Vol des fiches S.T.O. à Bourg-en-Bresse en mai 1943

En mai 1943, le cambriolage à l’Office départemental du Service Obligatoire du Travail a été salué comme une action retentissante de la jeunesse résistante. Voici les éléments du dossier tels qu’ils peuvent être consultés aux Archives départementales de l’Ain.

PREMIÈRE PARTIE : LE DOUBLE VOL ET L’ENQUÊTE

L’histoire du vol des fiches du S.T.O. est nourrie de témoignages indirects et, même dans l’immédiat après-guerre, ils étaient imprécis et rares sont ceux qui évoquaient un double vol. C’est pourquoi, plutôt qu’une interprétation, les documents d’archives sont proposés ici dans leur version originale.
Les divergences d’orthographe, de ponctuation ou d’appellation ont été respectées dans ces divers documents, présentés selon l’ordre chronologique. Les quelques simplifications, pour éviter des répétitions déjà nombreuses, sont signalées. Les illustrations insérées sont des témoignages de l’époque de guerre.

Le S.T.O. était géré par l’Office départemental du travail.
Le S.T.O. bénéficiait d’une importante propagande officielle.

Bourg le 19 mai 1943

L’inspecteur de la Police nationale Guillermin
à Monsieur le commissaire de la Police nationale à Bellegarde.
Objet : Cambriolage à l’Office départemental du Service Obligatoire du Travail.
« J’ai l’honneur de vous rendre compte des faits suivants : dans la nuit du 18 au 19 courant, un vol de documents à caractère politique a été commis dans les bureaux de l’Office départemental du Service Obligatoire du Travail, 3 rue des Casernes à Bourg.
25 à 30 kilos de fiches environ ont disparu. Celles-ci comprenaient :
1 - les fiches de recensement de 26 cantons du département de l’Ain [sur 33] pour les classes 40-41-42. Cantons de …
[liste des cantons concernés].
2 - toutes les fiches de recensement du département de l’Ain de la classe 1913.
3 - les fiches concernant les jeunes des Chantiers de Jeunesse, groupement 4 et 43.
4 - toutes les fiches des jeunes partis en Allemagne et à Lorient jusqu’à ce jour.
5 - les fiches des défaillants jusqu’au 1er mai 1943.
Pour commettre leur vol, le ou les cambrioleurs ont escaladé un mur bordant la rue St-Antoine, haut de 3 mètres environ, manœuvre qui leur a permis de se rendre dans une petite cour située derrière les services de l’Office départemental du Travail.
Ils ont ensuite brisé une vitre et, après avoir fait jouer l’espagnolette de la fenêtre donnant sur une dépendance du bureau cambriolé, ils ont pu opérer rapidement, les dossiers volés n’avaient pas été rangés dans des meubles ayant des fermetures de sécurité.
Les traces d’éraflures laissées contre le mur au cours de l’escalade font supposer que les cambrioleurs devaient être plusieurs.
Les services de la Sécurité publique de Bourg ont procédé aux constatations d’usage et n’ont pu relever aucune empreinte en raison des nombreuses personnes qui ont tenu les registres et du public venu dans les bureaux.
Plainte a été déposée contre inconnu par M. Lapierre, directeur de l’Office départemental du Service Obligatoire du Travail.
Le double des documents volés ayant été transmis à Lyon, il n’y aura aucune perturbation ni aucune conséquence à la suite de ce vol.
Le ou les auteurs de ce vol sont inconnus. D’actives recherches sont faites en vue de les découvrir
 ».
L’inspecteur de la Police nationale.
Signé Guillermin.

Bourg, le 21 mai 1943

L’inspecteur de la Police nationale Tardy
à Monsieur le commissaire de Police nationale à Bellegarde.
Objet : Cambriolage de l’Office départemental du Service du Travail Obligatoire.
« J’ai l’honneur de vous rendre compte que ce jour, entre 12 heures et 13 heures 30, un ou des individus se sont introduits dans le bureau de l’Office du Travail Obligatoire.
Pour y pénétrer, il a suffi de briser une vitre de la fenêtre afin de passer le bras à l’intérieur pour faire jouer l’espagnolette.
De nombreux documents dont le détail est joint : fiches et autres ont disparu.
M. Chaprier, commissaire principal, a ouvert une enquête judiciaire
 ».
L’inspecteur de la Police nationale,
Signé Tardy.

