L’Alouette des Gaules, Claudius Favier et Alain Mimoun à Bourg-en-Bresse
À Bourg-en-Bresse, l’Alouette des Gaules est l’un des clubs sportifs les plus anciens et l’un des plus emblématiques. Avec de multiples activités, son histoire s’écrit aussi à travers deux champions d’exception.
PREMIÈRE PARTIE : LES DÉBUTS
Les prémices
La chute du Second Empire constitue une rupture brutale dans l’histoire de la France. Par contrecoup et pour une hypothétique revanche, il constitue un point de départ de l’expansion des sports. Néanmoins, une directive lui est antérieure et elle émane du ministère de la Guerre où, de facultatif, « l’enseignement de l’escrime dans l’armée serait, désormais, obligatoire et gratuit [1] ».
C’est ainsi, qu’après la guerre franco-prussienne, Léon Chrétien, un militaire expérimenté, s’installe à Bourg et propose des cours d’escrime aux Bressans. Né à Limonest (Rhône), âgé de 45 ans, il a été maître d’armes au 12 e régiment de dragons (régiment de cavalerie), ce dernier faisant partie de l’Armée du Rhin qui a capitulé lors du siège de Metz (Moselle) fin octobre 1870.
Vers une Société d’escrime dès 1873
Peu après, Léon Chrétien se fixe au n° 8 du faubourg du Jura, où il crée « une école d’escrime fréquentée déjà par un bon nombre d’élèves. (…) Il donnera, le 2 juin [1872], un assaut d’armes au profit de la souscription nationale pour la libération du territoire ». Après d’autres démonstrations, il est écrit que « depuis l’arrivée de ce maître d’armes, des jeunes gens se sont réunis, des sociétés se sont formées pour apprendre l’escrime et se développer le corps par des exercices salutaires ». L’appellation Société d’escrime est employée, pour la première fois, en mars 1873, et elle est à nouveau citée lorsque « la salle du Bastion était trop étroite, dimanche dernier [18 mai 1873], pour recevoir toutes les personnes désireuses d’assister à la séance donnée par la Société d’escrime de Bourg. Cette jeune société, formée entre les élèves de M. Chrétien, a conquis, dès ses débuts, de nombreuses sympathies [2] ». Le Courrier de l’Ain évoque aussi « la jeune société d’escrime de notre ville », le 20 mai 1873, puis à nouveau le 12 août 1873, pour la remise des prix sous l’égide du président, M. du Puy. Ce dernier a succédé au fondateur, M. Riboud, désormais président d’honneur. Les statuts de cette Société d’escrime sont formalisés le 20 juin 1874. Ils prévoient deux assemblées générales annuelles (janvier et juillet) et une présidence "tournante" de six mois [3]. La Société d’escrime est totalement indépendante de la Société de tir, fondée avant-guerre.
Un contexte plus favorable
Le contexte devient ensuite plus favorable avec, d’une part, l’installation, à partir de l’automne 1873, du 23e régiment d’infanterie dans la caserne que la ville a récemment construite [4], et d’autre part, la création d’un poste de professeur de gymnastique à l’école communale de garçons, par le Conseil municipal du 6 mai 1874. Léon Chrétien y enseigne déjà car, au cours d’une visite à cette école, le maire et l’inspecteur d’académie assistent, « dans la cour, à des exercices de gymnastique exécutés par les élèves. Des assauts d’armes ont été livrés par plusieurs d’entre eux, sous la direction de M. Chrétien, maître d’armes [5].
À la Société d’escrime, Léon Chrétien est aidé par des prévôts du 23e régiment d’infanterie et, à ses cours privés, il ajoute de la gymnastique à partir de l’automne 1876. Ensuite, un arrêté du Ministère de l’Instruction publique du 5 décembre 1877 indique que « M. Mauren, pourvu du diplôme de maître de gymnastique, a été chargé de l’enseignement de la gymnastique et des exercices militaires au lycée de Bourg ». François Mauren exerçait auparavant dans un régiment à Saint-Étienne (Loire) et, au début de 1878, il annonce qu’il donne des leçons de gymnastique à son domicile, au n° 10 de la rue des Halles à Bourg [6].
