Bossi : un préfet pour accueillir Napoléon, une fille prénommée "Bourg"
Après une évocation du passage de Napoléon 1er à Bourg, en avril 1805, cette chronique s’intéresse au préfet de l’Ain, qui a accueilli l’Empereur, Charles de Bossi, qui a noué une étonnante relation avec ses administrés. Il a aussi mis en place les directives impériales, notamment les Rosières, ces jeunes filles sages mariées à des soldats ayant fait la guerre.
Cette chronique est divisée en quatre chapitres pour une histoire s’étalant de 1799 à 1889 : un préfet arrivé de Turin, les Rosières de l’Empire, le préfet fait l’actualité et la fille se souvient.
CHAPITRE 1 - UN PRÉFET ARRIVÉ DE TURIN
L’époque
Ces événements se déroulent dans un contexte particulier, dans les années qui suivent la Révolution. Lorsqu’il réussit son Coup d’État du 18 brumaire (9 novembre 1799), Bonaparte a déjà travaillé avec Emmanuel Sieyès [1] à l’élaboration de la Constitution de l’an VIII (17 février 1800), mais il a imposé ses vues. Cette constitution pose les principes d’une administration du territoire qui perdure aujourd’hui : « le préfet dans le département, le sous-préfet dans l’arrondissement, les maires et adjoints dans les municipalités, le conseil de préfecture, le conseil général, le conseil municipal [2] ». Le personnage essentiel en est le préfet, comme le précise le Bulletin des lois n°17 : « le territoire européen de la République où, dans chaque département, un préfet sera chargé seul de l’administration [3] ». Les termes ʺterritoire européenʺ sous-entendent-ils l’universalité de la République ou l’ambition de Bonaparte ?
Le premier préfet de l’Ain, Antoine Ozun, nommé le 10 mars 1800, installe la préfecture dans l’ancien Hôtel de Province, rue Crève-Cœur (actuelle mairie, rue Bichat). Il favorise le retour des cérémonies religieuses et, à l’été 1801, la reprise des activités de la Société d’Émulation et d’Agriculture de l’Ain qu’il subventionne. Il décède d’une chute de cheval, le 26 mai 1802, à l’âge de 33 ans. Son successeur, Patrice de Coninck, reste en fonction de juillet 1802 à février 1805 et crée une commission pour étudier l’assèchement des étangs de la Dombes.
Troisième préfet
Joseph Charles Aurèle de Bossi, troisième préfet de l’Ain, arrive en février 1805, de Turin où il est né le 15 novembre 1758. Il étudie d’abord le droit et obtient son doctorat en 1781. Passionné de poésie et de littérature, il publie des odes remarquées mais ses idées philosophiques déplaisent. Il est néanmoins nommé secrétaire de la légation de Gênes puis il est chargé de diverses missions diplomatiques à Francfort, Saint-Pétersbourg ou Venise.
Il est en Piémont lors des guerres d’Italie et participe aux négociations du traité de Campo-Formio (17 octobre 1797) qui met un terme provisoire à la guerre franco-autrichienne. Favorable aux Français, il rencontre le général Joubert et collabore à l’établissement de la République piémontaise le 10 décembre 1798. Le 20 juin 1799, les troupes austro-russes reconquièrent Turin et Charles de Bossi doit s’exiler à Paris. Après la victoire française de Marengo (14 juin 1800), il favorise l’intégration du Piémont à la France. Il est soumis à une période de disgrâce pour avoir refusé une mission en Moldavie, avant d’être nommé préfet du département de l’Ain en février 1805. Comme il a été d’usage, il a déjà occulté sa particule.
La Statistique de l’Ain
Lorsqu’il arrive à Bourg, Charles Bossi est un célibataire de 46 ans, doté d’une solide expérience diplomatique et sans doute est-il polyglotte. Sa première tâche est de préparer le passage de Napoléon 1er dans le département [4], puis d’appliquer les directives impériales. Son œuvre majeure est la publication de la Statistique générale de la France - Département de l’Ain, en 1808, selon une directive du ministre de l’Intérieur du 16 mai 1805.
Elle a été rédigée à partir d’enquêtes successives et répétitives, datant parfois de plusieurs années. Il en ressort un imposant volume de 720 pages, très documentées, mais avec des démonstrations étirées et quelques redondances. En outre, l’époque utilise les proportions (et non les pourcentages) et des unités de mesure oubliées.