État du matériel disparu
Fiches classes 12 à 19 disparues précédemment
Listes des défaillants jusqu’à ce jour
Listes des convoqués jusqu’à ce jour
Fiches des jeunes gens convoqués pour le 21
Fiches des jeunes gens convoqués pour le 20
Fiches des jeunes gens convoqués pour le 19
Fiches des jeunes gens convoqués pour le 24
Fiches des jeunes gens convoqués pour le 26
Correspondances en cours de ces trois derniers jours
Fiches des défaillants du 1er mai au 19 inclus
Toutes les circulaires récentes concernant le Travail Obligatoire.
Fait à Bourg, le 21 mai 1943
Le directeur départemental.
.
N.D.L.R. : Le premier rapport indique ʺService Obligatoire du Travailʺ, l’appellation d’origine supprimée à cause de son acronyme (S.O.T.). L’ordre des mots a été ensuite modifié pour devenir le ʺService du Travail Obligatoireʺ (S.T.O.).
.

Bourg le 22 mai 1943

Le préfet de l’Ain à Monsieur le commissaire de Police.
Objet : garde des locaux du Service du Travail Obligatoire.
« J’ai l’honneur de vous confirmer ma communication téléphonée et de vous prier de faire assurer, à partir de ce soir 22 mai, la garde des locaux du Service départemental du Travail Obligatoire à l’École normale de filles, rue des Casernes.
Cette garde devra être maintenue pendant les heures suivantes :
1° - de 12 à 14 heures.
2° - de l’heures de sortie des bureaux le soir jusqu’à l’heure de rentrée le lendemain matin.
3° - toute la journée du dimanche.
Le garde de service se tiendra, non pas à l’extérieur, mais à l’intérieur des locaux. Il sera armé. Sa relève devrait être assurée s’il devait s’absenter même un instant
 ».

Lyon, le 24 mai 1943

Note urgente [plusieurs destinataires].
Objet : Cambriolages à l’instigation des ʺMouvements Unis de la Résistanceʺ, à Bourg (Ain).
« Deux cambriolages ont été commis à l’ʺOffice départemental du Service du Travail Obligatoireʺ à Bourg (Ain), 3 rue des Casernes, respectivement dans la nuit du 18 au 19 courant, avec effractions et par escalade, et le 21 de ce mois, entre 12h. et 13h35, par effractions. Les archives de ce Service ont été soustraites frauduleusement, notamment les fiches des hommes recensés (classes 1912 à 1919 inclues et des classes 1940 à 1943) convoqués, partis et défaillants.
La Section Politique de la Brigade régionale de Police de sûreté à Lyon vient d’arrêter trois individus impliqués dans cette affaire, à savoir :
1 - BOLLON Louis, né le 11 septembre 1921à Bourg, employé à l’ʺOffice départemental du Service du Travail Obligatoire à Bourgʺ, domicilié en cette ville, 12 rue du 23e Régiment d’infanterie ;
2 - ROY Léon-Émile, né le 26 août 1919 à Passavant (Doubs), également employé au dit Office, demeurant chemin des Dîmes, à Bourg ;
3 - THENON Marcel, né le 22 mars 1925 à Saint-Denis-en-Bugey (Ain), étudiant, habitant 3 rue Girod de l’Ain, à Bourg.
BOLLON et ROY ont avoué, jusqu’à présent, avoir commis le deuxième cambriolage susmentionné. Ils ont précisé que les documents dérobés ont été passés au nommé THENON, membre influent des Mouvements de Résistance, qui attendait dans la rue.
THENON, qui a reconnu être ʺChef de sizaineʺ des ʺMouvements Unis de Résistanceʺ, a affirmé avoir porté les dits documents, à bicyclette, à deux membres de cette organisation, en vue de leur destruction par le feu.
L’enquête est poursuivie, sans désemparer.
D’autres arrestations sont prévues
 ».
Le Commissaire divisionnaire,
Signe (illisible)
.
N.D.L.R. : les premières arrestations ont lieu trois jours après le second vol.
.