La presse locale annonce divers assauts d’armes et emploie l’appellation Société d’escrime et de gymnastique à la suite d’une assemblée générale, le 16 juin 1878. La société est alors présidée par M. Verne. Léon Chrétien n’apparaît plus dans les communiqués, étant décédé le 23 février 1880, à l’âge de 54 ans.
En juin 1884, la Société de gymnastique de Bourg-en-Bresse participe au concours interrégional de Mâcon, en présence d’une foule considérable [7].
DEUXIÈME PARTIE : LOUIS PARANT ENTRE EN ACTION
Une erreur pour commencer
Un rien péremptoire, Louis Parant indique que la Société d’escrime, de gymnastique et d’instruction militaire de la ville de Bourg a été « fondée le 3 mars 1878 », dans le compte rendu d’une réunion du 31 mai 1888 [8]. Cette information inédite est erronée, au regard des informations publiées ci-dessus. En l’année 1878, Louis Parant était sans doute davantage à Lyon pour ses études de pharmacie que présent à Bourg à suivre l’actualité. En outre, à la date citée, la presse signale un nouvel "assaut" d’escrime à but caritatif mais sans plus d’information. Six ans plus tard, au début de 1884, Louis Parant crée une pharmacie, rue Alphonse Baudin, à Bourg [9]. Plus tard, en 1893, il situera la création de l’Alouette des Gaules « en 1872, à l’initiative de M. Arnaud, directeur de l’école communale [10] ».
Au moment où, en 1888, Louis Parant rédige le premier compte rendu cité, il est néanmoins impliqué dans la vie de la cité, depuis peu. En rupture avec l’idéologie nationaliste de la Ligue des Patriotes de Paul Déroulède, il fonde l’Union patriotique de l’Ain (U.P.A.) le 10 août 1887, « en dehors de tout esprit politique ». Il assume le secrétariat de la Société d’escrime et de gymnastique à partir de mars 1888 et il ajoute, à la dénomination de la société, les mots « et de préparation militaire ». Il est aussi élu au Conseil municipal de Bourg, lors du second tour du 13 mai 1888, sur la liste républicaine du futur maire Jean-Marie Verne.
L’Alouette des Gaules
L’Union patriotique de l’Ain a été initiée dans le but « de créer et d’encourager, par tous les moyens en son pouvoir, les sociétés de tir, de gymnastique, les bataillons scolaires et, en général, toutes les associations qui ont pour but de grouper les bonnes volontés et servent ainsi la patrie française. L’Union patriotique de l’Ain inscrit aussi, dans son programme, l’étude et les moyens propres à lutter contre la concurrence du commerce extérieur [11] ».
Dans un premier temps, son objectif est d’intégrer un maximum d’associations. Et c’est dans un compte rendu de l’U.P.A. qu’apparaît, pour la première fois, le 22 mars 1888, l’appellation Alouette des Gaules, accolée à la Société d’escrime et de gymnastique ; un texte rédigé par Louis Parant, secrétaire des deux sociétés [12] ».
Toujours à l’initiative de Louis Parant, l’Alouette des Gaules ajoute le tir à ses activités avec une première expérience au stand de Bourg en juin 1888 puis l’Union patriotique lui accorde « les fonds suffisants pour [lui] permettre de faire, annuellement et gratuitement, quatre concours de tir au Stand [de tir] [13] ».
