L’Hôtel-Dieu de Bourg-en-Bresse, plus de 800 ans d’histoire

Investi solennellement le 16 décembre 1790, l’Hôtel-Dieu de Bourg-en-Bresse est délaissé par les services en ce mois de mai 2023. Cette chronique propose un retour sur près de mille ans d’hospitalité, au cœur de la ville puis hors les murs.

PREMIÈRE PARTIE : AUX ORIGINES

Un signe religieux

L’hôpital de Bourg a des origines obscures et sa première mention date de 1301. Sa fondation est plus ancienne car il possède déjà des biens. Il semble qu’il soit lié au culte de la Vierge Marie, créé vers le XIIe ou XIIIe siècle, après la découverte d’une image de la Vierge Marie (une icône ?) dans un saule. Ce fait est interprété comme la volonté de la Vierge d’avoir là une chapelle, effectivement édifiée. L’image y est placée et elle attire de nombreux pèlerins. Si les plus fortunés s’arrêtent dans les auberges, les gens du peuple recherchent un abri plus sommaire. Même si l’église paroissiale reste à Brou, la cité se développe dans ce nouveau secteur, au bas de la colline dominée par le modeste château féodal.

Selon la légende, la Vierge Noire de Notre-Dame aurait été sculptée dans le saule qui aurait porté l’image initiale.

Un établissement charitable y est édifié avec un rez-de-chaussée dédié à l’accueil et à l’hébergement des pauvres. Un hospitalier, ou recteur, nommé par la ville, est signalé à partir de 1317. Le pèlerinage se trouve conforté lorsque le comte Aymon de Savoie obtient, en 1343, une intercession. Des donations suivent et, en 1431 et 1489, l’archevêque de Lyon accorde des indulgences aux donateurs. Le désormais duc de Savoie lui apporte sa protection en 1462 et Marguerite d’Autriche lui lègue une somme, en 1508, deux ans après avoir obtenu, par une bulle papale, le transfert de la paroisse de Brou à Notre-Dame.

Au service des pauvres

L’édifice, la Maison de ville, est bâti sur des arcades, sur une longueur d’environ dix mètres (mesure d’aujourd’hui). L’étage sert de salle de réunion aux syndics. Au rez-de-chaussée, la façade est en retrait pour dégager un passage de circulation couvert, l’allée publique, comme cela se fait alors. Là se situe l’hôpital, un lieu d’accueil commun aux hommes et aux femmes, avec un dortoir, un réfectoire et une cheminée, munie d’une marmite pour cuire le potage des pauvres. Une chapelle contiguë, avec des bancs, est notée au début du XVe siècle. Une messe y est dite les dimanches et jours de fête.
L’établissement, communément dénommé l’Hôpital de la Bienheureuse Marie, est géré par un hospitalier, ou recteur, nommé par la ville, le plus souvent un laïc. L’hôpital est essentiellement un lieu de charité, d’où sont exclus les gens soupçonnés d’être atteints d’une maladie contagieuse, qui sont relégués au Moulin des pauvres, une des propriétés de l’hôpital.
Celui-ci reçoit un important legs le 23 septembre 1533, de noble Pierre Chapon, marchand et bourgeois de Bourg, pour des biens et une somme de mille écus d’or au soleil [1] pour « nourrir, vêtir et coucher les pauvres du Christ ». Une plaque est apposée en façade de l’édifice, en l’honneur du généreux donateur.
Dans toute période miséreuse, des gens font le métier de la mendicité [2], mais toute mauvaise récolte contraint une partie de la population à ne vivre que d’aumônes. Les ressources de l’hôpital sont limitées et, lorsque les mendiants sont trop nombreux, ils sont chassés de l’hôpital et vont quêter l’aumône dans les halles toutes proches. Sont aussi repoussés les gens ʺmalhonnêtesʺ, notamment les femmes de mauvaise vie. À côté, des personnes, non indigentes mais sans famille, demandent l’hébergement en échange de la donation de leur avoir. En 1523, l’épidémie de peste conduit à une fermeture temporaire de l’hôpital [3]

Extrait d’un plan de Bourg de 1771, avec la position initiale de l’hôpital (1), son déplacement en 1652 (2), la rue de la Chèvrerie (3) et la jonction des deux bras du Cône (4), ruisseau-égout qui traverse la ville.