Lyon, le 25 mai 1943

Note urgente n° 2 [plusieurs destinataires].
Objet : Cambriolages à l’instigation des ʺMouvements Unis de la Résistanceʺ, à Bourg (Ain).
« Poursuivant, sans désemparer, ses investigations dans l’affaire des deux cambriolages commis dernièrement à l’ʺOffice Départemental du Service du Travail Obligatoireʺ à Bourg (Ain), la Brigade Régionale de Police de Sûreté de Lyon vient de procéder à l’arrestation de trois autres membres des ʺMouvements Unis de Résistanceʺ, à savoir :
4 - CHAMBARD Georges, né le 21 avril 1923 à Bourg, caissier-comptable au Service des carburants près la Préfecture de l’Ain, demeurant en cette ville, 17, boulevard Victor Hugo ;
5 - POBEL Gabriel-Roger-Lucien, né le 22 novembre 1921 à Bourg, et son frère,
6 - POBEL Georges-Henri, né le 22 janvier 1925 en cette même ville, tous deux cultivateurs, domiciliés Chemin des Dîmes, à Bourg.
CHAMBARD et les frères POBEL ont reconnu appartenir à une ʺSizaineʺ des ʺMouvements Unis de Résistanceʺ, dont le chef était ROY Léon, précédemment arrêté (voir ma note du 24 courant).
D’après les aveux des intéressés, CHAMBARD a fait le guet, au cours du deuxième cambriolage signalé, et les frères POBEL ont brûlé les documents dérobés
 ».
Le commissaire divisionnaire,
Signé (illisible).

Bourg, le 25 mai 1943

Note. Section des affaires politiques.
« À la suite de l’enquête effectuée au sujet du cambriolage de l’Office du Travail Obligatoire, 3 rue des Casernes à Bourg, six individus ont été appréhendés :
THENON Marcel (…)
ROY Léon Émile Maurice (…)
BOLLON Louis (…)
POBEL Gabriel Roger Lucien (…)
POBEL Georges Henri (…)
CHAMBARD Georges (…)

[L’état-civil des prévenus n’a pas été recopié ; voir ci-dessus]
Le nommé THENON a reconnu avoir participé au second cambriolage de l’Office du Travail Obligatoire ; avoir reçu le sac contenant les fiches volées et l’avoir porté chez les frères POBEL.
Le nommé BOLLON a reconnu avoir pénétré dans le bureau de l’Office, en compagnie du nommé ROY, y avoir dérobé les fiches de recensement et les avoir placées dans le sac, qui a été ensuite passé à THENON
Il reconnait également que c’est lui qui a eu, le premier, l’idée de faire disparaître les fiches de recensement et avoir donné à ses complices toutes indications pour effectuer le cambriolage.
Le nommé ROY reconnait avoir pénétré dans le bureau en compagnie de BOLLON et avoir dérobé avec lui les fiches de recensement.
Les nommés POBEL Gabriel et POBEL Georges ont reconnu avoir reçu de THENON le sac contenant les fiches volées et avoir brûlé celles-ci dans le four de leur ferme.
Le nommé CHAMBARD Georges a reconnu avoir fait le guet pendant que ses complices opéraient.
Tous ces individus ont déclaré être totalement étrangers au premier cambriolage de l’Office du Travail Obligatoire et ne pouvoir fournir aucun renseignement sur celui-ci.
Les nommés ROY, BOLLON et les frères POBEL seront présentés ce jour à Monsieur le Procureur de la République à Bourg.
CHAMBARD et THENON, compromis dans une autre affaire, sont provisoirement gardés à la disposition de notre service
 ».
Le commissaire de Police de Sûreté,
Signé (illisible).