Première fête et premier concours en 1888
L’Alouette des Gaules organise sa première fête gymnique le 1er juillet 1888 dans de déplorables conditions atmosphériques, mais les Quinconces, clos pour la circonstance, est très convenablement garni de public. Le programme est respecté avec « préliminaires d’ensemble [14], gymnastique aux anneaux, assauts de boxe, travail à la corde lisse et aux parallèles, pyramide, (…) [et] exercice de bâton par les ʺpupillesʺ de l’Alouette, qui marchent dignement sur la trace de leurs aînés ». Après un assaut d’escrime par des militaires, « la troisième et dernière partie de la fête s’est composée exclusivement des manœuvres de la compagnie des sapeurs-pompiers de Bourg ». La fête, animée par les musiques de l’Union bressane et du 23e régiment de ligne, a été une réussite en dégageant un bénéfice de 733 francs (825 F de recettes et 92 F de dépenses). L’article du Courrier de l’Ain du 3 juillet 1888 se termine par un hommage à Louis Parant, qui, « au zèle infatigable, a été l’âme de l’organisation ».
La somme recueillie permet à l’Alouette des Gaules de financer sa participation au concours d’Autun (Saône-et-Loire) des 20 et 21 juillet 1888, avec un arrêt au Creusot pour visiter les usines métallurgiques Schneider. À son retour à Bourg, « l’Union bressane, des représentants de la Société de tir et un nombreux public se sont rendus à la gare pour recevoir les vainqueurs qui ont été acclamés et auxquels de nombreux bouquets ont été offerts. Au vin d’honneur qui a été offert en gare, plusieurs allocutions très applaudies ont été prononcées ». À Autun, l’Alouette des Gaules a obtenu cinq prix collectifs et sept prix individuels [15].
En cette année 1888, l’Alouette des Gaules lance le projet d’élever un vaste gymnase sur un terrain proche du lycée, qui pourrait être utile à toutes les sociétés de la ville, aux œuvres de bienfaisance ou d’utilité publique. Le projet, examiné au Conseil municipal du 25 octobre 1888, n’est pas mené à son terme, malgré la création de deux commissions. Il sera relancé en 1895, sur un autre emplacement, sans plus de succès.
La fête fédérale du 7 mai 1893
À bientôt vingt ans, la société de gymnastique devenue l’Alouette des Gaules est particulièrement active, en 1892, avec une fête organisée au théâtre en février, une autre aux Quinconces en mai avec l’incorporation de jeunes filles dans les courses de cerceau [16], la participation à la fête nationale du 14 juillet avec une exhibition au théâtre (à cause du mauvais temps) et, le 6 novembre 1892, l’organisation du congrès pour la création de l’Union des sociétés de gymnastique de l’Ain. L’Alouette des Gaules se charge d’organiser la première fête fédérale.
Cette fête a lieu, à Bourg le 7 mai 1893, en présence des sociétés de l’Ain et d’autres, venues de Lyon, sur invitation. En réalité, elle débute dès la veille par des salves d’artillerie et « la retraite aux flambeaux, exécutée par l’Union bressane et les trompettes de l’Alouette des Gaules qui se produisaient pour la première fois en public ». Les divers concours, individuels ou collectifs, commencent dès six heures du matin et se terminent par un rassemblement au Champ de Mars pour « des exercices d’ensemble sous le commandement du moniteur de l’Alouette, Gauthier. Ces exercices d’ensemble qui, pour la première fois, étaient accomplis en musique, ont été merveilleux. (…) Avec ce fond de marronniers touffus et fleuris sous le soleil, le Champ de Mars apparaissait comme une immense scène lyrique en plein air. Les costumes rouges, blancs ou bleus des gymnastes ajoutaient à l’illusion. C’était un véritable champ de jeux olympiques ». Après un défilé final, un banquet est servi à l’Hôtel de France à six heures du soir. « La journée du 7 mai qui a réuni pour la première fois les jeunes gymnastes du département restera une date importante dans l’histoire des sociétés de gymnastique de l’Ain [17] ».
TROISIÈME PARTIE : À LA BELLE ÉPOQUE
Vers les Jeux olympiques de Paris en 1900
La seconde fête départementale a lieu à Gex le 5 août 1894. Au sein de la première division, où elle est classée, et pour les ensembles, l’Alouette des Gaules se classe première aux concours de section, d’escrime, des pyramides et de la course des pupilles. En individuel, Schmitter est deuxième des adultes et Dumas, Collet et Binda forment le podium des pupilles [18]. Le lendemain du concours, une excursion collective amène les athlètes au col de la Faucille.
