ÉLIE ÉBRARD (1816-1874), UN DOCTEUR AU SERVICE DES HUMBLES
Qui ne connaît la "rue du docteur Ébrard" à Bourg-en-Bresse ? Quelle personnalité se cache derrière ce nom pour mériter une rue dans le centre de la ville ?
François Élie Gaspard Bernard Ébrard naît à Bourg le 18 février 1816. Ses parents se sont mariés seize mois plus tôt, le 26 octobre 1814 à huit heures du soir à Bourg. Le père, Jean Louis Bernard Ébrard, âgé de 40 ans, est alors percepteur à Neuville-les-Dames et sa mère, Marie Magdeleine Churlet, 35 ans, habite Bourg. Au début des années 1830, son père devient le Secrétaire en chef de la mairie de Bourg.
Homme discret, Élie Ébrard a laissé peu de souvenirs personnels mais quelques éléments de sa biographie peuvent être relevés dans ses écrits, dans la presse locale ou dans les Annuaires du département de l’Ain. Il fréquente le collège de la ville où son prénom usuel est alors Gaspard. Il y côtoie le futur peintre Antony Viot. Il poursuit ses études et il obtient son titre de Docteur en médecine le 26 novembre 1836, à la faculté de Paris. Il ne figure pas sur les listes du conseil de révision de Bourg ou de son canton. Son grand-père était orfèvre à Bourg et un Ébrard, originaire de Bourg, se distingue comme orfèvre à Paris [1]. Étaient-ils ensemble à Paris ?
Première publication sur la vaccine
Médecin, Élie Ébrard exerce d’abord en bord de Saône, à Beauregard et dans les communes des alentours, puis au pied du Bugey, à Jujurieux, où il soigne les employées des Soieries Bonnet. Là, il est confronté à une situation particulière : en 1841, pendant une épidémie, 93 ouvrières de la fabrique, sur 173, sont atteintes par la variole malgré leur vaccination antérieure ; une proportion jamais observée jusqu’alors. Il soigne ses patientes, consulte l’ensemble du personnel, recherche les causes de l’altération du vaccin et consigne ses observations dans un rapport qu’il envoie à la Société de vaccine à Paris qui lui décerne une médaille de bronze [2].
Après son séjour en Dombes, le Journal de la Société d’émulation de l’Ain publie son commentaire, « La rareté de la phtisie [tuberculose] là où les fièvres intermittentes règnent endémiquement », en 1843. Ses premiers articles démontrent un goût certain pour la recherche bibliographique, l’écriture et l’argumentation médicale.
Il est intégré par la Société d’émulation de l’Ain où il côtoie les érudits locaux et quelques médecins dont le Docteur Denis François Pacoud (1771-1848), responsable départemental de la vaccine [3]. Au décès de ce médecin, il en rédige la biographie.
Deux œuvres fondatrices
À ce moment-là, il a déjà d’autres ouvrages à son actif dont un de 1846, Le livre des gardes-malades (orthographe de l’auteur), qui lui a été commandé pour s’intégrer dans la collection de Bonne-Année, la bibliothèque populaire et catholique (du diocèse de Belley ?). L’auteur en explique le but : « instruire ceux qui sont auprès des malades sur la manière de leur procurer mille petits soins, mille égards, mille attentions qui les calment et les soulagent. Je veux épargner aux gardes-malades l’embarras qu’ils éprouvent souvent après le départ du médecin dans l’exécution de ses ordonnances [4] ».
Tirée à deux mille exemplaires, l’édition est épuisée au bout de trois mois. Le livre est réimprimé et des exemplaires sont demandés par un médecin de la guerre de Crimée (1854-1856) pour les infirmiers des hôpitaux militaires. Il est aussi utilisé par les religieuses de la Congrégation des sœurs de Saint-Joseph de Bourg et diffusé ailleurs par les diocèses. Dans la deuxième édition, il précise qu’il a écrit l’ouvrage par l’expérience « acquise comme médecin et comme malade [5] ».