Lyon, le 27 mai 1943

L’inspecteur divisionnaire du Travail et de la main-d’œuvre de Lyon,
à Monsieur le préfet de l’Ain.
Objet : Office départemental du travail.
« À la suite des incidents survenus à l’Office du travail de BOURG et dans lesquels M. ROY Léon, préposé-adjoint et M. BOLLON Louis, auxiliaire, tous deux agents de l’Office du travail, sont impliqués, j’ai l’honneur de vous informer que, par décision de ce jour, je prononce le licenciement d’office de M. BOLLON Louis, par mesure disciplinaire ; cette mesure prendra effet le 19 mai, date à partir de laquelle l’intéressé cessera de percevoir son salaire.
En ce qui concerne M. ROY, je demande à M. le Ministre, secrétaire d’État au travail, sa suspension jusqu’à décision à intervenir
 ».
L’inspecteur divisionnaire,
Signé (illisible).

Lyon, le 28 mai 1943

Objet : Arrestations de membres des ʺMouvements Unis de Résistanceʺ, à Bourg.
« La Section politique de la Brigade régionale de Police de Sûreté de LYON vient d’appréhender, à BOURG (Ain), les individus ci-après désignés qui étaient affiliés aux ʺForces Unies de la Jeunesseʺ (F.U.J.), organisation rattachée aux ʺMouvements de Résistance Unisʺ :
1 - ANTOINE Gabriel-Georges, né le 2 novembre 1919 à Bourg, agent d’assurance, demeurant 5 rue de l’Industrie, à Bourg ;
2 - BERNOLIN Claudius-Louis, né le 23 décembre 1923 à Replonges (Ain), manœuvre, demeurant Chemin Robin, à Bourg ;
3 - FRANCHI Martin, né le 10 avril 1923 à Serriera (Corse), étudiant, demeurant 6 rue du Palais, à Bourg ;
4 - PAUCOD René-Jacques, né le 20 février 1923 à Bourg, mécanicien, demeurant 16 rue de l’Industrie, à Bourg ;
5 - ÉCOCHARD Henri, né le 23 septembre 1922 à Oyonnax (Ain), pâtissier, demeurant 40 rue Xavier [Privas ?], à Bourg ;
6 - MARTIN Henri-Victor, né le 23 août 1922 à Bourg, ouvrier agricole, demeurant Chemin des Dîmes, à Bourg ; et
7 - MARTIN Albert-Antoine, né le 10 avril 1924 à Bourg, frère du précédent, ouvrier agricole, demeurant Chemin des Dîmes, à Bourg.
Les nommés ANTOINE Gabriel, chef de sizaine, et BERNOLIN Claudius, ont reconnu avoir été chargé plus particulièrement du recrutement des membres pour les sections de propagande. Les autres individus susnommés appartenaient à diverses ʺsizainesʺ des ʺF.U.J.ʺ à BOURG. Ils ont reconnu, en outre, avoir diffusé à maintes reprises les journaux clandestins ʺCombatʺ et ʺF.U.J.ʺ.
Tous seront déférés au Parquet de BOURG
 ».
Le commissaire divisionnaire [à plusieurs destinataires],
Signé (illisible).

Les F.U.J. faisaient campagne contre le S.T.O.

Bourg, le 28 mai 1943

Note
« À la suite d’une enquête effectuée par la Section Spéciale des Affaires politiques de la Brigade régionale de Police de Sûreté de Lyon, les individus suivants ont été arrêtés pour actes de nature à nuire à la défense nationale.
FRANCHI Martin, (…) ; a reconnu être membres du mouvement F.U.J. (Forces Unies de la Jeunesse, jeunesse du mouvement ʺCOMBATʺ.
MARTIN Henri-Victor (…) ; membre d’une sizaine.
MARTIN Albert Antoine (…) ; membre d’une sizaine.
ÉCOCHARD Henri (…) ; membre d’une sizaine ; a assisté à la réunion où a été décidé le cambriolage de l’Office du Travail à Bourg.
PAUCOD René Jacques ; membre d’une sizaine.
BERNOLLIN Claudius Louis (…) ; membre d’une sizaine ; a fait du recrutement pour le mouvement.
ANTOINE Georges Gabriel (..) ; chef de sizaine ; a fait du recrutement pour le mouvement.

