Avant La traverse, le chemin de fer de Bourg-en-Bresse à Chalon-sur-Saône
La voie verte, créée par l’agglomération de Bourg-en-Bresse entre Ceyzériat et Saint-Trivier-de-Courtes, emprunte en grande partie l’ancienne voie ferroviaire de Bourg à Chalon. Cette ligne dite de la Haute-Bresse a été inaugurée le 3 janvier 1878, après de multiples péripéties, parfois un peu confuses, à cause de la concurrence entre deux compagnies ferroviaires.
PREMIÈRE PARTIE : LA CONSTRUCTION DE LA LIGNE
La Bresse souhaite le train
Il est difficile de retracer l’histoire de cette ligne, dite de la Haute-Bresse, sans rappeler le contexte de l’époque ; une époque encore marquée par la Révolution industrielle dont le symbole le plus fort est le train. Après les balbutiements des débuts, la France s’est dotée de grandes lignes partant de Paris vers les frontières, selon l’Étoile Legrand définie par la loi du 11 juin 1842. L’Ain est à l’écart de ces grands axes et Bourg attend la construction d’une ligne complémentaire, de Lyon à Genève avec un embranchement vers Mâcon, pour voir arriver le train le 23 juin 1856. La liaison avec Mâcon est terminée au 20 juillet 1857 et celle avec Genève au 16 mars 1858.
Le train étant alors le symbole de la modernité et de l’avenir, la plupart des régions de France le veulent. Dans l’Ain, en Dombes, il sera au service du dessèchement de six mille hectares d’étangs et la ligne ira de Sathonay à Bourg, par Villars-les-Dombes.
Les Bressans ne restent pas en dehors de ce mouvement. Par leur Conseil d’arrondissement de 1861, ils expriment leur souhait de voir une ligne ferroviaire traverser leur pays jusqu’à Chalon. D’ailleurs, dès l’arrivée du chemin de fer à Chalon, un propriétaire bressan avait alerté ses compatriotes sur les possibilités qu’offrait le train pour expédier les volailles locales vers Paris [1].
Le vœu émis en Bresse est repris par le Conseil général de l’Ain. Au mois de mai 1862, les communes susceptibles d’être traversées ou concernées sont invitées à se prononcer sur ce projet. Toutes reprennent un texte suggéré par la préfecture, qui précise que « ce chemin raccourcirait notablement la distance de Paris à la frontière d’Italie et à Genève et traverserait une contrée riche, populeuse, à laquelle il ouvrirait des débouchés nouveaux pour les produits abondants de ses champs, de ses étables, de ses basses-cours, et apporterait les matériaux nécessaires pour la construction et même l’entretien de ses chemins vicinaux. Sous l’influence d’une telle voie de circulation, la contrée serait heureusement et rapidement modifiée. Le Conseil municipal, connaissant toute la bienveillance de l’Empereur et de son gouvernement pour l’agriculture, pour le bien-être des classes laborieuses, pour une égale et équitable répartition des grands travaux publics et des éléments de progrès entre toutes les parties de l’Empire, adhère unanimement à ces considérations [2] ». Les formulations sont belles et respectueuses mais il est permis de remarquer que le gain de parcours évoqué se limite à 17 kilomètres.
Des personnalités influentes
Une convention du 1er avril 1863 accorde la concession de ce chemin de fer et le dessèchement des étangs à trois industriels lyonnais, François-Barthélemy Arlès-Dufour, Henri Germain et Amédée Sellier. Ceux-ci offrent ensuite leur concession à la Compagnie de la Dombes, fondée le 2 septembre 1864 et approuvée par un décret impérial du 17 septembre 1864 [3].
Cette compagnie dispose d’un fonds social constitué de dix mille actions de cinq cents francs. Le conseil d’administration comprend notamment les trois titulaires de la convention (cités ci-dessus), les frères Félix et Lucien Mangini, ingénieurs lyonnais, qui détiennent 5 599 actions, et Léopold Le Hon, député et président du Conseil général de l’Ain, proche du pouvoir impérial.