Un facsimilé a été édité à 350 exemplaires en 1978, à Lyon.
Malgré ses imperfections, cet ouvrage est un document exceptionnel car il est le fruit d’enquêtes sur le terrain et Charles Bossi évoque sa rencontre avec « des gens les plus instruits de chaque commune, à l’époque de ma dernière tournée ». Lui-même a conscience de certaines limites car la population redoutait « une nouvelle répartition de contributions, de charges publiques, de levées militaires et chaque commune craignait de paraître importante et populeuse (…). [Désormais] l’ordre rétabli dans toutes les branches de l’administration, les progrès de la confiance et de la sécurité, en un mot, la stabilité que promettent au Gouvernement les victoires et le génie de l’auguste chef de l’Empire, ont enfin persuadé les habitants des campagnes (…) qu’ils n’auraient ni à perdre ni à gagner à dissimuler le nombre de leurs enfants, de leurs bestiaux et la quantité de blé qu’ils ont récoltée. (…) On commence à oublier les pertes et les désastres de la guerre. »
CHAPITRE 2 – LES ROSIÈRES DE L’EMPIRE
Échos de campagne
Dès sa prise de pouvoir, Napoléon Bonaparte a montré un sens aigu de la propagande pour donner du ʺsensʺ à ses actions et une unité, non pas à la France, mais à un Empire, bientôt fort de 130 départements. Face à l’Europe entière, la victoire de Marengo (14 juin 1800) lui apporte une légitimité comme chef d’État et chef de guerre ; une légitimité qu’il doit entretenir par de nouvelles victoires, à faire connaître. Il avait déjà eu cette préoccupation lors de ses campagnes d’Italie et de son expédition en Égypte.
Au début du mois d’octobre 1805, son armée prend le nom de Grande Armée et il crée le Bulletin de la Grande Armée, autant destiné aux militaires et civils, français et étrangers, qu’à sa postérité. Ces bulletins, qui portent son empreinte rédactionnelle, sont envoyés aux préfets qui ne manquent pas, comme le préfet Bossi, de les reprendre pour diffuser une publication destinée aux autorités locales et aux maires des communes. Cette publication est relayée, à son tour, par le Journal de l’Ain [5], et les actions impériales sont connues de tous, ou presque. Le préfet prend aussi l’initiative de saluer les victoires, nombreuses, par des Te Deum à Notre-Dame de Bourg, comme ci-après en 1809, après Essling et avant Wagram. Une légende se construit par ces bulletins, une chaîne de diffusion et au prix du sang des soldats !
Répercuter les cérémonies impériales
Avec un souci de propagande, Napoléon vit son épopée comme un feuilleton. Il possède l’art d’en mettre en scène les épisodes et d’informer son peuple par une démultiplication en cérémonies locales, organisées dans les chefs-lieux d’arrondissement [6] et les grandes villes. Ainsi, à l’occasion de son sacre du 2 décembre 1804, il ordonne que soit célébré le mariage de Rosières, des jeunes filles « sages » (vertueuses). Aussi le Conseil municipal de Bourg se réunit-il spécialement afin d’arrêter le programme de la journée, avec une cérémonie ponctuée de salves d’artillerie et sonneries de cloches.
Le 16 décembre 1804, le mariage civil est célébré à neuf heures du matin, entre Louise Girin, âgée de 21 ans, fille d’un tisserand, et André Guillot, tisserand, âgé de 19 ans, fils d’un sergent de police. Elle bénéficie d’une dot de 600 francs [7]. L’acte est suivi de 30 signatures de personnalités et elle est déclarée illettrée, comme ses deux parents. À dix heures, le cortège est conduit à l’église par les sous-officiers du 101e régiment de ligne et par un piquet de gendarmerie, au son des tambours. Pour le retour, les époux ouvrent le cortège. À cinq heures du soir, « des fontaines à vin sur la place d’armes, éclairée par des pots à feu, seront à la disposition du public. Sur la place, au-devant de l’Hôtel-de-Ville, il sera établi une danse au son des instruments champêtres ; les nouveaux époux seront invités à ouvrir la danse [8] ».
Les Rosières, des jeunes filles à marier
Napoléon a ainsi repris un thème de l’Ancien Régime, la Rosière, une jeune fille vertueuse fêtée et couronnée de roses, chaque année, au sein des paroisses [9]. D’autres Rosières bénéficieront d’une dot et du repas de noces, offerts par la Ville, à la demande de l’Empereur. Toujours choisies par le préfet, elles seront mariées avec « un homme ayant fait la guerre » et ces dispositions s’appliquent aux « communes jouissant de plus de dix mille francs de revenus [10].