Maladières et hôpital réunis

L’important legs de Pierre Chapon permet de réorganiser l’hôpital de Sainte Marie sur des bases nouvelles et d’en faire un établissement plus fonctionnel. On pense alors à réunir sous une même administration l’hôpital et les maladières et leurs biens, pour mieux employer les divers revenus et aumônes à la nourriture des pauvres, indigents et pestiférés. Un projet est préparé le 26 octobre 1548 et il n’est approuvé que le 1er mai 1558, la ville étant alors sous la domination française (de 1536 à 1559).
Une maladière est transformée en ferme en 1587, dirigée par un métayer à qui sont confiés des bovins, des poules, du fourrage et des semences. Les productions approvisionnent l’hôpital et la mouture des céréales est réalisée au Moulin des pauvres.
Les dons ou legs se poursuivent mais la seconde moitié du XVIe siècle voit une succession d’épidémies de peste qui frappent la ville, provoquent des disettes et multiplient les mendiants. L’hôpital distribue aussi des secours à domicile ou offre la « ʺpassadeʺ, c’est-à-dire l’aumône et un ou deux repas aux pauvres passants ». La situation est vraiment difficile, des mesures de salubrité publique sont édictées, dans la ville et pour les eaux de la Reyssouze. « En 1597, il n’y a pas moins de quatre cents pestiférés en la maladière de Saint-Roch et dans les cabanes construites à l’entour et sur la route de Pont-d’Ain, au-delà de l’église de Brou [4] ».
La mésentente entre la France et la Savoie se termine par une guerre qui ajoute ravages et saccages aux difficultés et l’annexion définitive des pays de l’Ain par la France, par le traité de Lyon du 17 janvier 1601.

D’autres locaux et des religieuses

Face à l’augmentation des pensionnaires, au début du XVIIe siècle, les syndics achètent d’abord un bâtiment de l’autre côté de la rue de la Chèvrerie et les locaux sont reliés par une galerie, au-dessus de la rue. L’appellation hostel-Dieu apparaît alors en 1643. La situation reste précaire et une maison, avec jardin et dépendances, est acquise en 1652, sur la grande place de Crèvecœur ou de la Halle (aujourd’hui, place de l’Hôtel-de-Ville). Le transfert des malades est effectué.
La gestion de l’hôpital n’est guère satisfaisante et, avec l’accord du gouverneur de Bourgogne en 1646, il est décidé que trois administrateurs, nommés en assemblée générale de la ville de trois ans en trois ans, assureront la direction et la conduite des biens et revenus de l’hôpital [5]. Ce fonctionnement sera modifié par le règlement de 1693.
Guère plus « qu’un refuge pour les infirmes et enfants abandonnés », le service ne peut être amélioré que si l’établissement est tenu par des religieuses. Les démarches entreprises conduisent à l’arrivée de trois religieuses de Notre-Dame de la Charité de Béziers.
La convention, comme il est d’usage, est passée devant un notaire le 29 octobre 1654. Elle prévoit que les religieuses « prennent et se chargent à perpétuité du régime des pauvres dudit hospital de Bourg, vivant religieusement suivant leur règle de Saint-Augustin (…) Que lesdites religieuses seront nourries et entretenues aux dépens dudit hospital et s’emploieront au ministère et service d’iceluy, traitteront, panseront et médicamenteront en personne les femmes malades dans une des dites deux salles ou chambres et feront traitter, panser et médicamenter la salle et chambre des hommes par des hommes ou femmes séculiers qu’elles choisiront au nombre qui sera jugé nécessaire, tant par elles que par lesdits sieurs syndics et recteurs ». De nombreux points sont évoqués dont « une boutique pour l’apothicairerie ». Les comptes sont alors présentés par la supérieure des hospitalières (jusqu’en 1699).
La convention n’est approuvée que le 19 juillet 1667 par l’archevêché de Lyon. Pourquoi un tel délai et pourquoi faire venir des religieuses de Béziers et non d’une ville plus proche ? Les raisons ne sont pas indiquées pour ces deux questions.

Détail de la première page du contrat d’engagement des religieuses en 1654.
Gravure représentant une hospitalière de Notre-Dame de la Charité.
Lettres patentes, publiées le 7 juillet 1708, qui confirment les "Lettres d’établissement de Philippe Duc de Savoye" de 1486.