Le concours départemental est organisé jusqu’en 1899, sauf en 1896 pour permettre aux sociétés de se rendre à celui de l’Union de France à Alger où l’Alouette envoie trois athlètes. À l’été 1900, des compétitions internationales sont organisées parallèlement à l’Exposition universelle de Paris et elles sont considérées comme les seconds Jeux olympiques, après ceux d’Athènes de 1896.
Le moniteur Albin Gauthier souhaite voir ces Jeux et il convainc son président, M. Montagnon, d’envoyer trois athlètes de l’Alouette des Gaules, à Paris pour le championnat de gymnastique du 29 juillet. Parmi plus de 260 concurrents et après les 16 épreuves, Jules Terrier, Alphonse Lacombe et Claudius Favier se classent au-delà de la centième place.
« Dans ce championnat ouvert à l’élite des gymnastes du monde entier, ils ont pu être classés tous les trois et en aussi bon rang qu’il était raisonnable de le demander à des jeunes gens qui font de la gymnastique à leurs moments perdus, en dehors des abondantes et lassantes occupations de leurs journées (...). Ce résultat est tout à l’honneur de ces braves jeunes gens, surtout si l’on sait que l’un de nos trois champions, le jeune Favier, était le moins âgé, et de beaucoup, de tous les concurrents [19] ». Le journal n’ose pas préciser que la naissance de Claudius Favier, alors âgé de 17 ans, a été avancée d’une année pour permettre sa participation.
Au regard d’aujourd’hui où les "Jeux de Paris 1900" sont désormais "validés", Jules Terrier, Alphonse Lacombe et Claudius Favier peuvent être considérés comme les premiers Burgiens à avoir participé à des Jeux olympiques. L’ironie de l’histoire est qu’ils n’en ont peut-être pas eu conscience sur le moment.
Un grand concours fédéral, à Bourg, en 1909
Du 14 au 16 août 1909, Bourg-en-Bresse accueille le 19e concours de la Fédération des sociétés de gymnastique du Rhône et du Sud-Est avec près de trois mille gymnastes venus de Suisse, de Gênes (Italie) et de 65 sociétés de gymnastique françaises, dont deux d’Alger. La ville est pavoisée, des tribunes sont installées sur le Champ de Mars, des trains supplémentaires sont créés, les défilés se succèdent de par la ville et les entrées sont estimées à plus de douze mille spectateurs. La fête est belle et honorée par la présence d’Albert Sarraut, sous-secrétaire d’État à la Guerre. À plusieurs reprises, les mouvements collectifs de l’ensemble des gymnastes sont dirigés par Albin Gauthier, le moniteur de l’Alouette des Gaules. Claudius Favier, son adjoint, encadre sa section et ne participe pas aux concours. Le Courrier de l’Ain du 18 août 1909 publie l’intégralité du palmarès d’un concours aux multiples épreuves de gymnastique, d’escrime, de boxe, de lutte ou encore de tir. Comme ailleurs, ces nombreuses récompenses s’expliquent par le fait qu’il était difficile de laisser repartir bredouilles des sociétés venues de loin.
Au final, ce concours est réussi sous tous ses aspects et il dégage un excédent financier qui permet à l’Alouette d’acquérir de nouveaux agrès.
Claudius Favier, champion de France en 1910
Au sein de l’Alouette des Gaules, Claudius Favier s’affirme rapidement comme le "leader" du groupe. À dix-huit ans, il est classé parmi les adultes et, dès le concours fédéral de Nice de 1901, il est le premier athlète de l’Alouette à être "couronné", c’est-à-dire à obtenir 85 % des points possibles. À son retour en gare de Bourg, l’Alouette est fêtée par tout un groupe de sympathisants et la délégation descend l’avenue jusqu’à l’Hôtel-de-ville où une réception est organisée. Et c’est Louis Parant qui renseigne Claudius Favier sur sa performance qui honore la société burgienne.
