LA CCI, OU CHAMBRE DE COMMERCE ET D’INDUSTRIE DE L’AIN, À BOURG-EN-BRESSE

Les flâneurs amateurs de l’avenue d’Alsace-Lorraine ou tout simplement les Burgiens, qui ont l’occasion d’aller à la poste centrale de Bourg, passent devant le joli petit square Joubert pour se rendre avenue Alphonse Muscat.
Un coup d’œil sur la gauche et le regard est attiré par une façade de style néo-classique non pas du XIXe siècle mais du XXe siècle, réinterprété par l’Art déco des années 1920 et 1930.
Voici la Chambre de commerce et d’industrie de l’Ain, son historique et son immeuble.

PREMIÈRE PARTIE : FAVORISER L’ÉCONOMIE DE L’AIN

L’arrivée du chemin de fer

Sous le Second Empire, le chemin de fer se développe. Avec une ligne arrivant de Lyon par Ambérieu, la ville de Bourg est d’abord desservie en juin 1856, puis mise en relation directe avec Paris, par Mâcon, en juillet 1857 et avec Genève en 1858. À Bourg, une étoile ferroviaire se construit avec des lignes vers Lons-le-Saunier en août 1864, vers Lyon-Croix-Rousse par la Dombes en septembre 1866. Un réseau secondaire, concédé en mars 1867, permettra d’atteindre La Cluse par le Revermont, Chalon-sur-Saône par la Haute-Bresse et de relier Ambérieu-en-Bugey à Villebois. Tout le département sera ainsi prochainement "quadrillé" et ses produits seront expédiés vers Lyon et ailleurs.
Considérant cette situation et pour assurer le développement sans cesse croissant du commerce et de l’industrie, le conseil municipal de Bourg estime qu’il serait avantageux de constituer un organe officiel et un mandataire permanent. Lors de sa séance du 19 mars 1869, il émet « le vœu qu’il soit établi, dans le département, une Chambre de commerce ayant son siège à Bourg. Il prie M. le préfet de vouloir bien transmettre ce vœu à l’administration supérieure et en poursuivre la prompte réalisation ».
La délibération est prise en considération et survit à la guerre franco-prussienne de 1870. En effet, dans son allocution devant le Conseil général de l’Ain, le 10 août 1872, le préfet confirme que ses services travaillent à « la création d’une succursale de la Banque de France à Bourg et d’une chambre de commerce [qui] a été, de la part des cinq tribunaux d’arrondissement, l’objet d’avis les plus favorables ».
Les démarches se prolongent. À Bourg, la Banque de France s’installe en 1878 et le Tribunal de commerce en mai 1884. Et le relais est pris, en mars 1889, par les « principaux commerçants de Bourg [qui], sous la présidence du Tribunal de commerce de Bourg, agitent la question de la création d’une Chambre de commerce dans la ville » et alertent les pouvoirs publics [1].
Il faudra d’autres demandes et les ultimes délibérations du Conseil municipal de Bourg du 28 juillet 1898 et du Conseil général de l’Ain du 21 août 1898 pour que le projet aboutisse par le décret du Président de la République du 17 janvier 1899.

Bourg vers 1900, la "Belle Époque", une époque paisible d’expansion économique. La ville a été embellie par la réalisation de l’avenue Alsace-Lorraine.

La CCI est installée le 20 février 1900

Les actuelles Chambres de commerce et d’industrie [2] sont des organismes chargés de représenter les intérêts des entreprises commerciales, industrielles et de services au sein d’un territoire précis, ici le département de l’Ain. La CCI de l’Ain fait partie d’un réseau plus vaste à l’échelle régionale, la CCI Auvergne-Rhône-Alpes (CCIR). Elles sont, avec les Chambres d’agriculture et les Chambres de métiers et de l’artisanat, l’une des trois catégories de chambres consulaires. Pour rappel, les CCI sont des établissements publics économiques (livre VII du Code de commerce) gérées par des chefs d’entreprise élus par leurs pairs.
La CCI représente les intérêts économiques du département en représentant les entreprises du commerce, des services et de l’industrie auprès des pouvoirs publics pour exprimer leurs besoins, les informer, les conseiller.