Selon les registres de mariages de Bourg, à Louise Girin, ont succédé Jeanne Marie Terrier, tailleuse de 15 ans le 6 décembre 1807 ; Marie Sophie Périer le 30 novembre 1809 ; Marie Anne, fille naturelle, le 1er décembre 1811 ; et Marie Collon, 19 ans, fille d’un boucher, le 6 décembre 1812. Se sont intercalées, Jeanne Marie Rodet, 23 ans, fille d’un journalier, et Marguerite Cécile Thieux, lingère de 23 ans, le 23 avril 1810, en l’honneur du mariage de l’Empereur ; Marie Josèphe Rossand, fille naturelle de 20 ans, et Marie Françoise Bouvet, tailleuse de 29 ans, le 9 juin 1811, à l’occasion de la naissance du Roi de Rome.
Elles ont été mariées à des hommes de 20 ans (deux), de 27 et 28 ans (trois) et âgés de 35 et 40 ans. Ainsi, sous l’Empire, huit femmes de Bourg-en-Bresse ont été honorées du titre de Rosière. Pour son mariage avec Marie-Louise, Napoléon 1er décrète qu’une Rosière soit mariée dans chaque chef-lieu de canton [11]
Avis aux militaires : trois Rosières à marier
Un décret préfectoral du 14 novembre 1812 règle le mariage des Rosières. « Dans les villes qui dotent les Rosières, le cortège se rendra préalablement à l’hôtel de la mairie pour y assister au mariage. Les époux prendront place dans le cortège, en avant du corps municipal. Les officiers, sous-officiers et soldats en retraite seront invités à y prendre rang en avant de l’état-major de la place, et à défaut, en avant des autorités. (…) Des jeux de l’arc ou de l’arquebuse, du mât de cocagne, de bagues, de tourniquet, du rampeau [quilles], seront établis, autant que possible dans toutes les communes ; des danses et des feux de joie auront lieu partout. Messieurs les maires et adjoints présideront à l’ouverture des jeux et prendront les mesures convenables pour qu’ils ne soient troublés par aucun désordre. » (…)
Les Rosières désignées pour être mariées le 6 décembre 1812 sont : à Bourg, Marie Collon, tailleuse, née le 12 avril 1793, fille d’un boucher ; à Montluel, Claudine Trigon, fille de cultivateur, « assez bien de sa personne » ; à Pont-de-Vaux, Françoise Blanc, ouvrière en linge, née le 16 septembre 1791, fille de vannier. « Les militaires qui croient pouvoir prétendre à la main de ces Rosières doivent se hâter de les rechercher et de faire leurs dispositions pour que leur mariage puisse se faire le 6 décembre prochain. MM. les maires sont priés de communiquer le présent avis aux militaires retirés dans leur commune [12] ».
D’autres célébrations
Chaque année, les communes célèbrent la Saint-Napoléon le 15 août, jour de la naissance de l’Empereur. À partir de 1806, elle devient « la fête de Saint-Napoléon et du rétablissement du culte catholique ».
À partir de décembre 1807, pour l’anniversaire de son couronnement, Napoléon ajoute la célébration de sa « victoire d’Austerlitz ». La paix entre la France et l’Autriche est aussi célébrée le 2 décembre 1809.
Régnant sur l’Europe, Napoléon 1er s’intitule « Napoléon, Empereur des Français, Roi d’Italie, Protecteur de la Confédération du Rhin, Médiateur de la Confédération Suisse, etc ».
CHAPITRE 3 - LE PRÉFET FAIT L’ACTUALITÉ
Mariage du préfet
La ville de Bourg n’est pas seulement animée par les cérémonies impériales mais aussi par celles du préfet Bossi. Il semble s’être lié avec les personnalités et ses relations vont au-delà de l’estime réciproque. Quelques épisodes le démontrent.