Henri Germain a fondé le Crédit Lyonnais. François-Barthélemy Arlès-Dufour, négociant en soie, est le créateur de l’École Centrale de Lyon et un saint-simonien convaincu [4]. Avec ces deux hommes, Félix Mangini participe à la création de la Société d’enseignement professionnel de Lyon en 1864. Plus tard, en 1900, il sera à la base de la création du sanatorium d’Hauteville.
En cette année 1864, ces hommes sont donc des administrateurs de la Compagnie de la Dombes.
Le souhait du préfet
Le train est donc en projet à travers la Dombes et la Bresse et divers ingénieurs étudient la possibilité de relier Nantua et le Haut-Bugey au Lyon-Genève. Au moment où le département compte déjà 284 kilomètres de voies ferrées, le préfet de l’Ain, Léon de Saint-Pulgent, écrit à l’agent-voyer en chef, le 17 mai 1864 : « il est difficile d’espérer que de longtemps encore la Compagnie de Lyon sollicite la concession d’autres embranchements car, dans cette partie de l’Empire, les intérêts généraux sont satisfaits (...). Est-ce à dire pour cela que l’intérêt local doive être complètement abandonné ? (...) Il me semble que, dans le département de l’Ain, nous pouvons importer l’heureuse innovation qui a obtenu ailleurs un éclatant succès, dans l’Alsace notamment : des chemins de fer vicinaux ».
Par son courrier, le préfet invite le fonctionnaire à étudier des lignes de Bourg à Ceyzériat, de Bourg à Chalon, de Trévoux à Pont-d’Ain, de Belley à Virieu-le-Grand ou Rossillon, de Nantua à Ambronay et de Gex à Genève car il souhaite « présenter ces divers projets à la prochaine session du Conseil général [5] ». Cette lettre est une invitation pour que le Conseil général de l’Ain se dote d’un véritable réseau départemental de chemins de fer vicinaux.
Ce sujet, débattu dans d’autres départements, notamment en Saône-et-Loire, remonte à l’Assemblée nationale qui, par la loi du 12 juillet 1865, donne un cadre légal aux chemins de fer d’intérêt local. Ils peuvent être établis par des collectivités ou « par des concessionnaires, avec le concours des départements ou des communes ». C’est la voie que choisit le département de l’Ain.
La ligne de la Haute-Bresse
Les régions de l’Ain continuent à œuvrer pour obtenir leurs trains. En Bresse, dès l’automne 1865, les communes concernées sont sollicitées pour participer au financement de leur ligne. Comme les sommes promises sont insuffisantes, la procédure est relancée au printemps de 1866. Dans quelques communes, des conseillers s’opposent au projet mais ils sont peu nombreux.
« L’appel de M. le Préfet, le vœu du Conseil général et la voix du comité ont été entendus. Les communes y ont répondu en acceptant le contingent assigné (...). Deux communes seulement ont, pour des causes diverses et regrettables, décliné jusqu’ici la solidarité qui les unit au pays tout entier, et n’ont pas encore répondu à la demande du concours qui leur était faite. Mais la somme de cent mille francs demandée est presque apurée et le sera dans tous les cas [6] ».