Conflit entre syndics et religieuses

La communauté se développe rapidement et compte « 21 religieuses et 2 prétendantes » en 1669. Les rapports avec les syndics, d’abord cordiaux, se tendent à cause de leur nombre et de leur comportement. En 1675, il leur est reproché de faire « une bourse séparée de celle des pauvres » et, en 1687, d’avoir acheté des maisons pour vivre en dehors de l’hôpital. Ces religieuses appartiennent à la bourgeoisie ou à la noblesse, des classes où la coutume est de « se défaire de ses trop nombreuses filles, lorsqu’elles se trouvent dans l’impossibilité de marier convenablement, en les mettant dans un couvent. (…) L’hôpital devient pour elles une pension de famille où elles sont assurées de trouver toute leur vie le gîte et la nourriture ».
Les syndics leur reprochent aussi de « préférer leur intérêt à celui des pauvres », de se décharger du service en employant des domestiques ou encore de faire de grosses dépenses d’apothicairerie, pour leur usage personnel, en choisissant les préparations « les plus chères et les plus agréables au goût ». Ils estiment encore que « dix ou douze religieuses bien intentionnées » suffiraient pour l’hôtel-Dieu. Elles vivent en communauté autonome au sein de l’hôpital et indépendante vis-à-vis de l’évêché.
Toutes les tentatives de conciliation restent vaines et les sœurs refusent toujours « d’unir leurs biens à celui des pauvres ». Enfin, elles s’opposent au transfert de l’hôpital pour rester au cœur de la ville où elles ont leurs relations mondaines. La ville revend, en 1698, le terrain qu’elle a acquis au faubourg de Mâcon, en 1675. Sont alors acquises, en 1697, une maison contiguë pour agrandir l’hôpital et des bâtisses de bois, démolies pour créer une cour et aérer les lieux. Après le terrible hiver de 1709, des agrandissements se poursuivent en 1712 et 1757 mais l’hôpital reste « composé de bâtiments obscurs, vieux, délabrés, humides ». Il regroupe 46 lits mais il accueille journellement une moyenne de 70 à 80 indigents ou malades. Lorsque les fièvres sévissent, on place trois malades par lit.
L’hôpital est administré selon les règlements de 1693 puis de 1756. La situation conflictuelle avec les religieuses perdure et leur entretien absorbe une part importante du budget. En 1734, le bureau de l’hôpital décide de ne plus admettre « de nouvelles religieuses de cœur sans une dot d’au moins quatre mille livres ». Elles sollicitent l’archevêque pour faire annuler cette décision [6].

Soigner les malades

Aux débuts, l’hôpital a la vocation d’accueillir les indigents et de soigner plus les âmes que les corps, la pauvreté, l’infirmité ou la maladie étant vécues comme des fatalités et les pauvres perçus comme les représentants du Christ sur terre. Le culte est d’abord célébré par un prêtre de Notre-Dame puis un aumônier est nommé à partir de 1700. La chapelle est « fort petite, obscure et située en un lieu indécent », avec 42 pieds de long et 15 de large (environ 13,60 m x 4,90 m). Il est à noter que la dernière épidémie de peste à Bourg survient dans les années 1665-1666.
En 1708, un legs permet d’envisager l’édification d’une nouvelle chapelle mais les travaux, à peine commencés en 1723, sont suspendus, les religieuses ayant « édifié une petite chapelle pour leur usage particulier ». Un autel est alors placé dans la salle des femmes.
Les hôpitaux n’ont pas de médecin attitré et, en cas de nécessité, il est fait appel à un des médecins de la ville. À Bourg, un traitement fixe n’est accordé à un médecin qu’à partir de 1638. L’arrivée des religieuses impose la séparation des hommes et des femmes et elle permet d’assurer des services journaliers plus réguliers mais les locaux conditionnent leur qualité. Ceux de Bourg n’ont pas été prévus à cet effet et la promiscuité s’ajoute à une humidité permanente.
Le service médical est confié à un ʺchirurgienʺ qui est avant tout un ʺpraticienʺ, un homme qui a plus appris par empirisme que par des études médicales. Jusqu’au XVIIIe siècle, celui de Bourg exerce gratuitement, à part l’allocation attribuée en fin d’année. En 1759, la corporation demande une rétribution, « l’art de chirurgie étant un art honneste », mais n’obtient pas gain de cause.
Auparavant, en 1751, les administrateurs avaient décidé de fournir au personnel médical des instruments plus appropriés et avaient demandé à l’astronome Lalande de les acheter à Paris. Il ne s’acquitte de sa tâche qu’en 1756. Comme dans tous les hôpitaux de France, les dépenses de médicaments sont peu élevées. Le premier achat de thériaque, panacée universelle, date de 1681 et celui de quinquina de 1689. Les religieuses de l’apothicairerie demandent un laboratoire en 1708. Des personnes pieuses achètent en 1735, au nom des pauvres, un domaine aux Mangettes (paroisse de Saint-Étienne-du-Bois), pour que les revenus soient affectés à la pharmacie.