En 1849, Élie Ébrard publie un autre livre, Avis aux habitants des campagnes sur les moyens de conserver la santé, étonnant par son contenu et sa dédicace. Il l’introduit par cette phrase, « la santé, c’est la force des bras, et la force des bras, c’est le gagne-pain du travailleur », et il précise que « la femme du cultivateur mérite elle-même toute ma sollicitude ».
Le contenu s’écarte de la médecine pour rejoindre l’hygiène publique. Élie Ébrard s’inscrit dans la ligne d’un Jean Noël Hallé (1754-1822), le précurseur de l’hygiène médicale, ou d’un Louis-René Vuillermé (1782-1863), considéré aujourd’hui comme le pionnier de la médecine du travail. Toute l’époque a été marquée par la terrible épidémie de choléra de 1832 et, pour tout médecin, la prophylaxie est préférable au traitement.
Quel a été le séjour d’Élie Ébrard à Paris ? S’est-il imprégné du mouvement hygiéniste, au point d’en faire sa préoccupation première ? Les mots employés par ses "maîtres" se retrouvent dans le sommaire de son ouvrage qu’il dédie à la Société pour l’instruction élémentaire, une association laïque, créée en juin 1815 à Paris, pour promouvoir l’instruction élémentaire auprès du peuple, en dehors de tout pouvoir. Cet objectif se heurte à l’esprit clérical de la Restauration avant de retrouver une faveur à la suite de la Révolution de 1848.
Comment Élie Ébrard a-t-il connu cette Société pour l’instruction élémentaire ? Est-il resté en relation avec quelques dirigeants ?
À l’époque, il est aussi conseiller municipal de Bourg depuis les élections des 30 et 31 juillet 1848 et il a choisi d’intégrer la Commission de la voirie et de la salubrité publique. En 1849, il dit habiter à Montrevel [6] ; ce qui expliquerait sa longue absence des séances, de décembre 1848 à novembre 1850. Le 23 décembre 1851, le conseil acte sa démission car il réside désormais à Saint-Denis-lès-Bourg.
Les gardes-malades
Comment un soignant doit-il se comporter avec un malade ? Élie Ébrard reprend déjà la formule de son confrère François Fodéré (1764-1835) : « amusez les enfants, causez avec les femmes, parlez peu aux hommes ». Pour la chambre d’un malade, il insiste sur l’entretien, l’aération, la propreté du lit, la destruction des insectes. La médecine de son époque se fait beaucoup à base de tisanes, lavements, gargarismes, frictions, fomentations (pansements secs ou humides), fumigations (exposer à la fumée ou à la vapeur) ou autres potions ou remèdes [7]. Dans son guide, Élie Ébrard s’applique à indiquer comment bien appliquer l’ordonnance d’un médecin.
Élie Ébrard dit avoir été le premier, en 1848, à utiliser les fomentations éthérées mais l’un de ses confrères a été récompensé, pour cela, d’un Prix Monthyon de deux mille francs en 1852 ; « étant alors très malade, je n’en réclamai pas la priorité [8] ».
Élie Ébrard consacre un long chapitre aux sangsues dont il se fera un spécialiste, d’autres, plus courts, aux convalescents et à l’alimentation. L’ouvrage se termine par la conduite à tenir envers les femmes enceintes, les accouchées, les agonisants, sans oublier les devoirs religieux des malades. Face à la mort, qui survenait majoritairement au domicile des malades, il rappelle l’adage : « qui tôt ensevelit, bien souvent assassine ».
Dans l’Avis aux habitants des campagnes, il insiste toujours sur la nécessité d’aérer les maisons, sur la propreté, l’organisation de la ferme où il serait souhaitable que les écuries soient au nord de l’habitation, que les loges à pourceaux soient placées à distance. Et « il conviendrait que chaque maison ait un cabanon, avec une fosse d’aisance ».