Le titre de champion de France est à sa portée mais il doit surmonter la variation des règlements d’une année à une autre, des jurys non impartiaux et des concurrents parfois irrespectueux des usages. Tous ces épisodes sont racontés dans ses mémoires [20]. En outre, il ne peut participer, en 1904, à cause des moyens financiers limités de sa société puis, en 1905, par son incorporation au service militaire dans le génie à Besançon.
Deuxième à Clermont-Ferrand en 1907, il est enfin champion de France, avec le maximum de points, à Saint-Quentin (Aisne) en juin 1910. Sans doute à dessein, l’inauguration du nouveau gymnase de la ville, derrière le Palais de justice, a été fixée juste après ces championnats, le 25 juin 1910. En présence des personnalités civiles et militaires de la ville, des principales sociétés burgiennes, le président de l’Alouette, Tony Belaysoud, remercie le maire pour « le beau local offert par la ville où enfin les jeunes gens trouvent de la place, de l’air et du soleil pour se livrer à leurs exercices. Il l’assure qu’en remerciement, l’Alouette des Gaules se fera un plaisir de mettre à la disposition des enfants des écoles communales son matériel au complet ». En l’honneur de sa performance, de son exemplarité et de sa modestie, il remet un bronze superbe, le Gaulois, à Claudius Favier qui reçoit « une chaude et longue ovation de la part de toute l’assistance mais plus particulièrement de ses camarades et élèves gymnastes [21] ».
Tunis en 1912, Nice en 1913
Pour le week-end de Pâques, au début du mois d’avril 1912, le concours de l’Union de France se déroule à Tunis. Les prix attractifs obtenus par les organisateurs pour le train et le bateau permettent à l’Alouette des Gaules de déplacer une forte délégation de gymnastes et d’accompagnateurs. Malgré des traversées compliquées, ce voyage laisse surtout d’agréables souvenirs aux Bressans. Claudius Favier termine second du concours, "tombé" à la lutte par un légionnaire [22].
En 1913, l’Alouette participe au concours de la Fédération du Sud-Est, à Nice. Claudius Favier gagne le concours avec la totalité des points. Au retour, il reçoit une lettre de remerciement de son président pour la conduite et la prestation de son groupe. En juillet 1914, il se classe second à Grenoble, quelques jours avant la déclaration de la guerre.
Il est à noter que l’escrime a pris son autonomie avant-guerre pour fonder le Cercle d’escrime de Bourg. Avant de tourner ces pages d’histoire, il est bon de rappeler qu’un champion de cette époque d’avant-guerre doit être précis sur les agrès de gymnastique, fort pour soulever les pierres, combatif à la lutte et souple dans les épreuves d’athlétisme. Dans chacune de ces catégories, les épreuves varient d’un lieu à un autre, d’une année à l’autre. Elles sont regroupées en championnat "athlétique" ou "artistique", parfois les deux, simultanément. On comprend que Claudius Favier ait pu parfois se sentir désavantagé par l’arbitrage.
QUATRIÈME PARTIE : L’ENTRE-DEUX-GUERRES
Repartir de zéro
Comme le pays, l’Alouette des Gaules sort meurtrie de la Grande Guerre [23] et elle a perdu ses principaux dirigeants. Ceux qui restent sollicitent alors Henri Villard, un mercier-grossiste, pour prendre la présidence de la société. Il s’entoure de nouveaux dirigeants et, par son engagement et son amour pour le sport, il se révèle rapidement un "grand" président.
Sur le plan sportif, il peut compter sur ses moniteurs "historiques" qui ont survécu à la guerre. Albin Gauthier était trop âgé pour être soldat. Claudius Favier a connu l’univers des tranchées, les dangers d’être agent de liaison à parcourir parfois des kilomètres et des kilomètres à vélo. Il "traverse" la guerre sans jamais connaître de blessure et sa conduite lui vaut d’être cité à l’ordre du corps d’armée, au début de 1918, une haute distinction. Il termine la guerre en Belgique, au bord de l’Escaut, lorsque l’armistice est sonné. Il est démobilisé le 1er mars 1919.