Sous l’Ancien Régime, la saignée et le clystère sont les bases des pratiques médicales.
Une boutique d’apothicaire et les limites de la pharmacopée illustrées par Jean-Jacques Grandville (1803-1847).
Une quittance mensuelle des "drogues" délivrées par l’apothicairerie établie le 4 avril 1732 par Sœur Pontdevaux.

Construire un nouvel hôpital

L’Hôtel-Dieu, à l’étroit dans ses locaux au cœur de la ville, ne permet pas d’apporter des soins appropriés aux malades. En 1774, l’idée de réunir l’hôpital et la Charité est lancée mais les clauses de fondation de cette dernière interdisent une telle fusion. Un terrain a été envisagé à Brou, entre la Reyssouze et la route de Pont-d’Ain, en dehors de la ville. Le projet de déplacer l’hôpital est néanmoins retenu et poursuivi même si la ville construit beaucoup à cette période. L’hôpital dispose de fonds et il relance ses débiteurs.
Le 28 avril 1777, à l’initiative du maire, la délibération est prise pour construire ce nouvel hôpital. L’objectif est d’obtenir des plans pour ensuite confier la construction à l’architecte de la ville, Gaspard Chauvereiche. Dans ce but, les édiles s’adressent à l’astronome Jérôme de Lalande, membre de l’Académie des sciences, pour qu’il sollicite l’Académie d’architecture à Paris. Des interférences administratives retardent le projet jusqu’en 1780 où la ville le relance. Le nouvel intendant de Bourgogne, Feydeau de Brou, intervient, en mars 1781, pour que la construction soit confiée à Pierre-Adrien Pâris, architecte du roi, dessinateur ordinaire de la chambre et du cabinet de sa Majesté [7], à Versailles.
Différents mémoires lui sont remis et Pierre-Adrien Pâris présente ses plans le 15 juin 1781, à Bourg, et annonce que le coût sera d’au moins 350 000 livres. De retour dans la capitale, l’architecte revoit son projet pour en limiter le coût et prendre en compte les remarques émises. Il rédige alors un Mémoire pour servir d’explication aux plans du nouvel hôtel Dieu de Bourg en Bresse [8] Dans ce document de huit pages, signé le 1er octobre 1781, il explique ses choix architecturaux face aux contraintes du terrain retenu.
Les salles des malades, superposées, ont une grande élévation pour favoriser leur aération et sont conçues en demi-étage pour limiter les fatigues de déplacement. L’apothicairerie, source de revenus, est bien accessible au public même si son accès se fait par la salle des convalescents. Cela peut inspirer de la compassion et des dons.
Le devis s’élève à 413 000 livres. L’architecte a-t-il été informé indirectement que l’hôpital pourrait disposer de 400 000 livres en ajoutant la vente de bois à la somme de 304 000 livres disponible ? Il est permis de penser que ce contexte le conduit à concevoir plus une belle œuvre architecturale qu’un établissement fonctionnel au service de seuls malades. La partie "couvent" a autant d’importance que celle de l’hôpital.
Les tracasseries se suivent. La ville refuse le projet trop onéreux, Pâris en propose une version plus économique puis la ville revient au projet initial légèrement modifié. Elle engage alors les négociations à propos des honoraires car la construction a été confiée à Chauvereiche. Finalement, Pâris cède ses plans pour 7 000 livres, en septembre 1783 [9].