[L’état-civil des prévenus n’a pas été recopié ; voir ci-dessus]
Ces six individus, ainsi que les six inculpés dans l’affaire du cambriolage de l’Office du Travail Obligatoire (voir note du 25 mai) faisaient partie du mouvement Forces Unies de la Jeunesse (F.U.J.).
ROY Léon et ANTOINE Georges étaient chefs de sizaine et étaient placés sous l’autorité de THENON Marcel, qui doit être chef de trentaine.
Les nommés ANTOINE et BERNOLLIN sont également compromis dans une affaire d’abattage clandestin. Le nommé BERNOLLIN est en outre compromis dans une affaire de détention
 ».
Le commissaire de Police,
Signé (illisible).
.
N.D.L.R. : Faut-il noter que ces jeunes se revendiquent du mouvement "Combat" d’Henri Fresnay alors qu’à Bourg, Marcelle Appleton et Paul Pioda appartenaient au mouvement "Libération" ?
.

Bourg, le 28 mai 1943

L’inspecteur de police Martin,
à Monsieur de commissaire Principal, chef du Service des Renseignements Généraux du département de l’Ain à Bellegarde.
Objet : 13 arrestations effectuées à Bourg par la Section des Affaires politiques de la Brigade régionale de Police de Sûreté de Lyon.
« Comme suite à vos instructions, j’ai l’honneur de vous rendre compte que la section des Affaires Politiques de la Brigade régionale de Police de Sûreté de Lyon a opéré 13 arrestations à la suite d’une enquête effectuée au sujet du cambriolage de l’Office du Travail Obligatoire, 3 rue des Casernes à Bourg.
Il s’agit des nommés :
THENON Marcel (…).
ROY Léon Émile Maurice (…).
BOLLON Louis (…).
POBEL Gabriel Roger Lucien (…).
POBEL Georges Henri (…).
CHAMBARD Georges (…)
FRANCHI Martin (…).
MARTIN Henri Victor (…).
MARTIN Albert Antoine (…).
ÉCOCHARD Henri (…).
PAUCOD René Jacques (…).
BERNOLLIN Claudius Lois (…).
ANTOINE Georges Gabriel (…).

[L’état-civil des prévenus n’a pas été recopié ; voir ci-dessus]
Le nommé THENON a reconnu avoir participé au cambriolage de l’Office du Travail et avoir reçu le sac contenant les fiches volées qu’il a emporté chez les frères POBEL.
Le nommé BOLLON a reconnu avoir pénétré dans le bureau de l’Office en compagnie de ROY, y avoir dérobé les fiches de recensement et les avoir placées ensuite dans le sac qui a été passé au nommé THENON, le même BOLLON reconnaît que c’est lui qui a eu le premier l’idée de faire disparaître les fiches de recensement et avoir donné à ses complices toutes indications pour effectuer le cambriolage.
Le nommé ROY reconnaît avoir pénétré dans le bureau en compagnie de BOLLON et avoir dérobé les fiches de recensement.
Les frères POBEL Gabriel et Georges ont reconnu avoir reçu de THENON le sac contenant les fiches volées et avoir brûlé celles-ci dans le four de leur ferme.
Le nommé CHAMBARD Georges a reconnu avoir fait le guet pendant que ses complices opéraient.
Le nommé Écochard a reconnu avoir assisté à une réunion où a été décidé le cambriolage de l’Office du Travail à Bourg.
Les nommés ANTOINE et BERNOLLIN sont également compromis dans une affaire d’abattage clandestin et BERNOLLIN seul dans une affaire de détention d’arme actuellement à l’instruction au Tribunal de première instance de Bourg.
Tous les susnommés font partie du mouvement ʺForces Unies de la Jeunesseʺ ‘F.U.J.), jeunesse du mouvement ʺCOMBATʺ.
Le nommé THENON Marcel est considéré comme chef de trentaine et les nommés ROY Léon et ANTOINE Georges comme chefs de sizaines.
Les nommés THENON, BERNOLLIN et ANTOINE ont reconnu avoir fait du recrutement pour l’organisation des Forces Unies de la Jeunesse
 ».
L’inspecteur de la Police nationale,
Signé : A. Martin.
[Ce document est conservé dans le dossier 180W120 des A.D. Ain.]