Après le décret présidentiel, il appartient au Tribunal de commerce d’établir le collège des 1 473 notables commerçants qui éliront, le 24 décembre 1899, les douze dirigeants de la Chambre de commerce [3]. Après quoi, celle-ci est installée le 22 février 1900, sous l’égide de la Préfecture. Le banquier Paul Rive en est élu président par neuf voix. La Chambre dispose alors d’un local au 15, de la rue du Docteur Ébrard à Bourg [4].
Le siège est rapidement déplacé rue Notre-Dame et le nombre des membres est porté à 15 en décembre 1906 puis à 18 en août 1908, en raison de l’augmentation considérable des activités et pour une meilleure représentation des arrondissements et des industries.
Paul Rive se retire de la présidence et son successeur est Athanase Martelin, le directeur de la filature La Schappe à Saint-Rambert-en-Bugey.

Les deux premiers présidents, Paul Rive (à gauche) et Athanase Martelin.

Un président dans la Grande Guerre

À partir du 2 août 1914, l’Europe s’abîme dans une guerre qui se prolonge bien au-delà des prévisions. Les millions d’hommes immobilisés dans les tranchées sont soutenus par le pays dont les ressources s’épuisent. Le ravitaillement du front, mais aussi de l’intérieur, est une préoccupation nationale. Dans l’Ain, la Chambre de commerce y participe activement par son président Joseph Bernier [5] qui a succédé à Athanase Martelin, décédé accidentellement en décembre 1914.
La vie quotidienne des habitants est difficile jusque dans la rareté de la monnaie. Aussi les Chambres de commerce de Mâcon et de Bourg se concertent-elles pour l’émission de 500 000 coupures d’un franc ou d’un demi-franc, mises en circulation par l’intermédiaire de la Banque de France, la Trésorerie générale et les banques locales. Ces coupures sont échangeables contre des billets de la Banque de France [6]. D’autres organismes émettent billets ou pièces métalliques désormais connus comme des monnaies de nécessité.

"Monnaie de nécessité" en service de 1915 à 1920 tant dans l’Ain qu’en Saône-et-Loire.

Industriel-minotier au Moulin Saint-Pierre à Bourg, Joseph Bernier met ses compétences et ses relations au service du département pour lui assurer un approvisionnement permanent en blé dès le printemps 1915. Le préfet nomme cet homme intègre à la tête de l’Office départemental des céréales, le 31 août 1917, bien qu’il soit juge et partie dans sa mission. Il s’investit dans d’autres domaines et la Chambre de commerce a été à l’origine de la création de Comité départemental de l’or le 29 août 1915 et de l’initiative, en mars 1917, pour faire du tourisme un des instruments de l’expansion économique de l’après-guerre [7].
Ce déploiement d’activités lui vaut d’être fait Chevalier de la Légion d’honneur par un décret du 5 juillet 1919, notamment pour « son activité, ses dons d’animateur, sa haute compétence en matière économique, son dévouement aux intérêts du commerce et de l’industrie [8] »
Aux élections législatives du 19 novembre 1919 où les députés sortants sont battus, il est élu député au sein de la liste « Union républicaine - Liste de combattants et d’intérêts économiques ». À l’Assemblée nationale, il s’inscrit au groupe de l’Entente républicaine et démocratique et son activité est considérable au sein de la Commission des douanes et de la Commission des mines et de la force motrice [9].
Pour les élections du 11 mai 1924, il prend la tête d’une « Liste de concentration républicaine démocratique et sociale », orientée au "centre", toujours fortement soutenue par le Courrier de l’Ain. Elle est éliminée dès le premier tour où Joseph Bernier ne retrouve qu’un quart de ses voix de 1919. Le surlendemain, le Courrier de l’Ain constate alors que « dans le département, il n’y a que deux partis : la droite et la gauche, tous deux organisés et disciplinés ». Joseph Bernier se consacre désormais pleinement à l’édification d’un hôtel consulaire.