La ligne rejoindra, à Saint-Germain-du-Plain, celle de Chalon-sur-Saône à Lons-le-Saunier, également en projet pour la Compagnie de la Dombes. Les communes de l’Ain, qui ont voté leur participation, sont Saint-Trivier-de-Courtes (17 000 F), Curciat-Dongalon (5 000 F), Saint-Nizier-le-Bouchoux (4 000 F), Courtes (2 000 F), Vernoux (1 000 F), Vescours (500 F), Mantenay (1 500 F), Servignat (500 F), Saint-Julien-sur-Reyssouze (8 500 F), Lescheroux (2 000 F), Saint-Jean-sur-Reyssouze (6 000 F), Jayat (4 000 F), Béreyziat [7] (1 000 F), Foissiat (5 000 F d’imposition + 116 F de fonds libres), Montrevel (10 000 F), Étrez (1 000 F), Malafretaz (1 500 F), Marsonnas (2 500 F), Saint-Didier-d’Aussiat (1 500 F), Saint-Martin-le-Châtel (500 F), Cras (5 000 F), Viriat (3 000 F), Confrançon (500 F), Curtafond (500 F) et Bourg (13 000 F) [8]. Le député Léopold Le Hon ajoute 2 884 francs et les 100 000 francs nécessaires sont atteints. La commune d’Attignat ne figure pas sur cette liste initiale mais votera 5 000 francs, plus tard [9].
Le projet des frères Mangini
La somme nécessaire réunie, le Comité local, institué par le préfet pour aider à la réalisation du chemin de fer, présidé par Léopold Le Hon, se réunit régulièrement et notamment le 16 avril 1866 pour examiner « le plan présenté par MM. Mangini pour le chemin de fer qu’ils offrent de construire et d’exploiter dans la Haute-Bresse entre Bourg et Saint-Germain-du-Plain, à la condition que les terrains nécessaires à l’assiette du chemin leur soient livrés gratuitement ».
Le Comité constate que « la ligne projetée ne suivrait pas le plateau de la Bresse mais bien la vallée de la Reyssouze, contrairement à l’idée qui avait été émise lors de la session du Conseil général. M. le Préfet fait remarquer que, d’après ce tracé, la voie emprunterait des terrains, généralement en prairies, dont la valeur est bien supérieure à celle qu’a le sol situé sur le côté occidental de la route impériale, et qui avait servi de base au vote du Conseil général et des communes ».
Selon ce plan, la ligne aurait son origine sur le plateau du Mail, contournerait la ville de Bourg par le sud et l’est avant de rejoindre la vallée de la Reyssouze. « Le Comité estime que cette direction, qui gêne les services principaux de la ville, qui pourrait, pour le passage des trains, jeter un trouble des plus périlleux parmi les animaux rassemblés les jours de foire, est une cause principale du supplément des évaluations prévues ». Pour ne pas dépasser la dépense prévue, le Comité préférerait que la ligne suivît la direction du plateau jusqu’au Guidon ou aux Greffets (commune de Viriat).
Enfin, « il pense que MM. Mangini pourront accueillir les observations sans aucun dommage pour l’exploitation future et avec avantage et économie pour la construction de la ligne d’intérêt local projetée [10] ».
Validation de trois lignes
Ailleurs, les études sont terminées et les financements assurés. MM. Mangini ont sollicité les concessions. Comme les projets d’Ambronay ou de Saint-Rambert à Nantua n’ont pas été menés à leur terme, MM. Mangini proposent une ligne de Bourg à La Cluse qui « s’embranche sur celle de la Dombes un peu en amont de la gare de Bourg, traverse sous un viaduc le chemin de Genève et se dirige vers Tréconnas ». Quant à la ligne de la Haute-Bresse, elle « s’embranche sur celle de Nantua, contourne la ville de Bourg et vient se jeter dans la vallée sur la rive gauche de la Reyssouze ». MM. Mangini ont conçu les trois lignes en un réseau totalement indépendant du P.L.M.
Le préfet ajoute que « la ligne de La Cluse est une voie forestière ; la ligne de la Haute-Bresse est une voie agricole ; la ligne de Villebois est une ligne industrielle ». Les lignes de Gex à Genève et de Belley à la ligne de Lyon-Genève, en cours d’instruction, n’ont pas encore fait l’objet d’une demande de concession [11].
Malgré les incertitudes des tracés, le dossier global est transmis au ministère et les trois lignes étudiées sont autorisées par un décret impérial du 30 mars 1867.