Relevé du terrain effectué par l’architecte Chauvereiche avec des parcelles acquises auprès de particuliers (1, 2, 3 et 4), échangées avec des particuliers (6, 8, 9 et 10), échangées avec la Charité (5 et 11), échangée avec les Augustins de Brou (7).
L’occupation du terrain selon Pierre-Adrien Pâris.

Une construction soignée

Parcimonieux pour des plans, les recteurs le sont moins pour les travaux. Ils acquièrent les matériaux et choisissent les meilleurs artisans, sans passer par des adjudications. Gaspard Chauvereiche, engagé le 24 juin 1781, établit les devis par corps de métier [10].
Les travaux s’engagent bien et, après la réalisation du soubassement, la Première pierre est officiellement posée le 1er septembre 1783. Ils se poursuivent, des ornements sont supprimés et les difficultés de financement apparaissent à partir de 1787. Des domaines sont vendus et des locaux terminés sont loués pour quatre années à une filature de coton. Une souscription est lancée pour la fourniture de 120 lits métalliques.
La Révolution, qui survient, n’interrompt pas les travaux même si les biens ecclésiastiques sont mis à la disposition de la Nation par un décret du 2 novembre 1789. La municipalité de Bourg s’enquiert de la situation des religieuses hospitalières, le 7 mars 1790, et celles-ci affirment que leurs biens en gérance sont la propriété des pauvres. En attendant d’autres dispositions, il leur est demandé de poursuivre leur mission. Au 20 août 1790, l’hôpital compte 19 religieuses professes, 8 sœurs laies et 2 sœurs tourières. Toutes souhaitent rester religieuses et elles le confirment après leur installation dans le nouvel Hôtel-Dieu.
Cet établissement est inauguré le 16 décembre 1790 avec une procession solennelle, conduite par les autorités, et le transfert des malades. Plus tard, le coût total du bâtiment est estimé à environ 545 000 livres, pour huit années de travaux. Gaspard Chauvereiche a-t-il dénaturé le projet de Pierre-Adrien Pâris ? Nullement ! Le soin apporté à la réalisation, dans tous les détails, impressionne encore aujourd’hui. Pour le vérifier, il suffit de visiter l’apothicairerie.

La façade actuelle de l’Hôtel-Dieu. Auparavant conçu pour des mesures sanitaires (élévation des miasmes délétères), à Bourg, le dôme n’a plus qu’une fonction décorative.
La répartition des locaux du rez-de-chaussée. La partie "administrative" est plus importante que les salles superposées des malades, logées dans la partie en croix.
Escalier d’honneur à double volée avec ses rampes en fer forgé installées en 1789. Cet escalier est supporté par deux colonnes monolithiques en pierre du Revermont d’environ 3,80 m de hauteur et 60 cm de diamètre.

DEUXIÈME PARTIE : DANS LE NOUVEL HÔTEL-DIEU

Au temps de la Révolution

Les hôpitaux sont administrés selon la loi du 5 décembre 1790 qui ne modifie guère le fonctionnement. L’Hôtel-Dieu devient néanmoins un Hospice d’humanité et la composition du bureau évolue à partir de 1792. Dans cette période troublée, être administrateur expose à des risques et l’un d’entre eux finit sur l’échafaud en 1793. En outre, un Comité de surveillance est institué en 1794.
La suspicion est donc de rigueur et, en 1793, elle s’est en effet portée envers les religieuses qui recevraient des prêtres pour des actes religieux. Le 14 avril 1793, le fossoyeur est surpris avec un sac contenant les ornements de la chapelle. C’est l’incident attendu par certains pour expulser les religieuses et les remplacer par du personnel laïc mixte. En outre, la croix du dôme et toutes les autres croix sont retirées.
Avec de nouvelles règles, la gestion est aussi défaillante que déficitaire et, dès avril 1795, on en vient à regretter les religieuses. Le directoire du district de Bourg sollicite les deux sœurs Chambard, désormais "citoyennes", pour leur éventuel retour à la pharmacie.
Elles acceptent en formulant neuf exigences dont l’arriéré des traitements, le retour de six de leur compagnes, un inventaire de la maison, la restitution de la bibliothèque, la liberté de culte pour les malades et elles-mêmes, ou encore des provisions suffisantes pour gérer l’établissement. Conscients de leurs compétences, les administrateurs vont au-delà de leurs demandes et confient la direction de l’hospice à la citoyenne Marie-Étiennette Chambard (auparavant Sœur Dorothée) et celle de la pharmacie à sa sœur Louise-Françoise Chambard (auparavant Sœur Félicité). Les ex-hospitalières reprennent du service et des employés sont renvoyés.