Charitable, il note que « si tous les chrétiens observaient la loi du jeûne, si en même temps ils remplissaient le devoir que l’Église leur recommande plus particulièrement pendant le Carême [9], celui de distribuer aux pauvres le surplus de leur table et la valeur des aliments dont ils se sont privés, que de misères seraient soulagées. (...) Bien compris, le jeûne est un impôt souscrit au profit des pauvres par ceux qui ont le superflu ». Chrétien, il dénonce ensuite « les funestes effets des sept péchés capitaux (gourmandise, luxure, paresse, colère, orgueil, avarice, envie) ».
S’adressant aux habitants de la campagne, pour la plupart encore illettrés, il ne se fait guère d’illusion sur la portée de son livre. Pour mieux se faire comprendre, il s’appuie sur les comportements des animaux - la vache qui lèche son veau, l’oiseau qui prépare un nid moelleux - pour expliquer l’hygiène. En outre, il espère avoir, « pour interprètes, les curés, les instituteurs et autres personnes bienfaisantes et éclairées que la Providence a placées au milieu des cultivateurs ». Il pense notamment aux sages-femmes.
Élie Ébrard, ethnographe malgré lui
« Observateur des misères de l’humanité souffrante [10] » et au-delà des recommandations, Élie Ébrard relève quelques coutumes. Dans une Bresse qui cultive le blé pour le vendre et assurer un revenu, il note que « les hommes qui mangent du maïs sont plus forts, plus grands, soutiennent mieux la fatigue que ceux nourris avec l’orge, le sarrasin, le mauvais seigle ». On confectionne aussi des gaufres de blé noir que l’on mange « en guise de pain, chaudes ou réchauffées sur le gril, recouvertes de fromage fort ou de résiné ». En outre, « lorsque le grain de maïs a été bien séché au four, lorsqu’il a été bien moulu, les gaudes sont plus agréables au goût, plus salutaires, plus digestives. (...) Dans les fermes de Bresse, on déjeune avec des gaudes préparées le matin, celles qui restent servent pour le repas du soir ».
« Il est peu de maisons dont les habitants ne tuent pas, chaque année, un porc ou une truie. (...) À l’exception de la chair de porc, les gens de la campagne ne mangent guère de la viande qu’aux foires, aux vogues, à l’occasion des mariages, des baptêmes et autres fêtes de famille. » Élie Ébrard souhaiterait que se réalise « le vœu émis par Henri IV, de voir le ménage le plus pauvre mettre, le dimanche, la poule au pot ».
Ajoutons d’autres remarques : « selon un proverbe, les gens de la campagne ne prennent un bain que lorsqu’ils tombent dans l’eau » ; « c’est en détruisant les causes de l’infection de l’air que vous assainirez vos écuries, et non pas, selon un préjugé absurde, en y tenant un bouc ou une ânesse » ; « la première sortie d’une femme accouchée chrétienne a lieu d’ordinaire pour aller remercier Dieu de son heureuse délivrance, pour se soumettre à la cérémonie des "relevailles" » ; « la misère force les femmes pauvres à abandonner l’allaitement de leur propre enfant pour nourrir ceux des riches ».
Épris de sangsues
Élie Ébrard exerce la médecine à un moment où l’usage des sangsues connaît un véritable engouement. Il est connu depuis la haute antiquité mais « c’est seulement vers le dix-huitième siècle qu’on voit des ouvrages en parler longuement [11] ».
Il se substitue à la phlébotomie, ou saignée, l’une des bases de la médecine sous l’Ancien Régime. Au milieu du XIXe siècle, « la France consomme annuellement plus de cinquante millions de sangsues [12] ; ses marais et ses étangs étant dépeuplés, elle les tire des pays étrangers. Malheureusement la rareté de ces animaux devient chaque jour plus grande, et leur prix s’élève en proportion. Leur usage n’est déjà plus à la portée de la population peu aisée, c’est-à-dire du plus grand nombre [13] ».
Des concours ont été lancés, notamment par la Société d’émulation de l’Ain en 1829, pour résoudre un double enjeu : multiplier les sangsues en captivité ; les faire dégorger pour les réemployer rapidement.