Le décret consacre un engagement fort du département et Frédéric Dufour écrit dans le Courrier de l’Ain du 9 avril 1867 : « Aux termes de la loi de 1865, il fallait, pour le succès de l’entreprise projetée, le concours actif des conseils électifs, des administrations locales, en un mot de toute la population intéressée. Grâce au patriotisme éclairé de tous, aucun de ces concours n’a fait défaut. Cette union des cœurs, des volontés et des efforts, vient de recevoir son éclatante réponse. Devant les sacrifices unanimes du département, des communes, des particuliers, le gouvernement a tenu à réaliser le bienfait que la loi permettait d’espérer de lui, et voilà le département de l’Ain inscrit un des premiers sur la liste des favorisés ». La loi est votée depuis moins de deux ans et les partisans du chemin de fer ont peut-être un peu "forcé la main" à certains élus locaux, préoccupés du développement de leurs communes.
La poursuite des études
Une nouvelle phase débute. Les souhaits exprimés par les communes sont pris en compte. MM. Mangini redéfinissent un nouveau tracé qui abandonne le contournement de Bourg et la vallée de la Reyssouze. La ligne se développe davantage sur le plateau, à l’ouest de la route impériale. « Si la suppression de la gare de Cras diminue un peu les facilités de desserte affectées aux habitants de cette commune, le déplacement des gares d’Attignat et de Montrevel permet de desservir ces dernières localités plus importantes d’une façon beaucoup plus efficace ». Présenté le 5 janvier, le projet est approuvé par l’administration le 22 mars 1869 [12].
Les mêmes opérations se terminant sur les deux autres parcours, le préfet institue, le 27 mars 1869, « une commission centrale pour diriger les opérations relatives à l’acquisition des terrains nécessaires à l’ouverture des chemins de fer d’intérêt local ». Ces terrains seront à mettre à la disposition du concessionnaire dans un délai de quinze mois.
Pour entreprendre les travaux, les concessionnaires auront alors un an, à partir du 8 avril 1870 pour la ligne de Chalon. Les premiers travaux, lancés sur la ligne de La Cluse, ne sont pas interrompus par la guerre de 1870-1871.
Néanmoins la chute du Second Empire entraîne celle de Léopold Le Hon. Les projets ferroviaires ne sont pas remis en cause. Henri Germain, le créateur du Crédit Lyonnais et le nouvel élu du canton de Trévoux, accède à la présidence du Conseil général de l’Ain en 1871. Quelques années auparavant, il avait acquis le château de La Pape [13] et il est aussi le député de la circonscription. Il est à noter que la Compagnie de la Dombes est devenue, depuis 1869, la Compagnie des Dombes et des chemins de fer du Sud-Est (D.S.E.).
Ingérence de Louhans dans le dossier
La construction de la ligne de Bourg à Chalon prend du retard pour diverses raisons. Dans le département de Saône-et-Loire, où MM. Mangini ont obtenu la concession de la ligne de Chalon à Lons-le-Saunier, des communes contestent la ligne de la Haute-Bresse. Elles sont 42 à revendiquer une ligne de Bourg à Louhans et 24 à souhaiter la ligne, telle qu’elle est présentée. Le Conseil général de Saône-et-Loire n’a approuvé ce projet qu’à la seule voix prépondérante de son président [14].
La revendication de Louhans suscite de vives réactions dans la Bresse de l’Ain, à l’image du Conseil municipal de Béreyziat qui délibère le 5 août 1869 : « nos relations avec la ville de Louhans ne sont d’aucune importance, nos débouchés, au contraire, sont considérables pour la ville de Paris et Chalon centres de grande consommation [15] ».
La polémique perdure et, en janvier 1872, le département de Saône-et-Loire n’a pas encore engagé l’acquisition des terrains pour la construction de la ligne. Et à l’automne 1874, les agriculteurs de l’Ain demandent s’ils peuvent ensemencer à nouveau les terrains qu’ils ont cédés.