Une situation difficile

Au 1er septembre 1790, la municipalité de Bourg a dressé l’inventaire des propriétés et avantages de l’hôpital, fort de 52 articles. La loi du 11 juillet 1794 [11] déclare que les hospices sont un service public financé par l’État, le département et les districts. Mais le peu de confiance envers les assignats engendre une crise économique sévère avec, pour l’hospice d’humanité, des denrées plus coûteuses, des approvisionnements incertains et des dégradations dans les bois. La guerre amène aussi son lot de souffrances et l’hôpital est « habituellement chargé de 250 malades, dont une centaine de militaires », un total supérieur aux 150 lits disponibles. À l’été 1795, la situation est alarmante et la misère se poursuit.
La loi du 7 octobre 1796 met fin à l’étatisme et confie la gestion des hôpitaux publics aux autorités communales [12]. Comme peu de biens ont été vendus, l’hôpital de Bourg retrouve en partie ses possessions. Des titres de rente lui sont accordés en compensation des soins aux soldats. L’administration de l’hôpital est précisée par le règlement du 16 mars 1801.
L’Empire succède à la Révolution et au Consulat. L’hôpital est alors sous la double tutelle de la municipalité et de la préfecture. Les guerres napoléoniennes amènent d’autres militaires et même des prisonniers [13] puis la double occupation autrichienne. Les années 1814-1817 sont aussi difficiles car les mauvaises récoltes entraînent des retards dans les fermages.
L’œuvre de l’hôpital se poursuit néanmoins avec une amélioration pour les malades en 1811 : une table de nuit est installée au pied de chaque lit. En 1828, dans les grandes salles, on remplace les poêles de faïence, que Léonard Racle fabriquait à Pont-de-Vaux [14], par des poêles en fonte. En 1831, l’expédition d’Alger provoque l’arrivée de nombreux soldats atteints de scorbut. L’autorité militaire exerce des pressions pour obtenir une proportion plus grande de lits mais la direction refuse et fixe à 32 la limite théorique. Des difficultés apparaissent aussi pour l’accueil des malades vénériens, notamment les "femmes de mauvaise vie".
Au cours de travaux de soudure, le 31 octobre 1843, le vent provoque l’incendie du dôme qui est restauré en 1844. En avril 1857, un fourneau est acquis pour la pharmacie.

D’autres religieuses

Dans le domaine de la pratique médicale, le Docteur Denis François Pacoud tente de créer un cours d’accouchement, en novembre 1804, mais la situation n’est guère propice à cause de la présence de nombreux soldats. Il renouvelle l’expérience en 1818 avant de la transférer ailleurs.
Les religieuses ont toujours géré l’hôpital avec zèle et dévouement mais elles montrent parfois de l’arrogance au point que le préfet Bossi, dans un courrier du 20 mars 1806, évoque leur esprit d’indépendance et même des propos désobligeants envers le Docteur Pacoud, ancien médecin militaire. Leur communauté de Saint-Augustin est confirmée le 18 novembre 1815 et Sœur Dorothée Chambard continue à diriger l’hôpital, malgré sa cécité, jusqu’à sa mort en août 1826, à l’âge de 95 ans.
Mais depuis le 10 mars 1824, la commission administrative a demandé au préfet de confier le service intérieur aux Sœurs Saint-Joseph, une congrégation qui se développe dans l’Ain, à l’initiative de l’évêché récemment réinstallé. Parmi les hospitalières en place, six acceptent d’intégrer la congrégation et trois refusent. En juillet 1824, l’évêque s’engage à fournir des sœurs en nombre suffisant et elles sont dix-huit en 1837, à côté de neuf employés laïcs. Une convention est signée le 4 décembre 1838, la congrégation Saint-Joseph s’engage à fournir douze religieuses, un total que le ministère de l’Intérieur porte le nombre à dix-huit, dans son approbation du 18 juin 1840.