En exerçant en limite de la Dombes, Élie Ébrard parcourt ce pays aux vingt mille hectares d’étangs, favorable aux sangsues. Il les étudie pour répondre à l’appel, en 1840, de « la Société d’Encouragement [qui] a cherché à provoquer des recherches sur les moyens de diminuer la rareté et la cherté des sangsues ». Il en existe de multiples variétés et toutes n’ont pas les mêmes propriétés. « Les sangsues les plus répandues dans le commerce sont, en France, la sangsue verte ou de Hongrie (sanguisuga officinalis), la sangsue grise (sanguisuga medicinalis) et la sangsue interrompue. »
Élie Ébrard rassemble la bibliographie disponible et noue des contacts avec des médecins de France ou avec des agriculteurs locaux. Il procède à des visites d’étangs et à de multiples expérimentations pour connaître les mœurs, la reproduction et les ennemis des sangsues. En 1847, il les étudie au sein de quarante bocaux, avec diverses espèces et à des stades différents d’évolution.
La sangsue grise est très nombreuse en Dombes et il conclut que les étangs « où la pêche [de sangsues] est la plus fructueuse sont peu profonds, leurs bords sont en pente douce et ils renferment beaucoup de végétaux ». Élie Ébrard aimerait dépasser l’expérimentation pour convaincre les paysans que l’élevage de sangsues pourrait être une source de revenus. En effet, à la suite de leur raréfaction, le millier de sangsues est passé, à Bourg et en trente ans, de « 5 francs à 225 ou 250 francs, prix actuel » (en 1847). Il loue alors un étang près de Bourg mais « un fermier, qui a le droit d’y faire pâturer, s’oppose à l’ensemencement en sangsues » car il craint, pour ses bestiaux, les piqûres multipliées.
Il propose alors de nourrir les sangsues avec des caillot de sang. Un gardiennage serait nécessaire car « à peine les premières chaleurs du printemps ont-elles fait sortir les sangsues de leur engourdissement hivernal, qu’une foule de gens font irruption dans les pays d’étang [14] » et les sangsues sont pourchassées sans discernement.
Élie Ébrard souhaiterait la création d’une loi sur la pêche et le commerce des sangsues. Il termine son ouvrage sur la meilleure façon de faire dégorger les sangsues pour une réutilisation rapide et sur la manière de les appliquer aux malades.
Honoré à Rouen, Saint-Quentin, Cambrai, Lyon ou Mâcon
Ces premiers ouvrages révèlent les centres d’intérêt d’Élie Ébrard qu’il reprend avec bonheur en participant à des concours d’académies ou de sociétés savantes. Ainsi l’Académie des sciences et des belles-lettres de Rouen lui décerne, à l’été 1852, une médaille et trois cents francs pour son Traité d’hygiène spécialement destiné aux classes ouvrières. Ce mémoire est publié en 1853 sous le titre Le Docteur Pauly, Conseils hygiéniques.
L’année suivante, Élie Ébrard, alors « ex-médecin des hospices des enfants trouvés et des vieillards de Bourg », est honoré pour son mémoire, Joseph et Pauline ou lettres sur l’hygiène et l’économie domestique, par la Société académique de Saint-Quentin (Aisne) qui édite cet ouvrage à ses frais.
Au début de 1856, il obtient une médaille d’or et deux cents francs pour son opuscule Un bon conseil épargne souvent bien des maux et des souffrances en réponse au concours, Rédiger, pour les ouvriers de Lyon, un opuscule où ils puissent trouver les notions qu’il leur importe le plus de posséder sur leurs intérêts hygiéniques et sanitaires, proposé par la Société de médecine de Lyon.