Une seconde gare à Bourg
Une autre raison du retard est la difficulté qu’a la compagnie à trouver le bon emplacement de sa gare, à Bourg, où ses trois voies convergeraient. La ligne de Sathonay arrive à l’ouest de la gare P.L.M. et la ligne de La Cluse vient de l’Est.
Comment les relier, alors que les voies P.L.M. les séparent ? La réponse déterminera l’origine de la voie de Chalon. Il faut aussi concilier les trafics "voyageurs" et "marchandises", ne pas encombrer davantage le passage à niveau sur la route n°83, trop souvent fermé [16].
Les travaux sont déjà bien avancés entre Simandre-sur-Suran et le plateau de Bel-Air à Bourg, lorsque la Compagnie D.S.E. présente un nouveau projet en 1872 [17]. La gare serait située à l’est de la gare P.L.M. et la voie de Chalon serait en continuité de la ligne de La Cluse et traverserait la cour de la gare. La ligne de Sathonay passerait sous la voie P.L.M. pour rejoindre celle de La Cluse.
La circulation de trains au milieu des piétons dans la cour de la gare n’est pas acceptable pour l’administration ni pour la ville qui, même souhaitant vivement une gare commune, ne veulent rien imposer aux compagnies.
En concurrence avec le P.L.M.
La Compagnie D.S.E. ne peut guère compter sur la bienveillance du P.L.M. En effet, « les Mangini rêvent de centrer sur Lyon tout un réseau de voies ferrées secondaires et ils ne cachent pas leur ambition de faire pièce au P.L.M. En achetant les "Chantiers de la Buire" [installés à Lyon], les Mangini peuvent fabriquer une partie de leur matériel roulant, des wagons de voyageurs et de marchandises ». Ils ont constitué la Société anonyme des Chantiers de la Buire dès le 23 juin 1866 et, ensuite, ils fusionnent toutes leurs activités au sein d’une nouvelle société, la Compagnie des Dombes et des chemins de fer du Sud-Est, en 1869. Tout cela « constitue un curieux et beau spectacle industriel que celui d’une compagnie où les deux chefs sont à la fois les promoteurs, les ingénieurs, les constructeurs et les exploitants » [18].
La guerre de 1870-1871 a entravé les projets industriels mais, malgré leurs difficultés face au P.L.M., les Frères Mangini restent un partenaire fiable pour le département de l’Ain.
Une gare augmentée
Les études et les courriers se multiplient. Le 17 juillet 1874, une première décision est prise : « elle consiste à rendre la cour de la gare actuelle commune aux voyageurs des deux réseaux, à construire pour le service des voyageurs des lignes des Dombes un bâtiment attenant à celui des voyageurs de la Compagnie Paris-Lyon-Méditerranée. Une passerelle sera établie pour faire communiquer directement le nouveau bâtiment des voyageurs avec les voies de la Compagnie des Dombes, en passant par-dessus les voies de Paris-Lyon-Méditerranée ».
Il serait envisageable de traverser les voies du P.L.M. par un "cisaillement" mais les ingénieurs du contrôle refusent cette possibilité à cause des risques de collision entre des trains de compagnies différentes. Le projet du nouveau bâtiment, déjà en cours de construction, et de la passerelle, est approuvé 18 janvier 1877 [19].
Les tracés des lignes de La Cluse et de Chalon restent à être définis. L’absence d’archives ou de plans, aux Archives départementales, ne permet pas de suivre l’évolution d’un dossier où les deux compagnies concurrentes ne sont guère coopérantes. Toutefois, la section de Bourg à Simandre est ouverte au trafic le 10 mars 1876 mais les trains mixtes, voyageurs et marchandises, ont leur origine à proximité de l’embranchement avec les voies P.L.M. Tout laisse à penser que le "cisaillement" existe mais qu’il ne serait pas utilisable pour les trains commerciaux.
