’accueil pour les formalités administratives, la scolarisation des enfants et la recherche d’emplois. Cet ensemble d’attentions adoucit les déchirements de l’exil.
La plupart des familles sont rassemblées dans un même immeuble d’habitation. Leur vie s’organise et bientôt l’Association sportive Chili latino-américaine (A.S.C.L.A.) est créée, d’abord de manière informelle, avant d’être déclarée en préfecture le 31 mai 1983. La fête nationale n’est pas oubliée chaque 18 septembre. D’autres activités culturelles ou de convivialité s’ajoutent au football, avec, toujours, une ouverture envers les autres. Aussi l’A.S.C.L.A. devient-elle l’A.S.C.L.A.E. pour Européenne. L’association accueille aussi d’autres réfugiés d’Amérique du Sud et, dans les écoles primaires de la ville, en mars 1982, sont scolarisés 32 Chiliens, 9 Uruguayens et 4 Argentins.
L’espoir d’un retour au pays n’est pas perdu mais la dictature militaire reste en place durant dix-sept ans. La période est suffisamment longue pour que des familles "prennent racine" en Bresse, sans rompre avec la terre natale grâce à l’évolution des technologies de communication.

Daniel Mendoza, comptable au Chili, ouvrier nocturne à la Schappe à Saint-Rambert-en-Bugey en 1980.
L’A.S.C.L.A., ici en juillet 1983, a compté jusqu’à quatre équipes engagées dans le championnat de district de l’Ain de football.
En avril 1993, l’A.S.C.L.A. fête son douzième anniversaire.

Toujours des réfugiés

L’afflux de réfugiés ne se tarit jamais et même l’Europe connaît la guerre, comme celle de l’ex-Yougoslavie en 1992-1993. Et l’association humanitaire lyonnaise, Équilibre, organise, à l’automne 1992, l’accueil de mille enfants bosniaques.
La ville de Bourg-en-Bresse se trouve parfois dans l’obligation d’assurer, derechef, l’hébergement de groupes que les autorités gouvernementales lui envoient. En outre, des associations se mobilisent en faveur d’individus expulsés, ou menacés d’expulsion.
Rappelons que le terme de "réfugié" a été défini par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et que la loi du 25 juillet 1952 a créé l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (O.F.P.R.A.).

Clin d’ œil de l’histoire ?...

Rémi Riche

Mai 2022.

Avec la collaboration d’André Abbiateci, Bernard Brevet, Claude Brichon, Coralie Dupuy, Gyliane Millet, Jean-Christophe Vigier.
Archives départementales de l’Ain.
Archives municipales de Bourg-en-Bresse.
Presse locale.

Photos

[1Au recensement de 1872, parmi ses 12 015 habitants, Bourg-en-Bresse en compte 78 en provenance des territoires annexés. Est-ce le motif de leur installation ? Il est difficile de l’affirmer, aujourd’hui.

[2A.D. Ain. 10R434.

[3Rapports au ministère de l’Intérieur des 17 et 31 août 1914.

[4À retrouver dans les dossiers 10R 431 à 434 des A.D. Ain.

[5Dans un premier temps, ils étaient acheminés par le train à Genève, puis par le tramway jusqu’à Annemasse.

[6Dont 416 personnes qui se déclarent "Italiens" et 122 Français nés en Italie, donc naturalisés depuis leur arrivée en France. Recensement : A.D. Ain. Bourg-en-Bresse, L754.

[7Ils sont 1 278 sur un effectif de 1 389 soldats, au recensement de 1936.

[8A.D. Ain. 4M191.

[9Communiqué de presse du 24 mai 1937. A.M. Bourg. 4H142.

[10Rapport de l’Inspecteur départemental d’hygiène au préfet, le 15 février 1939. A.D. Ain. 4M210.

[11Décomptes d’après les listes conservées dans le dossier 4M210 des A.D. Ain. Le Journal de l’Ain du 17 février 1939 indique 2 479 réfugiés.

[12Lettre du 5 avril 1939. A.D. Ain. 4M210.

[13Conférence de presse reprise par le journal Combat du 25 octobre 1944.

[14Le Courrier de l’Ain les évoque le 11 mai 1945.

[15Dauphiné-Libéré du 8 janvier 1962.

[16Courrier de l’Ain du 27 août 1962

[17Courrier de l’Ain du 20 novembre 1973.

[18Elle deviendra ALFA3A (Association pour le Logement, la Formation et l’Animation – Accueillir, Associer, Accompagner) le 1er janvier 2003.

[19Courrier de l’Ain du 18 février 1974.

[20Bulletin municipal de janvier-février 1977.

[21Déclarée en préfecture le 12 novembre 1969.

[22A.M. Bourg-en-Bresse. 54W1.

[23L’antenne de Bourg-en-Bresse est animée par Nicole Raspail.

Partager cette page

  • Partager par mail
  • Partager sur Facebook
  • Partager sur Twitter