Saint-Étienne-du-Bois, un village bressan dans la grande guerre
Saint-Étienne-du-Bois permet d’évoquer au mieux la vie d’un village pendant la guerre 1914-1918 avec quatre pôles différents : la mairie où l’ordre de mobilisation est arrivé ; la gare car le pays vit alors au rythme des trains ; l’église, lieu de rassemblement de la paroisse et, malheureusement, de deuil ; enfin, le monument aux morts pour honorer la mémoire des victimes.
Le village avant-guerre
Au début du XXe siècle, la France est un pays de hameaux et de villages. Aussi, en 1911, les 1 505 habitants de Saint-Étienne-du-Bois sont-ils 357 (23,7 %) à habiter au bourg [1]. Ensuite, les hameaux les plus peuplés sont Lionnière (186 habitants), Châtelet (104), Béchanne (100), Montaplan (79), Chareyziat (74), Montfraze (74), Pommier (74), les Grandes Mangettes (63). Vingt-six hameaux sont répertoriés. Au bourg (le centre-village) vivent les divers commerçants et artisans. Les professions d’épicier, cafetier, hôtelier, boucher, charpentier, menuisier, quincailler, cordonnier, charron, ou encore de forgeron, y sont représentées. On note aussi des tuilier, étameur et chaisier. Les femmes exercent les métiers liés à l’habillement.
Les commerces de l’agriculture font vivre deux coquetiers, un maquignon et un marchand de chevaux. Un marché a lieu chaque lundi et quatre foires annuelles sont organisées. Les nombreuses fermes vivent bien de la terre. La moitié emploie un ou deux domestiques ; une ferme emploie quatre domestiques, deux, cinq domestiques et une, six domestiques. La commune compte plusieurs moulins et une scierie, au hameau de Lionnère. Traversée par la voie ferrée de Bourg-en-Bresse à Besançon, elle compte une dizaine d’employés du PLM et des gardes-barrières aux quatre passages à niveau. Une école primaire est implantée au village depuis 1845 et une école mixte au hameau de Durlande depuis 1870 [2]. S’ajoutent une école libre de filles au village [3].
Départs et arrivées
La mobilisation générale est décrétée et appliquée le 2 août 1914. Les hommes sont appelés aux armées selon leur catégorie. Selon la liste électorale d’avril 1914, la commune compterait 15 jeunes au service militaire (de 21 à 23 ans), 125 réservistes (de 24 à 34 ans), 78 territoriaux (de 35 à 42 ans) et 51 réservistes de l’armée territoriale (de 42 à 47 ans). Les hommes de 48 ans et plus sont un peu plus de 200. Ils vont cultiver les terres avec l’aide des femmes et des jeunes ; un garçon ou une fille de la campagne se mêlant aux travaux des adultes dès leurs douze-treize ans. Des chevaux ont été réquisitionnés.
Les hommes sont à peine partis qu’arrivent les évacués, les bouches inutiles, selon l’expression utilisée. Ces femmes, enfants et vieillards ont quitté Belfort, par train, pour laisser la place-forte aux militaires. Saint-Étienne-du-Bois en héberge 166 [4]. Bien sûr, ces évacués ne sont là que pour quelques semaines, le temps de gagner la guerre. Ces personnes sont réparties chez les habitants. Les enfants sont scolarisés à l’école où les deux instituteurs sont trop âgés pour être mobilisés.
Premiers mois de guerre
Les débuts de la guerre ne sont pas ceux imaginés par l’État-Major et l’armée française est débordée. Elle appelle ses réservistes sur le front pour parer au plus pressé. Le choc des armées est particulièrement brutal et meurtrier. En cinq semaines de guerre, Saint-Étienne-du-Bois compte déjà neuf morts. Ils seront douze au 31 décembre 1914. Quelles cérémonies du souvenir se déroulent à l’église ? Un siècle plus tard, il est difficile de répondre et même d’envisager le contexte.
Le prolongement de la guerre pose un problème pour les évacués qui sont arrivés sans vêtements d’hiver. Certains sont autorisés à aller à Belfort pour en chercher, pour plusieurs familles. Toute menace étant écartée, ils peuvent repartir à l’été 1915. Leur séjour en terre bressane n’a pas été facile car, issus de familles d’ouvriers du textile, ils ne pouvaient guère aider aux travaux agricoles. Quelques-uns restent en Bresse et, en janvier 1915, ils sont encore 108 [5].