Bourg, le 29 mai 1943

Le Procureur de la République près de la Cour d’assises de l’Ain et le Tribunal de première instance de Bourg,
« J’ai l’honneur de vous faire connaître que j’ai ouvert une instruction contre les nommés :
THENON Marcel (…).
ROY Léon Émile Maurice (…).
BOLLON Louis (…).
POBEL Gabriel Roger Lucien (…).
POBEL Georges Henri (…).
CHAMBARD Georges (…).

[L’état-civil des prévenus n’a pas été recopié ; voir ci-dessus]
Tous, sauf POBEL Georges, ont été placés sous mandat de dépôt.
Les faits sont les suivants :
Dans la nuit du 18 mai courant, des fiches concernant les jeunes astreints au service en Allemagne disparaissaient de l’Office du Travail Obligatoire. BOLLON, qui travaillait à l’Office de placement dans la même pièce que les services du travail obligatoire, ayant appris que seule une partie des fiches avait été soustraites, conçut le projet d’enlever les autres dans le but de retarder de quelques semaines le départ de ces jeunes.
Il en parla à son camarade de bureau ROY Léon, ancien caporal au 506e Régiment de chars de combat, prisonnier rapatrié, qui, depuis 3 mois environ, faisait partie d’un mouvement de résistance n’ayant aucun caractère communiste et qui se proposait uniquement de lire les journaux gaullistes, de faire de la propagande antiallemande et de contrecarrer l’action des occupants de France. Une fois cependant, THENON expliqua le fonctionnement d’une mitraillette à certains de ses camarades et la démonta devant eux.
Ce groupe, qui s’était divisé en sizaine, se réunissait chez les frères POBEL environ une fois par semaine mais à partir de la mi-février, il interrompit son activité pour ne la reprendre que le 18 mai. Une autre réunion eut lieu le 20 mai. ROY y conduisit BOLLON dans le but de préparer l’exécution de son projet. POBEL Gabriel, THENON, CHAMBARD y prirent part et un rôle fut assigné à chacun des participants pour l’expédition.
Celle-ci eut lieu le lendemain. En quittant son travail à midi, BOLLON avait laissé ouverte l’espagnolette de la fenêtre donnant sur la rue St-Antoine
.
.
N.D.L.R. : ce détail a-t-il permis aux enquêteurs de remonter la piste ?
.
Vers 15 heures, ils se retrouvèrent sur les lieux. CHAMBARD fit le guet au coin de la rue des Casernes. ROY et BOLLON escaladèrent facilement une fenêtre du rez-de-chaussée pour pénétrer dans une pièce ; ils se rendirent ensuite dans une courette sur laquelle donnait la fenêtre de la salle où se trouvaient les fiches. Cette fenêtre, qui avait un carreau cassé, fut aussi facilement ouverte. Ils s’emparèrent alors des fiches qu’ils placèrent dans un sac, celui-ci fut passé à THENON, qui était resté à l’extérieur. Ce dernier le transporta aussitôt à bicyclette chez les frères POBEL. L’aîné se faisant aider par le cadet le jeta dans un four à pain où il fut brûlé.
L’enquête diligentée sur ce vol permit d’identifier un certain nombre de jeunes gens qui participaient à ce mouvement, portant le nom de ʺFORCES UNIES DE LA JEUNESSEʺ.
Ce sont, en dehors de ceux précédemment nommés :
FRANCHI Martin (…).
PAUCOD René (…).
ÉCOCHARD Henri (…).
MARTIN Henri Victor (…).
MARTIN Albert Antoine (…).
ANTOINE Gabriel (…).
BERNOLLIN Claudius (…).