Le document suivant est daté du 24 mars 1877. Il s’agit du Procès verbal de reconnaissance des travaux exécutés sur l’ensemble de la ligne de La Cluse. Il indique que le parcours se termine au pied du bâtiment nouvellement construit, donc à l’est et en parallèle aux voies du P.L.M. [20].
Un "saut de mouton" pour aller à Chalon
L’arrivée de la ligne de La Cluse étant définie, le départ de Bourg de la voie de Chalon peut l’être. La ligne prolongera celle en provenance de Sathonay, côté ouest. Plus loin, tout "cisaillement" étant impossible, la ligne franchit celle du P.L.M., de Bourg à Mâcon, par un "saut de mouton" au-delà du hameau de la Chambière, à 3,7 kilomètres de Bourg. Le projet est approuvé le 24 juillet 1875.
La Compagnie D.S.E. entreprend les travaux après avoir terminé sa ligne de Lyon à Montbrison, ouverte le 17 janvier 1876. Les dernières modifications du tracé bressan concernent des sections à Attignat, Montrevel et Saint-Trivier-de-Courtes. Après un accident qui a causé la mort d’une jeune fille de treize ans à Montrevel le 10 mai 1877, la préfecture de l’Ain rappelle au public les dangers de traverser les voies en dehors des passages à niveau, à cause de la circulation de locomotives ou de trains de travaux [21].
Terminé, le pont métallique au-dessus des voies du P.L.M. est soumis, le 2 novembre 1877, au contrôle et aux épreuves de résistance. Si celles-ci sont satisfaisantes, les dimensions ne sont pas conformes pour quelques centimètres en largeur et en hauteur. Le pont ne sera pas rectifié malgré des rappels à l’ordre [22].
Il est à noter que, pour la pose des rails des chemins de fer d’intérêt local, une directive de 1872 permet l’utilisation de dés en pierre, en alternance avec les traverses en bois. La Compagnie D.S.E. obtient la possibilité, le 9 juillet 1875, d’augmenter le nombre des dés en pierre [23].
Caractéristiques de la voie
La reconnaissance de la ligne de Bourg à Saint-Germain-du-Plain en janvier 1878 indique les caractéristiques de la voie. « Les poteaux et fils télégraphiques sont posés sur toute la ligne ; on s’occupe de la pose des appareils, tout sera prêt dans un délai de huit jours.
Le ballast est complet sur la ligne et dans les stations sauf dans celles de Mantenay et de Saint-Trivier où ce travail sera terminé dans un délai de huit jours.
Le chemin n’a qu’une voie. La voie est posée avec les rails en acier du type adopté par la compagnie, pesant 30 kg le mètre linéaire, de 8 mètres de longueur, reposant sur 4 traverses et 6 dés entre Bourg et Saint-Julien et sur 8 traverses entre Saint-Julien et la limite du département [24] ».
Outre le "saut de mouton" à la sortie de Bourg, l’ouvrage d’art le plus important est un pont à trois arches de 23,50 mètres, sur la Reyssouze. Les passages à niveau sont au nombre de 53 et « les maisons de garde au nombre de 28 sont terminées et habitées »
Les travaux activement menés se terminent à la fin de l’année 1877.
Train inaugural
À l’initiative de Félis Mangini, le train inaugural du 3 janvier 1878 réunit quatre-vingts personnalités dont MM. Hendlé, préfet de Saône-et-Loire, Rousseau, préfet de l’Ain, Triquet, maire de Bourg, des conseillers généraux et des ingénieurs. Après un retour effectué en 1 h 47 mn (pour 34 km), un déjeuner est offert à tous par Félix Mangini au buffet de la gare. Les préfets félicitent la Compagnie D.S.E. pour la réalisation d’un réseau qui s’étend sur les départements de l’Ain, de la Saône-et-Loire, du Rhône, de la Loire et du Jura et soulignent « les avantages immenses que l’établissement de ce réseau a procuré et procurera aux pays qu’il traverse. (...) Il y avait place, à côté des compagnies puissantes, pour des compagnies plus modestes rendant, elles aussi, de grands et incontestables services, et dont la compagnie dirigée par MM. Mangini est un exemple tout à fait digne d’être suivi [25] ».