Difficultés dans la vie quotidienne
Les récoltes de 1914 permettent d’affronter le premier hiver de guerre. Les difficultés apparaissent dans les villes, en 1915, avec la hausse des prix. La situation empire peu à peu, les produits se raréfient sur les marchés. La carte de sucre est mise en place en février 1917, puis les tickets de pain en avril 1918 et, finalement, la carte d’alimentation, au début de septembre 1918. Tout est réglementé, tout augmente, le blé manque [6]. Le transport en est réglementé. Le pain doit ne comporter que 85 % de farine de blé.
Les productions agricoles baissent jusqu’aux deux tiers de leur niveau d’avant-guerre. L’inflation est forte et la pénurie encourage les fraudes, notamment pour le lait et le beurre. Avec des hommes moins présents dans les champs et les chasseurs moins nombreux, les nuisibles prolifèrent et causent des dégâts aux cultures et dans les basse-cours. Le concours annuel de volailles de Bourg-en-Bresse est néanmoins maintenu, fin décembre. Les éleveurs stéphanois Théophile Poncet, Joseph Puvilland ou Joseph Lobrichon s’y distinguent chaque année, pour leurs chapons et poulardes.
Des collectes de solidarité
Le pays tout entier est engagé dans l’effort de guerre. La population civile est sollicitée pour équiper les divers hôpitaux, fournir des vêtements chauds, participer au Petit paquet du soldat et, ensuite, répondre aux quêtes qui se succèdent : Journée belge, Journée du poilu, Journée des éprouvés, Journée serbe, Journée des orphelins, ou autres œuvres. Les secours aux prisonniers [7] sont coordonnés par un comité départemental. L’action qui reçoit le plus de dons est la Journée de l’Ain du 17 octobre 1915 en faveur des hôpitaux militaires de l’Ain. La commune de Saint-Étienne-du-Bois se mobilise totalement et elle est divisée en dix secteurs sous la responsabilité de femmes. La collecte s’élève à 1 168,40 francs. D’autres actions sont engagées pour lutter contre la tuberculose et l’alcoolisme. L’Ain s’investit pour la reconstruction du village dévasté de Crouy, dans l’Aisne.
La fin de la guerre
La guerre épuise les pays. Le premier à fléchir est la Russie, affaiblie par une révolution. Les soldats russes combattant sur le sol français deviennent potentiellement suspects. Ils sont retirés du front et internés dans des camps. Quelques-uns sont mis à la disposition des forestiers du Jura et du Bugey. Vingt-cinq sont attribués à Saint-Étienne-du-Bois mais les abondantes chutes de neige contrarient les projets. Et ces Russes passent quelques heures au village, pour le Jour de l’An de 1918, avant de rejoindre le camp d’Ambronay [8].
Libérée à l’est, l’Allemagne reporte ses efforts sur le front ouest et passe à l’offensive. Paris est à nouveau menacé. Avec l’aide des Américains, la France et ses alliés arrêtent les Allemands et inversent le cours de la guerre jusqu’à l’armistice du 11 novembre 1918. Un autre fléau sournois frappe déjà la France et la plupart des pays, la grippe espagnole, qui fait autant de victimes que la guerre elle-même.
Les combats ont cessé, les prisonniers rentrent peu à peu mais les difficultés se prolongent. Les approvisionnements sont insuffisants et les tensions ne s’apaisent qu’au printemps suivant. Il faudra encore quelques années pour que les récoltes retrouvent leur niveau d’avant-guerre. La paix est signée le 27 juin 1919 à Versailles et la victoire est fêtée lors du 14 juillet. Les soldats continuent à être démobilisés et chaque commune organise le banquet des démobilisés. Un comité se préoccupe d’ériger un monument en souvenir des soldats morts à la guerre : 60 noms sont gravées dans la pierre. Il est inauguré le 1er août 1920 et, plus tard, un entourage métallique est ajouté.
Rémi RICHE
Documents à télécharger
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L’article au format pdf
[1] C’est ainsi que sont dénommés les centres-village en Bresse.
[2] École créée en 1870 pour les enfants de Saint-Étienne-du-Bois et Viriat, hameau de Tanvol. A.D. Ain. Série O.
[3] Consultable sur le site des Archives départementales de l’Ain.
[4] Chroniques de Bresse n°6-2013. Tous ne restent pas sur la commune. Voir ci-après.
[5] Rapport au préfet du 13 janvier 1915. Ils reçoivent une allocation journalière de 1,25 F à partir de 13 ans et de 0,50 F au-dessous de cet âge. A. D. Ain. 10R434.
[6] En 1916, la production de blé a chuté d’un tiers par rapport à 1911.
[7] Sept prisonniers sont recensés lors d’un recensement du 21 juin 1917. A.D. Ain. 10R24.
[8] A.D. Ain. 10R495.