Ainsi, le 5 novembre 1806, en l’hôtel de la mairie à six heures du matin, le maire, Chossat-Saint-Sulpice, reçoit les consentements d’Anna Marie Joséphine Spanzotti, âgée de 17 ans, née à Turin, et de Charles Aurèle Bossi, âgé de 48 ans. Les époux signent respectivement Nina Spanzotti et Charles Bossi. Le couple est apprécié « du cercle nombreux et brillant, composé des magistrats et des personnalités les plus distinguées de la ville » et de la population. Des aubades sont données, devant la préfecture, la veille des fêtes patronales [13] des époux, Saint-Charles (5 octobre) et Sainte-Anne (30 juillet). Une autre nouvelle se répand : le couple aura bientôt une descendance !
Une fille paraît
À l’été 1809, le Journal de l’Ain publie des odes naïves en l’honneur du futur événement et annonce, le 20 juillet 1809, la naissance d’une fille : « C’est M. Chaussat de St-Sulpice, maire de la capitale, et Madame son épouse, qui, pour la ville, ont été parrain et marraine de la fille de M. et Mme de Bossi. Elle est nommée Héloïse Joséphine Aurélie Marie Bourg [14].
Le soir de sa naissance, toutes les cloches, quantité de boîtes et de coups de mousqueterie, annoncèrent cette heureuse nouvelle et tous les amateurs, qui se sont appliqués à la musique, vinrent en face de la Préfecture, donner une charmante sérénade. Deux jours après, samedi, des dames élégamment vêtues, les autorités constituées et les citoyens des professions les plus honorables, se rendirent à l’Hôtel-de-Ville pour aller, en grand cortège, chercher à la préfecture l’enfant qu’on devait présenter à l’auguste cérémonie du baptême.(...)
La musique se faisait entendre, lors même que les cloches de la paroisse étaient à la volée et que les boîtes tonnaient sur la place. La rue qui conduisait à la principale église était pleine d’une foule immense, laissant à peine défiler le cortège, à travers deux lignes de soldats et de gendarmes. L’allégresse était grande et on voyait aux fenêtres, et jusque sur les toits, des individus de tout sexe, de tout âge, et parés pour une des plus belles fêtes qui aient jamais eu lieu à Bourg. M. le Curé, à la tête de son clergé, vint, à la porte de l’église, recevoir et complimenter M. le Préfet et commencer le rite sacré du baptême. (…)
La cérémonie finie, le cortège retourna à la préfecture. Toutes les salles de cet hôtel furent pleines de monde. On y distribua des rafraîchissements et, suivant un ancien usage, beaucoup de cornets de dragées. On jeta une grande quantité de celles-ci, par les fenêtres, au peuple ne cessant de crier "vivat". La ville, de son côté, en qualité de marraine, avait fait présent d’une belle layette à l’enfant nouveau-né et, à ses père et mère, d’une aiguière, de forme antique, avec son bassin, en vermeil, et parfaitement ciselés.
Les assistants à cette fête ont été invités à signer l’acte de naissance. Pendant les signatures, deux écoliers ont débité chacun, en vers bien tournés, un compliment à M. le Préfet ; ce qui leur a valu deux jours de vacances au collège. On a remarqué, le soir même dans les rues et les promenades, que tous les artisans étaient habillés comme un jour de dimanche. »
La joie populaire est bien réelle car l’événement est célébré par une chanson en patois [15].
Les adieux du préfet
Le préfet Charles de Bossi – la particule a été réintégrée – est fait Baron de l’Empire lors de la promotion du 15 août 1809 [16], fête impériale de la Saint-Napoléon. Son séjour dans l’Ain se termine et, le 20 février 1810, il adresse cette circulaire aux fonctionnaires préfectoraux et aux maires : « appelé par la confiance de Sa Majesté à l’administration supérieure d’un autre département, je ne saurais quitter des lieux où j’ai reçu des marques si flatteuses d’attachement et d’estime, sans en témoigner ma reconnaissance aux fonctionnaires publics dont l’excellent esprit, le zèle et les connaissances, en assurant le succès de mes travaux, m’ont mérité ce nouveau gage de la confiance du souverain.
Vous fûtes les organes de mes dispositions administratives auprès des habitants de vos cantons ; soyez-les aujourd’hui de mes sentiments affectueux pour eux tous et des regrets que j’éprouve à m’en séparer. Dites-leur bien, que partout où la volonté de l’auguste monarque qui nous gouverne dirigera mes pas, j’y porterai le souvenir des jours paisibles et heureux que j’ai passés dans l’Ain. (…) Je dis que le département, auquel je dois la naissance de mon enfant unique, sera désormais regardé par moi comme le département adoptif de ma famille [17] ».