Sur la ligne, quelques imperfections ont été relevées et un arrêté préfectoral du 5 janvier 1878 précise que « la vitesse des trains sera ralentie et ne devra pas excéder 15 kilomètres à l’heure sur tous les points où il s’est opéré et où il s’opérerait encore des affaissements et glissements dans la plateforme, jusqu’à ce que la voie ait pris une assiette définitive. (...) Les travaux d’assainissement et de consolidation devront être terminés dans un délai maximum de trois mois ». Le service commercial est autorisé à partir du 15 janvier 1878.
La presse locale rend compte de la journée du 3 janvier et de ses festivités. Un Bressan de Romenay fait remarquer au Courrier de Saône-et-Loire qu’aucun hommage n’a été rendu aux anciens députés Léopold Le Hon et Girod de l’Ain. Le premier a pourtant beaucoup œuvré pour la Bresse et les chemins de fer d’intérêt local [26].
DEUXIÈME PARTIE : L’EXPLOITATION DE LA LIGNE
Pour les produits agricoles
Dès sa mise en service, la ligne est au service de l’agriculture comme le prouvent ces deux échos du Courrier de l’Ain. La foire de Montrevel de mi-janvier, dite de Saint-Antoine, est l’une des foires grasses les plus importantes de la région pour le commerce des porcs [27].
Vers un rachat par le P.L.M.
En cette année 1878, la Compagnie D.S.E. est en pleine expansion et elle a obtenu la concession du prolongement de la ligne de La Cluse jusqu’à Bellegarde. Elle exploite environ quatre cents kilomètres de lignes et devient une concurrente sérieuse pour le P.L.M. Celui-ci entreprend de timides démarches pour un éventuel rachat.
La Compagnie D.S.E. reste d’abord sourde à ces approches avant de changer d’attitude. En effet, le gouvernement étudie le Plan Freycinet pour rationaliser l’exploitation des chemins de fer et favoriser le rachat des "petites" compagnies par les grandes. Avant d’être contrainte à un éventuel rachat, elle préfère négocier à l’amiable sa reprise par le P.L.M., d’abord en 1882 sous la forme d’un fermage de 75 ans, puis par un rachat pur et simple valable à partir du 1er janvier 1884. L’assemblée générale du 23 janvier 1884 le valide et, en échange, les administrateurs reçoivent des actions du P.L.M.
Le matériel de la Compagnie D.S.E. est transféré et il comprend 44 locomotives à vapeur, 172 voitures voyageurs à plateformes externes, 31 fourgons à bagages et plusieurs dizaines de wagons de marchandises de types divers [28]. Les 707 agents sont aussi repris et ils se répartissent en 195 agents pour le service de l’exploitation, 98 agents pour la "traction et le matériel", 414 agents pour la "voie et bâtiments" [29].
À Bourg, la gare est alors réorganisée et la passerelle métallique est démontée. Ensuite, le P.L.M. consolide les anciennes voies de la Compagnie D.S.E. pour permettre l’utilisation de locomotives plus puissantes.
Voyage en cartes postales
Une période faste avant le déclin
La Belle Époque est une période faste pour le train qui est indispensable à l’économie du pays. Ce bel élan est brutalement stoppé par la Grande Guerre de 1914-1918. Le train se met au service des armées et les lignes régionales souffrent du manque de charbon.
Après-guerre, les transports automobiles concurrencent le train pour le transport tant des voyageurs que des marchandises. Les lignes secondaires seront alors remises en cause à la fin des années 1930 mais, après la mobilisation des élus locaux, la ligne de Bourg à Chalon échappe à la fermeture en 1938.
