Automne 1942 en Bresse, deux événements : match de football et exfiltration d’un aviateur canadien

De novembre 1942 à janvier 1943, deux événements bien différents se déroulent à Bourg-en-Bresse, l’un sur le stade de football de Péronnas, l’autre à l’Hôtel-Dieu de Bourg-en-Bresse.

Bourg-Péronnas contre Saint-Étienne en Coupe de France de football

Après la défaite de juin 1940 et l’instauration de l’État français, Vichy impose une réforme des sports. Ainsi naît, pour le football local, le Football-Club de Bourg-Péronnas (F.C.B.P.) par la fusion de l’Union Sportive de Péronnas-Bourg avec le Racing Club de Bourg.
En plus des divers matches de championnat, une Coupe de France rassemble les clubs de la Zone non occupée et c’est ainsi que le F.C.B.P. reçoit les professionnels de l’A. S. Saint-Étienne le 22 novembre 1942, sur le Stade de Bellevue, aménagé par le club en 1939 mais jamais inauguré à cause de la déclaration de guerre de septembre 1939.
Le match ne paraît pas aussi déséquilibé qu’on pourrait le penser car l’équipe bressane regroupe des militaires que le hasard a conduit en Bresse à la fin des hostilités et certains sont d’anciens joueurs professionnels. Le match se joue « par temps sec, mais sous les rafales d’un vent du nord glacial » et aucun but n’est marqué au cours de la première mi-temps. Les Bressans résistent vaillamment mais s’inclinent sut le score de deux buts à un et ils sont éliminés.
Le match s’est déroulé dans une situation politique particulière car les Allemands ont franchi la Ligne de démarcation depuis le 11 novembre et, peu après, l’Armée d’armistice est dissoute au 27 novembre. Les militaires casernés à Bourg regagnent leur région d’origine et le F.C.B.P. perd ses joueurs ex-professionnels.
Source : Journal de l’Ain des 17, 24 et 30 novembre 1942 ; témoignage du capitaine du F.C.B.P. de l’époque, Félix Chapuis [†]).

L’équipe du F.C.B.P. en 1942 avec des maillots à rayures noires et rouges et son capitaine emblématique Félix Chapuis (X). Le second, a partir de la gauche, est un réfugié espagnol qui sera requis pour le Mur de l’Atlantique.

Exfiltration d’un aviateur canadien de l’Hôtel-Dieu de Bourg

Dans la soirée du 11 décembre 1942, en vol au-dessus du territoire de Marboz, au hameau de Tempetay, un lieutenant aviateur canadien saute en parachute d’un avion en difficulté. Il est arrêté par la gendarmerie et remis au service français de la Surveillance du Territoire. Blessé, il est conduit à l’Hôtel-Dieu pour être soigné et il est placé à l’isolement dans une chambre, sous surveillance.
À Marboz, il n’est pas pris en charge par les Allemands qui n’installeront leurs services à Bourg qu’à partir de janvier 1943. Les Allemands ont certes franchi la Ligne de démarcation mais, dans un premier temps, pour prendre position sur les côtes méditerranéennes.
La famille Fornier, de Revonnas, organise l’exfiltration de l’aviateur, le mercredi 13 janvier 1943, au cours d’une opération minutieusement préparée, comme l’indique le rapport conservé aux Archives départementales (dossier 180 W 350).