Cette nouvelle survient au moment où, « depuis plusieurs jours, tous les chefs de famille les plus distingués, impatients de donner au premier magistrat de ce département un témoignage public des sentiments de reconnaissance, (…) avaient ouvert une souscription pour une fête qui lui était destinée. (…)
Les apprêts ont d’abord fait place à un deuil universel. Cependant, pour ne pas perdre l’occasion d’une réunion de famille, les personnes nombreuses dont ils ont fait leur société habituelle pendant leur séjour à Bourg, (…) les souscripteurs, au nombre de plus de 130, se sont décidés à donner le bal projeté, à la salle des spectacles. (…) M. et Mme de Bossi [ont été] introduits par M. le Maire de cette ville, au bruit d’un orchestre qui jouait l’air ʺOù peut-on être mieux qu’au sein de sa famille !ʺ Deux sièges avaient été préparés pour les recevoir, dans l’endroit le plus apparent de la salle. (…) Les plaisirs de cette soirée ont encore été augmentés par le bon ordre que MM. les commissaires de la société ont fait régner dans la salle et par les soins prévenants qu’ils ont eus de toutes les dames. M. et Mme de Bossi se sont retirés à minuit, accompagnés des vœux ardents que tout le monde formait pour leur bonheur [18]. »
Le dernier acte signé par Charles de Bossi est daté du 21 février 1810 et le premier de son successeur, en juin 1810.
CHAPITRE 4 – LA FILLE SE SOUVIENT…
Les propos tenus à Bourg en février 1810 ont un prolongement soixante-dix ans plus tard. Dans le département de la Manche, le baron de Bossi est maintenu dans ses fonctions par Louis XVIII qui lui accorde sa naturalisation. Au retour de Napoléon, il prend le parti de l’Empereur et cette fidélité lui coûte son poste. Il voyage alors en Europe du Nord, s’installe à Paris où il décède le 20 janvier 1824, à l’âge de 65 ans.
Sa fille Héloïse se marie avec Eugène Leroux, agent de change, en août 1829 à Paris. Elle donne naissance à une fille, Laure, en 1832. Séparée de corps et de biens en juin 1841, veuve en juin 1849, elle se remarie avec le prince César Maurice de la Tour d’Auvergne le 29 octobre 1853 à Gênes, mais cette union est un nouvel échec. En octobre 1856, avec quatre religieuses de Sion, elle se rend de Paris à Jérusalem, une première fois. Après plusieurs voyages, elle acquiert un terrain sur le Monts des Oliviers dès 1858. Elle le remet à la France en 1868, obtient l’autorisation, en septembre 1873, de fonder, sur ce terrain, un monastère de Carmélites contemplatives.
1870 : Une visite en mairie de Bourg
Au cours de ses nombreuses pérégrinations d’une rive à l’autre de la Méditerranée et de par l’Europe, elle fait une escale à Bourg. Le Journal de l’Ain l’évoque dans son édition du 27 juin 1870 : « Bourg le 26 juin 1870. J’étais hier dans les bureaux de la mairie de Bourg lorsque s’y présenta une dame paraissant jeune encore, figure agréable, d’une allure des plus agiles, en tenue de voyageuse élégante. Cette dame pria poliment un des secrétaires de voir si, en juillet 1809, le registre de l’état-civil de bourg mentionnait la naissance d’un enfant de sexe féminin, sous les noms de Marie-Aurélie-Bourg Bossi. (…)
Me rappelant les circonstances, je me permis de déclarer à cette dame que j’avais assisté au baptême de l’enfant en question, et pris part à l’allégresse des habitants à l’occasion du bonheur de la digne et bien aimée famille Bossi.
À ces mots, l’élégante voyageuse me tendit la main et dit : « Je suis Marie-Bourg, née Comtesse Aurélie Bossi, les vœux formés par votre ville pour mon bonheur ont été exaucés. Je suis devenue Princesse de la Tour d’Auvergne, heureuse aujourd’hui d’être assurée du lieu de ma naissance, et que ma famille y a laissé de bons souvenirs. »
Offrant à cette dame les marques de mon respect, j’appris d’elle que le seul but de son voyage à Bourg était d’y visiter les lieux qui l’ont vu naître (…).