D’une guerre à l’autre

Le Second Empire sombre dans la guerre franco-prussienne de 1870-1871 et l’ensemble de la Bresse est frappé par une violente épidémie de variole qu’auraient amenée des soldats transférés, de Mâcon à l’Hôtel-Dieu. En février 1871, les militaires occupent 214 lits et seuls 36 civils peuvent être accueillis [15]. Du personnel soignant est aussi victime de l’épidémie. Peu après, un insecte, le phylloxéra, détruit les vignobles durant les années 1878-1890 et l’hôpital perd son approvisionnement en vin et d’importants revenus.
La IIIe République, très laïque, succède au Second Empire, fermement catholique. L’obligation d’assister aux offices cesse pour les malades en 1881 et un seul aumônier officiera désormais pour l’Hôtel-Dieu et la Charité.
Une salle d’opération est créée en 1889 et un pharmacien diplômé est nommé à la pharmacie à partir d’août 1901. La question du personnel est difficile à traiter car certains souhaitent accentuer la laïcisation de l’hôpital et d’autres constatent que les 29 religieuses assument un travail pénible et que, chaque année, quelques-unes doivent être envoyées au repos, à la campagne. Les débats se poursuivent. En 1908, le projet de modernisation est ajourné par manque de moyens financiers.
Ce qui sera la Grande Guerre survient en août 1914 et, aussitôt, une organisation sanitaire se met en place avec l’apport d’infirmières bénévoles et le soutien de la population. L’Hôtel-Dieu devient un Hôpital mixte avec un rôle de régulateur pour la répartition des malades. Au moment de la Journée de l’Ain du 17 octobre 1915 en faveur des hôpitaux, Bourg-en-Bresse dispose de quatre hôpitaux et 945 lits [16].
L’hôpital est complété par des tentes Adrian pour accueillir davantage de blessés et malades. À l’automne 1918, comme ailleurs, la terrible Grippe espagnole sévit [17]. Les dernières victimes de 1919 sont de jeunes coloniaux de l’Afrique centrale, atteints de la tuberculose.

Une vue du boulevard de Brou pendant la Belle Époque. Carte expédiée par un soldat soigné à l’Hôtel-Dieu.

Encore une guerre...

Après cette guerre, le lavoir d’origine au bord de la Reyssouze, sous les salles des malades, est transformée en une buanderie en 1920. L’éclairage au gaz est progressivement remplacé par l’électricité et l’hôpital fait l’objet d’importants travaux de réaménagement au cours des années 1930-1931. Les salles des malades sont divisées.

La salle des femmes, vers 1930.
Une salle d’opération, vers 1935. Photographie extraite de La congrégation Saint-Joseph de Bourg. Paris. 1935.

L’hôpital demeure un remarquable bâtiment architectural et son apothicairerie est classée "Monument historique" le 13 juin 1925, la façade, l’escalier monumental et la chapelle, un peu plus tard, en 1947.
La Seconde Guerre mondiale est déjà passée et la Résistance a trouvé des complicités au sein du personnel médical et soignant de l’Hôtel-Dieu. La chaîne de solidarité commence alors à la prison où les suspects sont déclarés "malades" pour être envoyés à l’hôpital où ils peuvent être exfiltrés. Dès le 13 janvier 1943, un aviateur canadien, blessé un mois plus tôt à Marboz lors de la chute de son avion, "disparaît" ainsi discrètement, malgré une surveillance spéciale. D’autres évasions sont habilement organisées.

L’officine de l’apothicairerie dans les années 1950. Remarquer le parquet de type Versailles.
Des religieuses de Saint-Joseph à l’apothicairerie, vers 1947.
Une vue aérienne de l’Hôtel-Dieu dans les années 1960. La conciergerie, à l’entrée, a été édifiée en 1958.

Vers l’abandon de l’Hôtel-Dieu

Malgré tous les services rendus, l’Hôtel-Dieu ne répond plus aux exigences d’une médecine moderne. Au début des années 1950, un nouvel hôpital est envisagé à Fleyriat, commune de Viriat. Le nombre de lits varie en fonction de l’évolution du dossier : d’abord de 390 à 400, puis 250 en 1955, 350 en 1962, 642 en 1967 ou encore 737 en 1973, avec une première tranche de 379 lits. Le nouvel hôpital ouvre en février 1979 et l’Hôtel-Dieu, réaménagé, devient une résidence pour personnes âgées en mai 1990.
La superbe apothicairerie, délaissée vers 1963, a été préservée et elle sert parfois pour le dépôt de meubles anciens. Des visites régulières y sont organisées par l’Office de tourisme à partir de 1996, selon une convention signée avec le centre hospitalier de Fleyriat. Après un appel à dons, cet Office de tourisme engage une campagne de restauration des salles et des tableaux, au cours des années 2008-2009. C’est à cette occasion que la formule latine venite ad nos et sanabimus vos (venez à nous et nous vous soignerons) est découverte dans l’officine, en face de l’entrée du public, au-dessus de la porte conduisant à l’arrière-boutique. Tout un programme !