La "carte économique" de l’Ain vers 1925. Remarquer la diversité des réseaux d’électricité.

Trouver un emplacement

La Chambre de commerce débat d’un nouvel immeuble dédié dès le second semestre 1926. Elle cherche un emplacement pour son hôtel consulaire et acquiert le site sur lequel se trouvent l’Hôtel des Dombes et la Maison Montaplan qui avait abrité la manufacture royale d’horlogerie durant douze ans, de 1764 à 1776 [10]. La maison du Docteur Paul Bozonet (1852-1935), ancien député de l’Ain, est aussi achetée pour en disposer librement et en toute jouissance (hors locations) à la date convenue du 24 juin 1928. Le compromis de vente est signé le 19 septembre 1927.
Ces acquisitions sont financées par le bénéfice de 311 600 francs réalisé lors de l’apurement des comptes de l’émission de la monnaie de nécessité pendant la guerre [11].

Le "Square Joubert" avec, à gauche (X), la façade de l’Hôtel des Dombes qui sera démoli pour édifier le nouvel immeuble. L’emplacement s’est appelé "Place Montaplan" jusqu’en 1818.

La Chambre lance le projet de construction d’un bâtiment qui puisse accueillir ses services, son personnel mais aussi des services extérieurs, en permanence ou de façon provisoire. Elle se renseigne d’abord auprès de la Chambre de commerce de Chambéry, choisie pour être une chambre dont la taille est similaire à celle de l’Ain, puis auprès des chambres de commerce de Mâcon, Chalon-sur-Saône ou Dijon qui disposent déjà d’un immeuble dédié.
Elle crée une commission et lui accorde un crédit de 5 000 francs pour lui donner les moyens de faire des études et de faire voyager ses membres, si nécessaire.
La Chambre assume, comme toutes les consœurs de la région, totalement en interne, l’organisation du projet, étape par étape, avec une grande implication de son président Joseph Bernier.
Le programme de construction extérieur et intérieur (implantation des services internes et externes), et le montage financier font l’objet de commissions internes à la Chambre de commerce. Le projet est ensuite soumis au ministère de tutelle, le Ministère du commerce et de l’industrie pour obtenir la déclaration d’utilité publique. Le ministère transmet la partie technique (plans et devis) au Conseil général des bâtiments civils. Le montage financier est lui-aussi étudié par le ministère pour obtenir une autorisation d’emprunts le plus souvent faits auprès du Crédit foncier ou de la Caisse d’épargne. La Chambre de commerce complète les deux emprunts principaux avec une demande de prêts auprès des industriels du département.

Joseph Bernier, président de 1914 à 1933.

Un hôtel rapidement construit

Le projet de construction de l’hôtel est lancé en 1928 et fait l’objet d’un concours pour choisir l’architecte, restreint au niveau départemental et régional, concours auquel répondent treize candidats. Ces propositions sont étudiées par une commission interne et les candidatures sont anonymisées par souci d’impartialité. La Chambre obtient l’approbation des ministères, puis le décret de déclaration d’autorité publique. Les immeubles achetés sont détruits en mai 1928.

Les architectes Antonin Chomel et Paul Verrier ont été retenus à l’issue d’un concours, parmi les treize projet.

L’hôtel consulaire est construit rapidement, car les travaux principaux d’élévation sont annoncés dans les comptes rendus de réunion comme presque terminés fin 1929. Il reste en novembre 1929 à soumettre les devis pour la pose du sol, les volets roulants, la décoration et l’électricité [12]. Le coût total est de 2 200 000 francs. Les honoraires des lauréats du concours d’architecte sont calculés à hauteur de 5% de ce montant.
Le Maire de Bourg, Jules Belley (maire de 1922 à 1935), écrit le 4 février 1932, au président Joseph Bernier pour l’informer que le Conseil municipal a voté la veille, un crédit de 3 000 francs comme contribution de la Ville aux frais de construction des trottoirs devant le nouvel hôtel de la Chambre de commerce.

Photographie parue en décembre 1934. Le "Square Joubert" est muni d’un jet d’eau et la plaque de la "Rue Joseph Bernier" est apposée sur le bâtiment.