S’appuyant sur un groupe de pupilles toujours nombreux, les moniteurs les font rapidement progresser et l’Alouette des Gaules retrouve de nouvelles couleurs, surtout que le président fait adopter une nouvelle tenue à ses gymnastes : « un grand pantalon blanc, une ceinture verte et noire, un maillot blanc sans manche avec une alouette noire brodée sur le cœur et un chapeau de paille qui fut abandonné peu après parce que trop fragile et remplacé par un béret noir [24] ». L’Alouette des Gaules est l’une des premières sociétés de France à adopter le pantalon long.
L’hébertisme, par choix
Peut-être sous l’impulsion de son président, l’Alouette des Gaules adopte "l’hébertisme", une méthode d’éducation physique développée par un officier de marine, Georges Hébert (1875-1957) qui permet un développement harmonieux du corps par divers mouvements de gymnastique et d’athlétisme. Elle prône aussi un rapprochement avec la nature et elle est plus une philosophie de vie qu’un sport de compétition.
S’inspirant des exercices hébertistes, l’Alouette des Gaules crée un cross athlétique sur le stade de l’Union sportive de Bourg-en-Bresse (U.S.B.) en mai 1923. L’expérience sera renouvelée.
L’Alouette des Gaules diversifie ses activités et le Courrier de l’Ain évoque des matches de football-association, le football d’aujourd’hui. En outre, des adhérents souhaitent se consacrer davantage à la lutte et ils créent, durant les années 1920, une section de lutte qui s’illustrera dans les compétitions régionales.
Un stade pour l’Alouette
Plusieurs sociétés se concertent et se regroupent, en 1924, pour obtenir de la ville un nouveau stade, en plus de celui de l’U.S.B. Comme les démarches n’aboutissent pas, Henri Villard reprend l’idée pour le compte de sa société. Sur sa personne, pour une simplification administrative, il centralise les dons divers, souscrit lui-même pour une forte somme (peut-être près de cent mille francs) et reçoit de Louis Parant une somme de vingt-cinq mille francs. Il achète un vaste terrain à l’ouest de l’avenue de Rosière (actuelle avenue Maginot) et fait construire un vaste complexe sportif avec une piste d’athlétisme, des agrès de gymnastique et un pavillon contenant une salle de réunion et un logement pour un gardien.
Lorsque Pierre de Coubertin vient à Bourg, il est reçu par l’Alouette des Gaules, le dimanche 21 août 1927, et il visite le stade en cours d’aménagement [25]. Les travaux sont terminés au printemps de 1928 et le Journal de l’Ain publie quelques vues d’un album réalisé par le photographe burgien Émile Helgen [26].
Après le décès de Louis Parant en 1929, le stade prend son nom mais, pour Claudius Favier, « le stade porte le nom de Louis Parant mais, pour moi, c’est le "Stade Henri Villard" ». Ce dernier, président en exercice, a sans doute proposé cette appellation. La partie du terrain non utilisée est léguée à la ville pour l’aménagement d’un jardin d’enfants.
En 1933, le sculpteur lyonnais Alexandre Maspoli, haltérophile, ami de Claudius Favier, offre deux statues de pierre de belle facture, hautes de deux mètres. Auteur de monuments aux morts de la Grande Guerre, dont ceux d’Arcachon (Gironde) et de La-Côte-Saint-André (Isère), il obtient, en 1934, le Grand prix de la presse sportive pour son haltérophile [27].
Les compétiteurs de la société continuent à représenter dignement la ville dans divers concours, du départemental au national. Ces athlètes se nomment Blanc, Broutchoux, Dufreney, Lévrier, Murtin ou encore Vialet, ce dernier étant aussi moniteur.