La Seconde Guerre mondiale survient peu après. La ligne est interrompue, à l’entrée de Chalon, par la destruction du pont sur la Saône pour freiner l’avancée des Allemands. Ensuite, la Ligne de démarcation, instaurée de juillet 1940 à mars 1943, est une barrière supplémentaire à l’accès à cette ville. Les restrictions se multiplient et la circulation des trains est de plus en plus aléatoire. La ligne n’a pas d’intérêt stratégique majeur mais la Résistance préfère détruire les ponts.
Elle est rétablie après-guerre pour les trains de marchandises avant d’être fermée au 1er juillet 1951. La ligne est déclassée, par sections, dans les années 1960, et la voie est retirée de Montrevel à Saint-Marcel-lès-Chalon en 1967. Des projets ferroviaires ont été étudiés pour réutiliser la voie de Bourg à Montrevel mais ils n’ont pas abouti.
Pour l’ouverture du foirail de la Chambière (commune de Saint-Denis-lès-Bourg) en 1986, la voie a été remise en service au départ de Bourg pour le transport de bestiaux par wagons.
Ensuite l’acquisition de la plateforme, sur le territoire de l’Ain, par les collectivités locales au début des années 2000 permet l’aménagement d’une voie verte, La traverse, en cours d’aménagement depuis 2017. Cette voie dédiée aux déplacements doux quittera l’ancienne ligne au hameau de Tanvol, commune d’Attignat, pour rejoindre Viriat et Ceyzériat. Les travaux sont en cours sur cette section.
Rémi Riche
Mars 2024.
Avec la collaboration de Gérard Augustin et Gyliane Millet.
Archives départementales de l’Ain.
Archives municipales de Bourg-en-Bresse.
Le Pont de Lyon à Bourg-en-Bresse
Aux origines des "Glorieuses de Bresse", les premiers concours de volailles
Pour mieux connaître l’univers des chemins de fer, visitez le Musée du cheminot à Ambérieu-en-Bugey ! Site : http://musee.cheminot.free.fr
Photos
[1] Voir notre chronique les Glorieuses de Bresse. Lien à la fin de cette chronique.
[2] A.D. Ain. 5S256.
[3] Bulletin des lois n° 1071-1864.
[4] Les saint-simoniens ont une certaine foi dans le progrès économique et social et œuvrent en ce sens.
[5] A.D. Ain. 1N7.
[6] Rapport du Comité de ligne d’avril 1866. A.D. Ain. 5S256.
[7] Orthographe de l’époque.
[8] Récapitulatif non daté. A.D. Ain. 5S43. Année 1868.
[9] A.D. Ain. 5S258.
[10] Rapport du Comité de ligne d’avril 1866. A.D. Ain. 5S256.
[11] Rapport du préfet au Conseil général. Août 1866. A.D. Ain. 5S43.
[12] A.D. Ain.5S256.
[13] Près de Rillieux, alors dans le département de l’Ain.
[14] Son courrier au président du CG de l’Ain. Session de 1869. A.D. Ain. 5S256.
[15] A.D. Ain. 5S259.
[16] Le Pont de Lyon ne sera réalisé qu’en 1906. Voir notre chronique dont le lien est indiqué à la suite de cette chronique.
[17] Le premier comportait le contournement de la ville.
[18] Citations extraites de l’ouvrage, Les dynasties lyonnaises de Bernadette Angleraud et Catherine Pellissier. Éditions Perrin. 2003
[19] A.D. Ain. 5S14.
[20] A.D. Ain. 5S294.
[21] A.D. Ain. 5S283.
[22] A.D. Ain. 5S273.
[23] A.D. Ain. 5S14.
[24] A.D. Ain. 5S256.
[25] Courrier de l’Ain du 5 janvier 1878.
[26] Courrier repris par le Journal de l’Ain du 21 janvier 1878.
[27] Voir la chronique Le porc en Bresse sur ce site.
[28] Trains oubliés - Volume 2 : le P.L.M. par José Banaudo. Les Éditions du Cabri. Menton. 1981.
[29] A.D. Ain. 5S50.