Inauguré en juin 1934

Le bâtiment a été terminé en 1930 mais son inauguration n’a lieu que le 4 juin 1934, sans la présence de Joseph Bernier, décédé le 1er juin 1933. Pourquoi un tel écart ? La raison n’est pas évoquée.
Les festivités durent deux jours, les 4 et 5 juin 1934. Elles sont décrites minutieusement par le Courrier de l’Ain et le Journal de l’Ain, sans aucun commentaire politique de deux journaux de sensibilité politique opposée. Cette inauguration semble faire consensus.
Le discours du président de la Chambre, Emile Couïbes (1868-1954) est retranscrit intégralement dans les deux journaux. Il rend un vibrant hommage à son prédécesseur, Joseph Bernier (1864-1933), dont le nom a été donné à la rue qui longe l’hôtel, depuis septembre 1933. Un portrait, en médaillon sculpté par Alphonse Muscat, est aussi inauguré dans le hall, à gauche sur la montée de l’escalier.

Un hommage au président décédé, Joseph Bernier.
L’inauguration a été précédée d’une réunion, en préfecture, de l’"Office des transports du Sud-Est" et le directeur du PLM a invité les participants à visiter l’automotrice Bugatti (74 places) qui l’avait amené de Paris. Les compagnies ferroviaires tendent alors à remplacer les trains omnibus à vapeur par des autorails. Remarquer le kiosque de conduite au milieu de la rame.

DEUXIÈME PARTIE : UN IMMEUBLE DANS SON QUARTIER

L’hôtel de la Chambre de commerce est aujourd’hui implanté un quartier où on peut dénombrer sept immeubles dont les différents styles architecturaux sont très intéressants à observer, que ce soit en terme de qualité de réalisation que de conception, et ce des années 1900 aux années 1970. Nous pouvons donc admirer l’ancienne Caisse d’Epargne datant de 1911 au 24 avenue d’Alsace Lorraine dont l’architecte est Auguste Royer (1877-1937), et non loin de là, l’ancien Tribunal d’instance, au 3 place Pierre Goujon, datant de 1962 dont l’architecte est Pierre Dosse (1934-2017), pour ne citer que ces deux exemples [13].
Sur l’ensemble, on compte seulement deux immeubles datant de l’entre-deux guerres, de style spécifiquement Art déco : l’ancienne Maternité Émile Pélicand, 10 avenue Louis Jourdan, devenu un Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), et bien évidemment la Chambre de commerce et d’industrie de l’Ain.

Deux architectes lyonnais

Le cabinet lyonnais d’architecture de Pierre Verrier et Antonin Chomel remporte le concours de 1928 parmi treize candidatures. Ce cabinet est celui qui a réalisé le plus de constructions des chambres de commerce dans la région Rhône-Alpes. Les deux architectes ont travaillé ensemble de 1920 à 1940.
Pierre Verrier (1885-1968) est, au moment de l’édification de la Chambre de commerce de Bourg, président de la Société académique d’architecture de Lyon [14]. Il est le seul des deux à s’être déplacé à l’inauguration et a participé au banquet donné à l’Hôtel de l’Europe.
Antonin Chomel (1889-1964), est le fils de l’architecte Augustin Chomel et le père des architectes Jean Chomel et Alain Chomel. Ainsi fait-il partie d’une dynastie d’architectes lyonnais. On lui doit des réalisations variées comme l’aéroport de Lyon-Bron, l’hôtel de la Chambre de commerce de Villefranche-sur-Saône, en 1931, des aménagements au Musée des Tissus et des Arts décoratifs de Lyon, etc. Ces deux architectes ont surtout des réalisations institutionnelles à leur actif.

En 1950, la façade porte désormais l’inscription "Chambre de commerce et d’industrie". Remarquer les ferronnerie Art déco.