Enfin, j’appris de cette dame qu’elle habitait alternativement Paris, l’Italie, mais surtout Jérusalem, où elle s’est fait faire un tombeau. (…)
Cette petite histoire, intéressante pour les anciens de notre ville, leur apprendra le sort de cette filleule, de l’enfant dont ils ont acclamé la naissance. Elle montre aussi que le lait de la Bresse, et les vœux de ses habitants pour les habitants de mérite, leur portent presque toujours bonheur [19]. »
Toujours Bourg en pensée
Au soir d’une vie où elle a consacré son énergie et sa fortune aux chrétiens de Palestine, elle se souvient de ses origines et elle écrit au maire de Bourg en 1881. L’année suivante, le 22 juillet 1882, elle renouvelle sa missive depuis Florence. « L’année dernière, je demandais qu’une plaque commémorative conservât et rappelât le souvenir de mon titre de filleule de la Ville de Bourg ! Ce fut par reconnaissance pour les services rendus par mon père, alors préfet de l’Ain que la Ville jugea à propos de lui faire cet honneur. En ces temps-là, les préfets avaient une importance bien plus grande qu’aujourd’hui ; l’administration du département de l’Ain était d’autant plus difficile que le département servait de passage continuel à toutes les troupes allant et revenant d’Italie ; troupes mal disciplinées et généralement mal reçues. (…)
Je pris la liberté d’offrir à la mairie de Bourg un ouvrage de mon père, De l’indépendance de la loi civile, ouvrage qui avait été écrit en grande partie pendant son séjour à Bourg. (…) Et bien, si un homme de cette valeur met tout son cœur et son intelligence à remplir ses devoirs, c’est justice à une ville de le récompenser et c’est un honneur et un devoir aussi pour une fille d’en désirer perpétuer le souvenir.
Je viens aujourd’hui, Monsieur le Maire, ajouter à ma première demande, l’autorisation de faire une fondation qui permet de donner, tous les ans, à l’enfant le plus pauvre, naissant à Bourg le 14 juillet (jour de ma naissance), la somme de cinquante francs, pour adoucir les premiers jours de sa vie. Puisse cette modique somme lui porter bonheur et l’aider à devenir un bon Bressan ou une bonne Bressane.
Signé : Aurelle, Bourg Bossi de la Tour d’Auvergne [20]. »
La concrétisation de la donation
La question revient devant le conseil municipal du 15 mars 1884 qui confie, à un élu, la charge « de rédiger l’inscription qui sera inscrite sur le marbre ». Ensuite, à la séance du 19 août 1886, la donation est confirmée : « par acte reçu à Paris le 14 août 1885, Mme Marie Héloïse Joséphine Aurélie Bourg, Bossi, Princesse de la Tour d’Auvergne, a fait don à la ville de Bourg de 100 francs de rente qui seront donnés, chaque année, à l’enfant le plus pauvre dont les parents seront domiciliés à Bourg et qui naîtra le 14 juillet ou, à défaut d’enfant naissant à cette date, seront distribués aux pauvres de la commune ».
En cette année 1885, aucune naissance n’est enregistrée et une commission est « chargée de faire la répartition de cette somme (…) entre de pauvres familles reconnues les plus dignes à être secourues ». La liste, présentée et approuvée le 1er septembre 1886, comprend neuf personnes, dont cinq veuves et un idiot, qui reçoivent des sommes de cinq à 20 francs pour un total de 90 francs. La totalité des cent francs n’a pas été attribuée mais le registre n’indique aucun motif.
Cette donation s’est maintenue dans le temps, malgré les vicissitudes du temps. La somme a été réévaluée lors des conseils municipaux des 21 octobre 1963 (100 NF) et 26 avril 1976 (250 F) puis indexée, à compter de 1977, sur les traitements de la fonction publique. La dépense est inscrite au titre de « Emploi des revenus de dons et legs avec affectation spéciale ». Le 14 juillet 2019, la somme versée s’élevait à 133,69 €.
Auparavant, le 9 mai 1889, le maire a donné lecture « d’une dépêche lui annonçant la mort de Mme la Princesse de la Tour d’Auvergne (…). Le conseil donne acte de cette communication et s’associe aux regrets exprimés par la municipalité ». Elle est morte à Florence le 4 mai 1889. Elle a fait dresser un mausolée à son nom à Jérusalem et ses restes y ont été transférés en 1957 et le cœur de son père est déposé dans une urne près de son mausolée.