Au cours de la restauration de l’apothicairerie ; ici dans le laboratoire.
Le laboratoire avec, peut-être, le fourneau à plusieurs feux, acquis en 1857. L’évacuation des fumées s’effectue d’abord par le sol avant de rejoindre le conduit mural. Le tableau restauré, l’Annonciation, de Benoît Alhoste, est accroché sur le mur, à gauche.
La belle officine avec ses contenants aussi divers que variés dans leurs formes.
Des flacons avec leurs étiquettes manuscrites.
Un pot à thériaque, longtemps la panacée, fabriquée à base de chair de vipère, mélangée à de l’opium et à une multitude d’autres produits. Remarquer les serpents sur le couvercle et les anses torsadées.

Rémi Riche

D’après l’œuvre d’Eugène Dubois (1871-1952)

Autres chroniques en relation avec le sujet :
La Bresse et l’Ain au temps de Napoléon 1er
LA GRIPPE ESPAGNOLE EN BRESSE, EN 1918-1919

Ont collaboré à cette chronique : Claude Brichon, Maurice Brocard, Blandine Escoffier, Françoise Ferrand, Anne-Sophie Gomez, Mado Laplace, Michèle Laventure, Gyliane Millet, Arlette Morel, Françoise Routhier, Élisabeth Roux, Marie-Claude Vandembeusche.
Archives municipales de Bourg-en-Bresse.
Archives départementales de l’Ain.
Médiathèque É. & R. Vailland.

Bibliographie sommaire
DUBOIS Eugène. Histoire des Hospices de Bourg. Bourg. Imprimerie Berthod. 1932.
IMBERT Jean (sous la direction). Histoire des hôpitaux en France. Toulouse. Éditions Privat. 1982.
PINON Pierre. Pierre-Adrien Pâris architecte (1745-1819). Thèse de doctorat d’État. Université de Paris-Sorbonne. Paris IV. 1997.
Répertoire des fonds d’archives des hôpitaux de Bourg-en-Bresse. Élisabeth Roux et Blandine Corna. Archives municipales de Bourg-en-Bresse. 2011.

[1Monnaie royale d’environ 3,4 g d’or.

[2Cette situation perdurera et Louis XIV prendra un Édit contre les fainéants en 1700.

[3D’après Eugène Dubois. Voir bibliographie.

[4Eugène Dubois pour les citations. Voir bibliographie.

[5A.M. Bourg-en-Bresse. Hdépôt 4H38.

[6D’après Eugène Dubois. Voir bibliographie.

[7Mention accompagnant sa signature au bas d’un plan. A.M. Bourg. 1Fi939.

[8A. M. Bourg. Hdépôt 4E178. Voir la transcription intégrale, en annexe à cette chronique.

[9Pierre Pinon. Voir bibliographie.

[10Les documents sont conservés dans les dossiers Hdépôt 4E 176 à 188 des A.M. Bourg. Les artisans sont nommés dans le dossier 178.

[11Le calendrier révolutionnaire n’est pas repris dans cette chronique, pour une compréhension plus facile.

[12Cette loi du 16 vendémiaire an V institue le principe du maire, président du conseil d’administration de l’hôpital ; une tradition observée jusqu’en 2009. Cairn info.

[13Voir notre chronique La Bresse et l’Ain au temps de Napoléon 1er. Lien à la suite de cette chronique.

[14Il est aussi à l’origine du canal de Pont-de-Vaux à la Saône.

[15La gestion de cette surpopulation n’est pas précisée.

[16Voir l’étude, Soigner les poilus pendant la Grande Guerre, de Robert Philipot. Chroniques de Bresse n°7-2014. Document PDF à la suite de cette chronique.

[17Voir notre chronique 33 évoquant ce sujet. Lien à la suite de cette chronique.

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