Après avoir publié, en 1857, une Nouvelle monographie des sangsues médicinales, des distinctions lui sont décernées par : la Société de médecine de Lyon en 1858 pour Du charlatanisme en médecine et en pharmacie ; la Société d’émulation de Cambrai avec une médaille d’or en 1861, pour Le médecin dans la famille ; par l’Académie de Mâcon avec une médaille d’or d’une valeur de trois cents francs, en 1863, pour un concours sur le thème, Des moyens d’élever au sein des classes rurales le niveau des connaissances agricoles. Son étude, Misère et charité dans une petite ville de France de 492 pages, publiée en 1866, reçoit une mention Très honorable de l’Académie des sciences de Paris, en juin 1869.
Auteur prolifique
En l’absence d’inventaire, recenser les publications d’Élie Ébrard n’est pas facile. Outre les ouvrages cités ci-dessus, peuvent être relevés : Monographie de l’hélice vigneronne et traité des limaçons en 1860 ; Études de mœurs. Nouvelles observations sur les fourmis, les rats, les grillons. Histoire d’une volière et Hygiène des cultivateurs et des jardiniers en 1864 ; La flore médicale des familles en 1865 ; Bienfaits des sociétés de secours mutuels en 1867 (écrit publié, en trois épisodes, dans le Journal de la Société d’émulation de l’Ain en 1864) ; L’instruction dans les campagnes en 1867. Il est aussi le correspondant de nombreuses académies ou sociétés savantes.
À ces livres s’ajoutent des articles, des commentaires sur les ouvrages de ses confrères dans le Journal de l’Ain, des articles dans le Journal de médecine de Lyon, la Gazette médicale, l’Écho du monde savant ou encore l’Union médicale de Paris. Il insère aussi des articles de vulgarisation dans l’Almanach bressan alors diffusé à dix mille exemplaires.
Il se sent proche des humbles gens et il regrette « que l’on n’ait pas favorisé l’établissement, à Bourg, d’une industrie manufacturière [pour] la partie pauvre de la population » afin de diminuer le nombre des « indigents secourus par le Bureau de bienfaisance » ; « l’économie sociale [15] » étant l’une de ses préoccupations.
Ses œuvres connaissant le succès, il les complète au cours des rééditions. Aussi publie-t-il, à Paris en 1857, une Nouvelle monographie des sangsues médicinales, avec 520 pages dont « douze planches comportant 104 figures dont 76 coloriées », une véritable encyclopédie des sangsues.
Écrit parce que, bientôt, « les habitants des campagnes sauront tous lire » et qu’ils emploieront « une partie des longues soirées d’hiver à acquérir l’instruction utile à leur bien-être », Hygiène des cultivateurs et des jardiniers est suivi d’un Essai sur la salubrité publique pour une meilleure organisation des communes rurales du point de vue de l’hygiène publique ; le maire étant « le chef de la famille communale [qui doit] veiller sur la santé des siens ». Les deux premiers chapitres sont consacrés à l’école.
Le livre des gardes-malades devient, pour sa sixième édition en 1867, à Bourg et à Paris, Le livre des gardes-malades et des mères de famille, avec deux parties en complément, De l’éducation physique des jeunes enfants et Maladies des enfants, pour passer de 128 à 200 pages.
Impliqué dans la vie de la cité
Outre la Société d’émulation de l’Ain, Élie Ébrard s’implique au sein de nombreuses associations dont la Société d’horticulture, la Société Saint-Vincent-de-Paul et sans doute d’autres. En 1865, avec le député le Comte Léopold Le Hon, il participe aux préparatifs, en novembre 1865, puis à la création, en avril 1866, de la Bibliothèque populaire. Cinq ans plus tard, le nombre de livres disponibles est passé de 1 309 à 2 976. « Le nombre des lecteurs s’est maintenu à 300 environ. Celui des volumes délivrés chaque dimanche a été de 300 ; descendu à 200 pendant la guerre [franco-prussienne] ; il s’était relevé à 270 au mois d’août dernier. Si les livres sérieux d’histoire, de littérature, de sciences et de voyages ont été particulièrement demandés par les lecteurs, il a dû être constaté que les romans figuraient pour la moitié dans le chiffre des ouvrages empruntés. La proportion n’était que du tiers en 1869 [16] ».