Un hôtel consulaire des années 1930

Voyons de plus près le bâtiment pour le décrire : extérieurement, son style est globalement typique de l’Art déco. Cependant l’architecture Art déco est très variée : ce style peut être très moderne voire avant-gardiste et géométrique [15] comme très néoclassique, c’est à dire inspiré du style du XIXe siècle.
Extérieurement, l’immeuble de la CCI de l’Ain est un "syncrétisme" entre le style néoclassique, l’Art déco et le style bressan.
Tel que le bâtiment est situé, on voit deux façades, l’une rue Joseph Bernier qui donne sur le square Joubert et l’autre, plus en longueur mais secondaire, sur la rue Muscat.
Le style néoclassique s’exprime dans la façade dans la répartition des volumes avec une entrée qui rappelle en écho celle de la Préfecture avec son perron à colonnades cannelées [16], surmonté d’un balcon d’honneur.
Sur la façade avenue Alphonse Muscat, en hauteur, se trouvent des bas-reliefs représentant les blasons des villes les plus emblématiques du développement économique de l’Ain, Oyonnax, Gex, Belley, Bourg-en-Bresse, Trévoux, Nantua et Bellegarde-sur-Valserine.
L’Art déco s’exprime à travers la sobriété, simplifiant le style néoclassique de la façade, monochrome, avec des détails décoratifs à caractère abstrait et géométrique. Le style bressan s’exprime dans la toiture pentue à tuiles plates.
Notons, dans la façade, une prééminence, au centre formée par trois pignons peu marqués mais visibles.
L’immeuble compte quatre niveaux en élévation dont le dernier qui est sous le toit, avec trois fenêtres en chiens assis, sur la façade principale de l’entrée.
Le sigle de l’institution est inscrit dans la ferronnerie, comme un monogramme, CCB, pour Chambre de Commerce de Bourg.

Décoration et matériaux

La décoration extérieure est peu importante, sobre, souvent abstraite avec des motifs géométriques décoratifs comme la frise au dessus des fenêtres du deuxième étage. En représentation figurative, se trouvent des bas-reliefs très significatifs, décrits ci-après.
Elles sont l’œuvre d’Yvonne Couïbes, la fille du président Emile Couïbes, sculptrice discrète mais dont on peut noter quelques réalisations dans la région, en 1927 et 1928. Elle expose plusieurs sculptures et des bibelots sculptés au Salon d’art décoratif moderne : Femme à la cape, Jeune homme au chien, La Biche, Fontaine, et, au Salon d’Automne, en 1934, un buste en marbre. Elle a réalisé une statue de saint Martin dans l’église Saint-Martin, située sur la commune de Fleurie dans le Rhône.
Les matériaux sont représentatifs des constructions modernes de l’époque : la structure est en béton, recouverte de pierre de Villereversure (Ain). Cette pierre est aussi utilisée à l’intérieur du bâtiment, mais polie. Les plafonds sont formés de pavés de verre.
Intérieurement, l’hôtel consulaire est plus uniformément marqué par le style Art déco. Son architecture sobre et élégante est tournée vers la mise en valeur du développement économique local, donc du progrès.

Le hall d’entrée en 1934.

Les Chambres de commerce suivent globalement le même programme mais les halls peuvent être différents. Celui de Bourg est surtout fait pour mettre en valeur, dans des vitrines en bois (ébénisterie bressanne) faites sur mesure, les produits régionaux agricoles et industriels. Au sol, se trouve une splendide mosaïque représentant le bâton de Mercure, la divinité du commerce. Notons les plafonds à caisson qui rappelle les plafonds richement ornés de la Renaissance, dans une interprétation propre au style Art déco. Le hall est en "cul-de-sac", il n’est pas traversant.
En effet, l’accès au premier étage, dont le couloir est en mezzanine donnant sur le hall, se fait par une seule montée d’escalier, située à gauche et vers l’arrière. Il faut donc se retourner vers l’entrée pour monter au premier étage où se trouvent le bureau du président, une salle de réunion pour le conseil d’administration et le cabinet du secrétaire. Au deuxième étage, se situent l’appartement du secrétaire et la bibliothèque. Le premier niveau est l’étage principal qui comprend tous les services de la Chambre de commerce. Le rez-de-chaussée concentre les salles de réunions.