[L’état-civil des prévenus n’a pas été recopié ; voir ci-dessus]
BERNOLLIN, déjà condamné pour vol à 6 mois d’emprisonnement, qui est inculpé d’abattage clandestin, en même temps qu’ANTOINE, ont été placés sous mandat de dépôt. BERNOLLIN, au surplus, est l’objet d’une instruction pour détention d’armes. Les autres, dont l’activité a été assez réduite, sont en liberté, sauf ÉCOCHARD, qui a participé à la réunion au cours de laquelle fut décidé le vol des fiches du Service Obligatoire du Travail ».
Le Procureur de la République,
Signé (illisible).

Lyon, le 1er juin 1943

Le Préfet régional,
Objet : Arrestation à Bourg de membres de ʺMouvements Unis de Résistanceʺ.
« D’une note du Service régional de la Police de Sûreté, en date du 28 mai 1943, dont une copie vous à été transmise, il résulte que sept membres des ʺMouvements Unis de Résistanceʺ ont été arrêtés à Bourg et déférés au Parquet de cette ville.
J’ai l’honneur de vous prier de vouloir bien me tenir exactement informé de la suite judiciaire qui sera donnée à cette affaire et me faire parvenir, en temps opportun, toutes propositions d’internement administratif que vous jugerez utiles
 ».
Pour le Préfet régional, l’intendant de Police,
Signé (illisible).

DEUXIÈME PARTIE : LES CONDAMNATIONS

Bourg le 23 juin 1943

Le Procureur de la République (...)
à Monsieur le préfet de l’Ain.
« J’ai l’honneur de vous faire connaître que, par jugement en date de ce jour, les inculpés dont les noms suivent ont été condamnés aux peines au regard de leurs noms :
THENON Marcel, 18 ans, étudiant à Bourg, -détenu- relaxé du chef de distribution de tracts ; 8 mois d’emprisonnement avec sursis et 300 francs d’amende pour vol et tenue de réunions politiques privées sans autorisation.
ROY Léon, 24 ans, employé à Bourg ; 8 mois d’emprisonnement avec sursis et 300 francs d’amende pour vol et tenue de réunions politiques privées sans autorisation.
BOLLON Louis, 22 ans, employé à Bourg ; 8 mois d’emprisonnement avec sursis et 60 francs d’amende pour vol et participation à une réunion.
POBEL Gabriel, 22 ans, cultivateur à Bourg ; 4 mois d’emprisonnement avec sursis et 300 francs d’amende pour recel et participation à des réunions politiques privées sans autorisation.
ANTOINE Georges, 23 ans, agent d’assurance à Bourg ; 300 francs d’amende pour tenue de réunions politiques privées sans autorisation.
BERNOLLIN Claudius, 19 ans, cultivateur à Bourg ; 300 francs d’amende pour tenue de réunions politiques privées sans autorisation.
POBEL Georges, 18 ans, cultivateur à Bourg ; 4 mois d’emprisonnement avec sursis et 300 francs d’amende pour recel et tenue de réunions politiques privées sans autorisation.
CHAMBARD Georges, 19 ans, caissier à Bourg ; 4 mois d’emprisonnement avec sursis et 300 francs d’amende pour complicité de vol et tenue de réunions politiques privées sans autorisation.
PAUCOD René, 20 ans, mécanicien à Bourg ; 300 francs d’amende pour tenue de réunions politiques privées sans autorisation.
FRANCHI Martin, 20 ans, étudiant à Bourg ; 300 francs d’amende pour tenue de réunions politiques privées sans autorisation.
ÉCOCHARD Henri, 20 ans, pâtissier à Bourg ; 300 francs d’amende pour tenue de réunions politiques privées sans autorisation.
MARTIN Henri, 20 ans, cultivateur à Bourg ; a été relaxé
 ».
Le procureur de la République,
Signé (illisible).

Ce document ne concerne que les hommes nés en 1922 mais le vol des fiches n’a guère entravé les départs au S.T.O. On le comprend à la lecture de ce dossier car Vichy multipliait les documents administratifs, en plus des doubles ou triples exemplaires.

Bourg le 26 juin 1943

Le préfet de l’Ain à Monsieur le préfet régional.
Objet : internements administratifs.
« J’ai l’honneur de vous transmettre ci-joint des ampliations de mes arrêtés du 23 juin par lesquels j’ai, conformément aux instructions que vous avez bien voulu me donner, par téléphone, prescrit l’internement administratif des nommés :
THENON Marcel (...).
ROY Léon (...).
BOLLON Louis (...).
POBEL Gabriel (...).
CHAMBARD Georges (...).