Désormais résident de Bourg et membre du Bureau de bienfaisance, Élie Ébrard souhaite rejoindre le conseil municipal qui compte 27 membres. En juillet 1865, il est le premier des non-élus et, en août 1870, il termine à la 31e position parmi les 36 candidats. Du fait de la guerre, le conseil élu n’est pas installé et de nouvelles élections se déroulent en octobre 1870, sans la présence d’Élie Ébrard. Par contre, il se présente aux élections d’avril-mai 1871 et il est élu en 12e position.
La composition des diverses commissions permanentes ne figure pas au registre des délibérations mais la première action du nouvel élu est d’être l’un des cinq représentants de la ville à la fête des écoles à Lyon le 13 août 1871. Puis il intégrera la commission pour la création d’une école laïque de filles.
Philanthrope
Élie Ébrard décède le 17 février 1874, à son domicile, au 7 de la rue des Cordeliers à Bourg [17]. Malade, le 18 décembre 1873, il a rédigé un testament. Au lendemain de sa mort, son ami et collègue du conseil municipal, Edmond Chevrier, le remet au notaire Benoît Rollin. Resté célibataire, après avoir vanté les mérites du mariage, Élie Ébrard lègue des sommes d’argent à des parents ou à des proches et d’autres, plus modestes, à des sociétés comme la Bibliothèque populaire, la Bibliothèque des bons livres, la Société Sainte-Agathe (une société fraternelle de femmes) de Bourg ou encore la Société des bonnes lectures de Saint-Denys-les-Ceyzériat (Saint-Denis-lès-Bourg).
Après avoir confié des objets à des proches, il ajoute : « Je lègue au Musée de Bourg mon grand tableau "Paysage de Dombes" don de Madame Viot et à la ville de Bourg ma maison située rue Vieille Charité et mes jardins et bâtiments, situés à Bel-Air, commune de Bourg, plus une somme de trois mille francs payable sans intérêt dans cinq ans. Les revenus provenant de ces propriétés seront employés à fonder ou à entretenir une ou des œuvres utiles au bien-être physique de l’enfance, telle que la fondation et l’entretien d’un dispensaire médical spécial aux enfants, le paiement d’un médecin chargé de visiter les enfants malades, la formation d’une société de secours mutuels entre les enfants, ou bien, un jardin d’enfants, c’est-à-dire d’une salle de récréation à Bel-Air, but de promenade, avec jardinet et appareils de gymnastique [18]. ».
À Saint-Denys-les-Ceyzériat, il lègue, à l’église, un tableau de la Vierge et, à la commune, une parcelle de terrain pour y établir un cimetière, éloigné des habitations, en remplacement de celui qui entoure l’église, comme il le préconise dans son Essai sur l’hygiène et la salubrité publiques dans les communes rurales.
Un codicille au testament précise : « Mes croyances religieuses se rapprochant beaucoup [plus] de celles de Luther que de la religion romaine, je désire que mon convoi soit accompagné par un pasteur d’un des cultes protestants (...) ».
Ces dernières volontés sont respectées et, au cimetière, où il rejoint la tombe de ses parents, l’hommage funèbre est prononcé par M. Morellet, avocat, membre du Conseil général et parent du défunt : « M. Ébrard croyait en Dieu et en l’immortalité de l’âme ; il aimait la vérité et la justice ; il a pratiqué la charité avec intelligence et avec cœur. Il s’est éteint avec le calme et la sérénité d’une conscience honnête. Depuis longtemps, il était prêt pour le moment suprême. La maladie à laquelle il a succombé lui était connue, elle datait de loin [19] (...) ».
La postérité
La ville accepte son legs, lui édifie un mausolée au cimetière et le conseil municipal décide de fonder la Société Ébrard de secours mutuels des enfants malades le 13 février 1875. Les statuts sont rédigés dès juillet 1875 et amendés à deux reprises pour répondre aux souhaits de la préfecture. Les membres du bureau sont désignés par le conseil municipal le 19 avril 1878 et le président en est Jean Lacoste, rentier.