La façade indique "Chambre de commerce" mais la mosaïque intérieure, le "Bâton de Mercure", porte les deux mots de "Commerce" et "Industrie".
L’ébénisterie bressane présente dans le bureau du président, en 1950.

Trois bas-reliefs d’Yvonne Couïbes

La décoration extérieure des deux façades est sobre, essentiellement faite de motifs géométriques décoratifs, comme la frise au dessus des fenêtres du deuxième étage. Pourtant, en levant les yeux, on voit sur les deux façades de l’édifice trois bas-reliefs figuratifs, œuvres de Yvonne Couïbes. Il est dommage que nous n’ayons aucun renseignement sur leur genèse et le choix de leur iconographie. L’écart entre la fin de l’édification et l’inauguration, le fait que l’artiste soit la fille du président expliquent peut-être l’absence d’information sur ces bas-reliefs qui méritent tout, sauf de l’indifférence.
Sur la façade principale, deux d’entre eux sont répartis au-dessus des fenêtres latérales du deuxième étage. Afin de respecter la hauteur de l’ensemble du deuxième étage, les deux fenêtres concernées ont des ouvertures réduites en hauteur pour loger les bas-reliefs.

Le partage des tâches en Bresse, à l’homme, les travaux des champs ; à l’épouse, la basse-cour. de la Bresse.

À gauche, on découvre une scène de la vie agricole de la Bresse. Au premier plan, se trouve une femme, une paysanne en habit de travail quotidien avec une jupe, une chemise aux manches retroussées et une coiffe pour se couvrir la tête et les cheveux. Elle gère une couvée et nourrit sa basse-cour composée, en frise, d’un coq, deux poules et de multiples poussins, pas moins d’une dizaine dont l’un est dans sa main entrouverte.
Au centre, une cage, appelée mue, a pour fonction de garder la poule et d’éviter qu’elle ne parte picorer trop loin, avec toute sa progéniture, l’exposant ainsi aux nombreux prédateurs, comme les buses. La mue est en osier, et à ce titre, on peut apprécier le sens du détail descriptif de la sculptrice sur le travail de vannerie. Dans les années d’après-guerre, cette cage était en grillage sur une ossature métallique.
Au deuxième plan, on voit un champ labouré avec un attelage de deux bœufs guidés par un paysan qui tient un bâton à la main. Les paysans conservaient toujours un bâton avec eux dès qu’ils sortaient pour travailler. Lui aussi est en tenue de travail, avec un chapeau sur la tête.
La ligne d’horizon évoque les montagnes du Revermont et, au-delà de la rivière d’Ain, celles du Bugey. Bresse et Bugey sont reliés par un pont, trop stylisé pour identifier formellement.
Sur cette représentation en contre-plombée, les deux paysans sont concentrés sur leur travail, la tête baissée. La composition est dense et les lignes expressives. Le thème du travail agricole rappelle les tableaux de Jean-François Millet de part leur naturalisme contemplatif, exprimé ici dans le style Art déco.

Le bûcheronnage en Bugey. Yvonne Couïbes a signé au-dessous et à droite de ce "tableau".

Le deuxième bas-relief est une évocation du Bugey et du travail du bois, notamment celui de bûcheron. En effet, à l’arrière plan, on voit les fûts d’une forêt de résineux et deux hommes de dos, qui travaillent.
Au premier plan, un bucheron est assis, la main gauche sur l’extrémité du tronc d’un arbre abattu. Il fait une pause et fume la pipe, sa hache posée devant lui, les manches retroussées, une veste sur son bras gauche. Les trois personnages sont en vêtement de travail.
La scène est descriptive, sans aucune "folklorisation".
Par rapport au fronton de la préfecture, en face, le vignoble bugiste n’est pas évoqué. Il est vrai qu’à la suite des événements (phylloxera et Grande Guerre) et d’un climat moins favorable qu’au siècle précédent, la vigne a perdu beaucoup de son importance.

Le dynamisme du secteur de Bellegarde-sur-Valserine s’exprime ici.

