Une photographie pour le drame des veuves de guerre
La Grande Guerre a provoqué plus de 630 000 veuves en France et, par déduction, plus de 6 200 dans le département de l’Ain.
Léontine, habitante de Montrevel, est l’une d’entre elles. Elle s’est mariée le 14 octobre 1910, à l’âge de 19 ans, avec Alexandre Béréziat, alors âgé de 26 ans.
Alexandre est appelé le 3 août 1914 au sein du 223e régiment d’infanterie, formé à Bourg-en-Bresse. Après deux semaines d’instruction à Aix-les-Bains, le régiment est déplacé d’urgence en Lorraine. Le baptême du feu a lieu lors de la terrible bataille de Méhoncourt (Meurthe-et-Moselle) le 25 août 1914. En quelques heures, le régiment perd 449 hommes, dont 327 blessés.
Après deux mois de guerre, le front se stabilise et le régiment reste en Lorraine. Au cours de l’année 1915, il occupe les tranchées de Reillon, village à 20 kilomètres à l’est de Lunéville.
Le régiment attaque à plusieurs reprises, sans le moindre résultat. Le 15 octobre 1915, la 20e compagnie, à laquelle appartient Alexandre, est désignée pour lancer le premier assaut.
À la fin de l’attaque, encore vaine, le régiment revient dans ses tranchées en ayant perdu 165 hommes, dont des 78 ʺdisparusʺ. Alexandre est de ceux-ci.
Loin du front, Léontine s’inquiète aussitôt de l’interruption du courrier et ce mot de ʺdisparuʺ lui laisse de l’espoir. Son mari est-il prisonnier ou blessé et pris en charge par les Allemands ? Elle multiplie les démarches pour obtenir un renseignement.
Finalement, le 30 novembre 1915, une lettre d’un capitaine lui apprend que son mari a été tué, quinze minutes après le déclenchement de l’attaque, à proximité de la tranchée ennemie. « Il est tombé sans pousser un cri, noble et belle victime de la guerre. »
Cette formule de circonstance, souvent utilisée par les camarades du front, sonne le glas des espoirs de Léontine. Elle est veuve avec trois enfants et un quatrième à naître en mai 1916. Le drame absolu pour une femme qui, malgré la charge d’une ferme et l’éducation de très bambins, avait maintenu une liaison étroite avec son mari par une correspondance quotidienne. Pour l’anecdote, l’avis officiel du décès d’Alexandre parvient en mairie de Montrevel le 20 décembre 1916.
Léontine reste à la tête de la ferme familiale Avec ses quatre jeunes enfants, il lui est impossible de se rendre sur la tombe de son mari. Elle attendra jusqu’en août 1953. Profondément éprouvée, elle fera réaliser ce photomontage, après-guerre, où son mari est présent aux côtés d’elle et de leurs quatre enfants. Tout un symbole !
- Une famille bressane brisée par la guerre, comme tant d’autres.
- Le village lorrain où de nombreux soldats mariés de Bresse ont connu un terrible ʺbaptême du feuʺ.