La maladie n’avait pas interrompu les activités d’Élie Ébrard. Son projet de fiches pour faciliter la gestion des ouvrages de la Bibliothèque populaire est terminé par Louis Parant et, lors de la séance du conseil municipal du 6 mai 1874, son collègue Edmond Chevrier reprend son historique du lycée de Bourg en vue de la construction d’une aile additionnelle.
Comme l’indique un acte notarié du 22 avril 1874, aucun inventaire n’a été dressé à son décès et il n’a fourni aucune indication pour sa bibliothèque, sans doute riche de centaines d’ouvrages. Les a-t-il déposés à la Bibliothèque populaire ? Seuls quelques-uns sont conservés aujourd’hui dans les bibliothèques, au gré des circonstances passées.
Outre les souvenirs dans Bourg-en-Bresse, que reste-t-il d’Élie Ébrard aujourd’hui ?
Depuis son époque, la médecine a fait de tels progrès que ses ouvrages sur l’hygiène sont dépassés, même si beaucoup de ses conseils resteraient pertinents. L’usage des sangsues a été abandonné à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. Son livre, Misère et charité dans une petite ville de France, remarquable enquête sur la ville de Bourg-en-Bresse, reste une référence pour les historiens [20]. Il est aussi un message d’espoir. Élie Ébrard étudie le passé et le présent ; des connaissances utiles à une société qui s’engagerait pour l’extinction de la pauvreté.
Martine Cividin, Claude Brichon et Rémi Riche
Octobre 2022
Complément Premières vaccinations en Bresse, dans l’Ain
Avec la participation de Gérard Augustin, Anne Autissier, Jean-Paul Chevret, Liliane Donguy, Gyliane Millet, Denise Robinot, Romuald Tanzilly, Fanny Venuti.
Archives départementales de l’Ain.
Archives municipales de Bourg-en-Bresse.
Médiathèque É. & R. Vailland.
Apothicairerie de l’Hôtel-Dieu de Bourg-en-Bresse.
Bibliothèque municipale de Part-Dieu à Lyon.
Bibliothèque nationale de France - Site Gallica.
[1] Journal de l’Ain du 6 août 1841. Le non-usage des prénoms ne facilite pas la recherche de parenté.
[2] Journal de l’Ain du 27 septembre 1843.
[3] Voir la chronique "Premières vaccinations en Bresse" par le lien indiqué à la suite de cette chronique.
[4] Journal de l’Ain du 6 mai 1846.
[5] Édition disponible sur le site internet de la Bibliothèque de la Part-Dieu de Lyon.
[6] Page 35 du livre Avis aux habitants des campagnes.
[7] Pour en avoir un reflet, visiter l’apothicairerie de Bourg-en-Bresse.
[8] Le "Prix Monthyon" honore la mémoire du baron de Monthyon (1733-1820), philanthrope, économiste et créateur de prix distribués par des sociétés savantes.
[9] Période de 40 jours qui se termine le "Jeudi saint" qui, lui-même, précède la fête mobile de Pâques.
[10] C.-J. Dufaÿ. Galerie civile. Martin-Bottier, éditeur. Bourg-en-Bresse. 1883.
[11] Dorvault dans L’officine ou répertoire général de pharmacie pratique. Paris. 1844.
[12] La France compte alors trente cinq millions d’habitants.
[13] Élie Ébrard. Introduction à Des sangsues considérées au point de vue de l’économie médicale. 1848.
[14] Les citations sont extraites de Des sangsues considérées au point de vue de l’économie médicale. 1848.
[15] Extraits du Journal de l’Ain du 4 juillet 1864.
[16] Journal de l’Ain du 16 novembre 1871.
[17] Son prénom est orthographié Ely sur l’acte de décès.
[18] A.D. Ain. 3 E 22 636.
[19] Journal de l’Ain du 21 février 1874.
[20] L’exemplaire dédicacé que nous possédons a été acquis à Bergues (Nord).