Le rapport du commissaire de police

« Bourg le 15 janvier 1943
Le commissaire de police de Bourg-en-Bresse
à Monsieur le Préfet de l’Ain
J’ai l’honneur de vous faire connaître que le prisonnier canadien Thomas Wilby, qui était en traitement à l’Hôtel-Dieu de Bourg, s’est évadé le 13 janvier 1943, entre 13 heures 45 et 14 heures. D’après mon enquête, cette évasion avait été préparée et l’on peut dire qu’elle n’est pas le fait du prisonnier, mais de personnes organisées ayant minutieusement préparé leur plan.
L’évasion a eu lieu dans les conditions suivantes :
Le 13 janvier, la garde des détenus était assurée par le gardien de la paix Liénart. Vers 13 heures 30, on remettait à celui-ci une lettre pour un détenu de droit commun de la ʺSalle Saint-Josephʺ. Liénart, après avoir lu la lettre et même avoir attendu quelques instants, s’est porté dans la salle pour la remise. À ce moment, un homme bien vêtu, porteur d’un pardessus sur le bras et d’une serviette en cuir, arrivait à l’hôpital. Comme c’était le jour et l’heure des visites, il pénétrait sans difficulté à l’intérieur de l’hôpital et se dirigeait vers la chambre du détenu.
Sans hésitation, car le temps pressait, l’homme se dirigeait vers la ʺSalle Charles Robinʺ au bout de laquelle se trouvait la chambre du Canadien. À son passage, il était remarqué d’abord par le concierge, puis par une malade de la ʺSalle Charles Robinʺ. Quelques minutes après, la même malade revoyait le même homme ressortir. Il était suivi d’un deuxième, plus grand, porteur de lunettes, coiffé d’un chapeau et vêtu d’un pardessus. Cet homme portait la serviette de cuir.
La malade, de suite, en faisait la remarque à Sœur Philomène qui était occupée à lui servir son café au lait. La sœur, ayant regardé les hommes, après une courte hésitation, reconnaissait, dans l’un d’eux, celui qui avait des lunettes, l’aviateur canadien. Sur le moment, elle n’a pas réalisé qu’il s’agissait d’une évasion. Après un instant de réflexion, elle se portait à la recherche du gardien et le tenait informé. À ce moment, il y avait près de 5 minutes que les deux hommes étaient passés.
Liénart a effectué immédiatement des recherches dans les environs mais sans succès. Par l’intermédiaire de l’inspecteur Parassin, il m’a fait aviser immédiatement des faits. Les recherches faites par mes services n’ont donné, jusqu’à ce jour, aucun résultat positif. Un avis de recherches a été transmis, par téléphone, aux services de police et à la gendarmerie, pour diffusion.
De mon enquête, il résulte que l’évasion était soigneusement préparée. Elle jouait sur quelques minutes, une absence du gardien de service. Il apparaît donc que l’homme qui est arrivé à 13 heures 40 environ, avait une complicité certaine à l’hôpital. Sans cette complicité, le succès de son entreprise était bien improbable. Les faits et gestes de l’agent étaient certainement surveillés. De plus, le jour, mercredi, jour de marché, avait été spécialement choisi, en raison de l’affluence de visites.
La carte destinée au détenu a-t-elle été remise intentionnellement au gardien de la paix ? Le fait est possible sans que l’on puisse toutefois l’affirmer. En tout cas, c’est cette carte qui devait fournir l’occasion, car on devait savoir que le gardien devait être relevé à deux heures et que, par conséquence, il irait obligatoirement dans la salle des détenus pour la remettre avant son départ.
Sans commettre de faute de service, car Liénart savait le prisonnier canadien fermé dans sa chambre, il se portait donc à la chambre des détenus de droit commun située à une quinzaine de mètres du passage menant à la sortie. Mettant à profit l’absence du gardien, l’homme agissait et réussissait son plan.
Le point le plus troublant de cette affaire est l’attitude de la sœur (Sœur Philomène) qui, ayant formellement reconnu l’aviateur canadien, n’a rien tenté immédiatement pour empêcher la fuite. Ce n’est que quelques minutes après qu’elle a été aviser le gardien de service. Le retard de Liénart était, à ce moment, de 5 minutes au minimum.
Dans la rue, malgré ses recherches, Liénart et son collègue Marrion qui arrivait pour la relève, n’ont rien découvert, ce qui laisse supposer que l’homme a trouvé un abri dans une maison voisine ou qu’un véhicule l’attendait à la sortie. Toutefois, l’inspecteur Bichat et mon secrétaire qui descendaient le boulevard de Brou entre 13 heures 40 et 14 heures, déclarent ne pas avoir vu de véhicules sur le boulevard. Toutefois, il est possible que l’automobile ait été garée rue Charles Guillon ou rue Barra.
D’après mon enquête, il est difficile de retenir contre le gardien Liénart une faute de service. Il était normalement occupé à son service lorsque l’évasion s’est produite. En ce qui le concerne, il était difficile de prévoir une complicité aussi évidente de l’hôpital. Il est aussi à signaler que la fermeture de la chambre du détenu est fort simple et facile à crocheter.
Liénart, qui est prisonnier de guerre évadé, fait partie de mes services depuis 2 mois. C’est un gardien consciencieux, travailleur, se tenant très correctement. Il n’a jamais manifesté d’opinion politique. Jusqu’à ce jour, il m’avait donné entière satisfaction et il est hors de doute qu’il ne peut être considéré comme complice de l’évasion.
Compte tenu des circonstances particulières de cette évasion, il n’apparaît pas qu’une sanction très grave puisse être prise à l’encontre du gardien de la paix Liénart. Je laisse à votre esprit de justice le soin d’apprécier celle qui pourrait lui être infligée, en vous proposant, à titre de punition, une suspension d’attribution de la prime spéciale facultative, pendant deux mois, à compter de février. Cette sanction, qui me paraît suffisante, aura, en même temps, un effet salutaire pour l’ensemble du personnel.
Mes recherches continuent, surtout en ce qui concerne la complicité de l’hôpital et, le cas échéant, je ne manquerai pas de vous tenir informé.
Le commissaire de police,
H. Chaprier
 ».
.
Le commissaire a établi ce rapport après avoir questionné les personnes citées. La "malade" confirme les faits et ajoute « Nous avons déjà vu tellement d’hommes, avec des serviettes, venir voir l’aviateur canadien que nous n’avons pas fait attention au premier qui est arrivé. D’autre part, sa venue correspondait au moment des visites et notre chambre est un passage en direction des WC. Son passage m’a donc paru normal. Si j’ai remarqué la sortie des 2 hommes, c’est uniquement par amusement ».
Le dossier comporte également des plans où est mesuré le trajet parcouru par l’aviateur "évadé".

Le plan établi par le commissaire de police.
L’évasion de l’aviateur canadien est évoquée dans cet ouvrage publié par les Chroniques de Bresse en juillet 2020.

Le programme complet des manifestations à Revonnas

Sources :
Archives départementales de l’Ain.
Voix de l’Ain du 3 novembre 2023.

Partager cette page

  • Partager par mail
  • Partager sur Facebook
  • Partager sur Twitter