Le souvenir d’un préfet bien-aimé et de sa généreuse fille est ainsi perpétué. ■
Rémi RICHE
Ont collaboré à cette chronique : André Abbiateci, Gérard Augustin, Claude Brichon, Maurice Brocard, Martine Cividin, Jeannine D’Orlando, Gyliane Millet, Fanny Venuti, Jean-Christophe Vigier, les Archives municipales de Bourg-en-Bresse et le personnel du secrétariat et de la salle de lecture des Archives départementales de l’Ain.
Notes complémentaires
Maurice (X) de Bourg-en-Bresse nous a signalé que la Princesse de la Tour d’Auvergne était passée à Bourg en 1870. Claude a recherché et trouvé la date exacte et l’écho paru dans le Journal de l’Ain. Nous avons intégré cet épisode dans le texte de notre chroniques, dans le paragraphe intitulé 1870 : Une visite en mairie de Bourg.
Jeannine, de Paris, nous a communiqué de nombreuses précisions sur la vie d’Héloïse Bossi, que nous avons intégrées dans notre texte.
Un grand merci à ces divers contributeurs pour leurs apports à une meilleure connaissance de l’histoire locale.
Plusieurs lecteurs ont souhaité connaître les inscriptions figurant, à l’origine, sur la stèle subsistant en forêt. Les informations figurent dans notre rubrique "Actualités".
Le passage de Napoléon 1er à Bourg, en avril 1805
Vous pouvez retrouver notre chronique de janvier 2021 en cliquant sur ce lien
Le passage de Napoléon 1er à Bourg-en-Bresse en 1805
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Bibliographie :
BIRABEN Jean-Noël. La statistique de population sous le Consulat et l’Empire. N°17-3. Juillet-septembre 1970. Revue d’histoire moderne & contemporaine. Site Persée
CHEVALLIER Jean-Jacques, CONAC Gérard. Histoire des institutions et des régimes politiques de la France de 1789 à nos jours. Éditions Dalloz. Paris. 1991.
LÉVY Jean-Michel. Contribution à l’histoire démographique du département de l’Ain à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle. Annales de démographie historique. 1973. Site Persée.
TULARD Jean (sous la direction de). Dictionnaire Napoléon. Fayard. Paris 1987.
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[1] Emmanuel Sieyès (1748-1838), abbé, député du Tiers État, homme politique influent au début et à la fin de la Révolution. Il est de ceux qui pensent que la République ne peut être sauvée que par un général autoritaire, couvert de gloire. Il choisit d’abord Barthélemy Joubert, tué à Novi (Italie) en août 1799, puis Napoléon Bonaparte, de retour d’Égypte.
[2] Histoire des institutions (voir bibliographie), page 107.
[3] Bibliothèque nationale de France (B.N.F.).
[4] Sujet étudié lors de la chronique de janvier 2021. Accès par le lien indiqué à la fin de cette chronique.
[5] Un seul journal est autorisé, par département.
[6] Belley et Bourg, Nantua et Trévoux pour l’Ain, Gex étant alors dans le département du Léman.
[7] Environ 1 500 euros d’aujourd’hui. La somme est à la charge de la commune.
[8] Décret impérial du 13 prairial (2 juin 1804). A.M. Bourg, site en ligne, 1D07, vues 261 à 263.
[9] Cette tradition survit encore dans quelques villages de France, comme à Aubière (Puy-de-Dôme) où la Rosière, élue chaque année, officie comme une Miss pour les fêtes et cérémonies du village.
[10] Ceux de Bourg s’élèvent à 28 408,53 francs en 1806, la ville comptant 7 303 habitants. Conseil municipal du 19 février 1806.
[11] Soit 34 dans l’Ain, hors Pays de Gex. Décret impérial du 25 mars 1810 et décret préfectoral du 3 avril 1810. A.D. Ain. 3K4.
[12] A. D. Ain. 3K5.
[13] Journal de l’Ain du 5 novembre et 30 juillet 1809, pour les deux citations.
[14] Ces prénoms sont ceux de l’acte de naissance ; ceux du journal comportent des erreurs.
[15] Voir le document PDF à la suite de cette chronique.
[16] Journal de l’Ain du 26 novembre 1809.
[17] A. D. Ain. 3K4, pages 83 et 84.
[18] Journal de l’Ain du 28 février ; extraits d’un texte daté du 25 février 1810.
[19] Article, signé V. M., retrouvé par Claude Brichon.
[20] Conseil municipal de Bourg, du 28 juillet 1882.