Le troisième et dernier bas-relief se situe sur la façade secondaire, avenue Alphonse Muscat, à la même hauteur que les deux autres. Il évoque le site de Bellegarde-sur-Valserine, la première ville électrifiée de France, en 1884.
Autant les deux premiers sont presque bucoliques avec, pour figure centrale, le travail humain manuel dans la nature et sur la nature, autant celui-ci est un hymne au génie civil à travers les constructions humaines comme Fort l’Ecluse dans les montagnes du Bugey, l’électrisation avec des lignes à haute-tension, en haut, à gauche.
En bas à droite, les trois silhouettes humaines, des ouvriers, donnent une échelle pour évaluer la taille d’un barrage hydro-électrique. Est-ce le futur barrage de Génissiat, alors en projet ? Au milieu du bas-relief, le Rhône serpente à travers les rochers des "Pertes du Rhône", en amont de Bellegarde-sur-Valserine. En bas et à gauche, est-ce l’évocation de l’imprimerie avec la SADAG (Société anonyme des arts graphiques), créée en 1907 et un des fleurons de Bellegarde ?
La composition est dense et fondée sur un montage presque publicitaire des lieux emblématiques et des activités de production économique du Bugey et du tourisme que l’Ain développe.

En conclusion, le plaisir de contempler l’hôtel consulaire de la Chambre de commerce reste intact depuis sa construction, car il a traversé le temps sans trop de dégâts, malgré l’obus américain reçu le 3 septembre 1944, la veille de la libération de Bourg-en-Bresse.

Anne Autissier - Rémi Riche

Septembre 2022

Bibliographie :
Archives municipales de Bourg-en-Bresse.
Bulletin périodique de la Chambre de commerce de Bourg et du département de l’Ain, 1926 à 1934. Médiathèque É. & R. Vailland.
CAUE de l’Ain (Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement).
Marie-Hélène Chazelle. Les hôtels consulaires des années 1930, reflet architectural de l’économie locale.
Courrier de l’Ain. Juin 1934. Médiathèque É. & R. Vailland.
Dumas Dominique, Salons à Lyon, 1919-1945. Répertoire des exposants et liste de leurs œuvres, Tome I. Dijon. L’Echelle de Jacob. 2010
Journal de l’Ain. Juin 1934. Médiathèque É. & R. Vailland

Des sites :
CAUE de l’Ain (Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement) : https://www.caue01.org/fr/portail/93/mediatheque/28227/parcours-xxe-dans-l-ain-bourg-en-bresse-itineraire-1-2.html
Société académique d’architecture de Lyon. https://saal-lyon.fr/
Historique de : L’horlogerie royale de Bourg-en-Bresse (1764-1776)

[1"Courrier de l’Ain" du 26 mars 1889.

[2Par simplification, l’acronyme CCI sera désormais utilisé.

[3Selon la loi du 20 décembre 1871.

[4Au rez-de-chaussée d’une maison appartenant à la ville.

[5Né le 12 avril 1864 à Dijon. Âgé de 50 ans, il est non mobilisable à la déclaration de guerre.

[6"Courrier de l’Ain" du 28 août 1915.

[7"L’Ain 1910-1925. Travailler Soutenir Espérer", édité par les "Chroniques de Bresse". 2017.

[8Son dossier sur la base nationale "Leonore".

[9Extrait de sa biographie sur le site de l’Assemblée nationale où il est prénommé, à tord, Joseph Marie.

[10Son historique est consultable sur ce site. Voir le lien à la fin de cette chronique.

[11"Livret de la Commémoration du cinquantenaire". A.D. Ain. BIB L3-21. 1950.

[12La plaque commémorative, apposée sur la façade nord, indique que les travaux ont été réalisés en 1929-1930

[13Le site internet du CAUE de l’Ain propose la consultation en ligne d’un ouvrage sur les immeubles remarquables. Voir le lien à la fin de cette chronique.

[14Elle existe toujours et ses archives sont consultables sur RDV

[15Les réalisations de Le Corbusier en sont un exemple parfait.

[16Soulignons que les descentes des gouttières le sont également, comble du raffinement

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