[L’état-civil des prévenus n’a pas été recopié ; voir ci-dessus]
Ainsi qu’il avait été indiqué précédemment, il s’agit de 5 individus qui avaient participé, les 18 et 21 mai dernier, aux deux cambriolages successifs des locaux du service du travail obligatoire, rue des Casernes à Bourg.
Les 5 intéressés avaient été arrêtés en même temps que 8 autres individus qui avaient été identifiés comme adhérents de mouvements de résistance.
[Voir ci-dessous]
Lors de son audience du 23 juin, le tribunal correctionnel de Bourg a condamné THENON, ROY et BOLLON à 8 mois de prison avec sursis, POBEL et CHAMBARD à 4 mois de prison avec sursis.
Venant dans la période actuelle, l’application de cette décision judiciaire, qui aboutissait à la mise en liberté de 5 agitateurs, aurait été particulièrement mal accueillie. C’est pourquoi je vous avais demandé des instructions en ce qui concerne la conduite à tenir.
Je vous prie de trouver ci-joint au sujet de chacun des individus internés un compte rendu d’enquête avec proposition d’internement.
Je précise que le nommé THENON n’a pas été libéré de la Maison d’arrêt parce qu’il était également impliqué dans une affaire de détention d’armes et, qu’à ce titre, il est en état de détention préventive. La mesure d’internement le concernant doit être maintenue pour recevoir son application dans l’éventualité d’une mise en liberté provisoire
 ».
.
N.D.L.R. : les huit jeunes arrêtés, le 23 juin, pour appartenance aux F.U.J., sont Pierre BEREZNE étudiant (17 ans), Albert BLANC tourneur sur métaux (17 ans), Jean BOUJON étudiant (15 ans), Paul FAVIER étudiant (17 ans), Hubert GALLET ajusteur (17 ans), Albert LONVIS étudiant (17 ans), Jean MAYOLLET étudiant (16 ans) et Émile MICHON étudiant (17 ans). Non internés, ils sont convoqués devant le Juge d’instruction le 1er juillet 1943 et laissés en liberté. Remarquer le jeune âge de ces combattants appartenant tant au monde estudiantin qu’ouvrier !
.

Lyon le 9 juillet 1943

Le préfet régional à Monsieur le préfet de l’Ain.
Objet : Mesures d’internement administratif.
« J’ai l’honneur de vous faire parvenir, sous ce pli, pour régularisation, en double exemplaire, ampliations de mes arrêtés d’internement et de libération, en date du 23/6/43 concernant les nommés THENON Marcel, BOLLON Louis, ROY Léon, POBEL Gabriel, CHAMBARD Joseph, astreints à résider, pour une période de 6 mois, au centre de séjour surveillé de Saint-Paul-d’Eyjeaux.
Je vous laisse le soin de transmettre une ampliation de mes arrêtés à Monsieur le préfet de la Haute-Vienne et d’adresser au chef de camp intéressé les pièces prévues
 ».
Pour le préfet régional, l’Intendant régional de police.
Signé (illisible).
.
N.D.L.R. : Tous ces documents, à part une exception signalée, sont conservés dans le dossier 719W11 des A.D. Ain.
Chacun interprète les documents d’archives selon sa sensibilité. Aussi certains attribuent-ils ce vol des fiches S.T.O. à Résistance Lalande mais aucun document ne semble confirmer cette hypothèse.
.

Les jeunes ont poursuivi leur engagement dans la "Résistance" comme Martin Franchi, cité dans cette chronique, et son frère, tués le 17 juin 1944 à Léaz, près de Bellegarde.

.

Documents recopiés par Rémi Riche

- Mai 2024.

Pour en savoir plus sur le S.T.O. : Deuxième Guerre mondiale : le S.T.O. ou aller travailler en Allemagne

Partager cette page

  • Partager par mail
  • Partager sur Facebook
  • Partager sur Twitter