CINQUIÈME PARTIE : UN JOUR, UN DESTIN
Un militaire au milieu des coureurs
Déclarée en septembre 1939, la nouvelle guerre se transforme en une cruelle défaite française en juin 1940. L’armistice signé, l’État Français est instauré en juillet 1940 et administré depuis Vichy. La vie reprend peu à peu en "zone libre" et les sports tentent de se réorganiser à Bourg-en-Bresse, comme ailleurs. L’Alouette des Gaules met son stade à la disposition des autres sociétés. Cette guerre met un coup d’arrêt à la carrière de jeunes athlètes burgiens prometteurs. En plus, le moniteur Claudius Favier, qui entraîne déjà les pompiers depuis l’après-guerre, est nommé "capitaine" de la compagnie de Bourg-en-Bresse. Il sera moins disponible.
À plusieurs reprises, le stade sert de cadre à des manifestations à la "gloire" d’un régime mettant à l’honneur l’athlète pour promouvoir sa "Révolution nationale". À la fin de l’été 1940, il voit les premières foulées d’un jeune télégraphiste marocain, Alain Mimoun, caserné à proximité [28]. Et c’est le président Henri Villard, toujours proche de ses sociétaires, qui va l’inviter à troquer ses grosses galoches contre des espadrilles et qui intervient aussitôt auprès des autorités militaires pour que ce soldat, néophyte en athlétisme mais « qui court drôlement bien », puisse s’entraîner régulièrement.
De cette rencontre fortuite naît un destin car, seize ans plus tard, le 1er décembre 1956, Alain Mimoun devient le champion olympique du marathon de Melbourne. Il raconte son épopée, de Bourg-en-Bresse à Melbourne, dans le magazine Sport & Vie dès janvier 1957 [29].
Une situation difficile
En octobre 1940, Pétain s’engage dans la voie de la collaboration avec l’ennemi. Cette situation n’est pas acceptée par des citoyens qui s’engagent dans la Résistance. Certains appartiennent à l’Alouette des Gaules et un lutteur, André Lévrier, né à Bourg-en-Bresse en 1916, devient le chef de l’Armée secrète du secteur de Bourg-en-Bresse [30].
Un autre athlète, Gabriel Murtin, dit Fil de fer, meurt électrocuté le 28 février 1941 en intervenant dans un poste de transformation près de Brou. Comme d’autres, il pratiquait le plongeon au sein du Club de Natation de Bourg et se livrait des exhibitions d’acrobatie, fort prisées du public de l’époque.
La guerre se poursuit jusqu’au 4 septembre 1944 dans l’Ain et se termine au 8 mai 1945. Les restrictions se poursuivent durant de longs mois et reconstruire le pays est la priorité. Ensuite, les sports retrouvent peu à peu leurs pratiquants. Le Stade Louis Parant est utilisé par des scolaires et divers clubs sportifs.
Au fil des décennies, les athlètes de l’Alouette des Gaules, que de nombreux jeunes fréquentent à leurs débuts sportifs, obtiennent d’autres podiums. La section des lutteurs se distingue particulièrement avec des titres de Champion de France de Jacky Bressoux, Franck Charbon, Mustapha Dib et autres [31]. Grâce à ses entraîneurs et dirigeants, l’Alouette des Gaules s’est maintenue à un haut niveau et reste une référence au sein de la ville de Bourg-en-Bresse. Une belle continuité de plus de 150 ans !
LE 23e R.I., un régiment dans la ville de Bourg-en-Bresse
Un bonus exceptionnel : l’Alouette des Gaules en démonstration
Nommé Vicaire à Viriat en 1944, Paul Poncin commence à tourner les "Actualités de Viriat" dès la fin de la seconde guerre mondiale.
Pendant deux ans il filme les célébrations, les événements heureux qui réaniment le village et ses habitants.
Dans ces "Actualités de Viriat", il est possible de voir des athlètes de l’Alouette des Gaules en démonstration, le 20 juillet 1947, à l’occasion d’un Gala artistique du Club Sportif de Viriat.
À voir sur le site de la Cinémathèque des Pays de Savoie et de l’Ain.
La séquence de Alouette des Gaules débute après 18 mn 55 sec... Les jeunes filles qui accompagnent les gymnastes sont de la Jeunesse laïque de Bourg-en-Bresse.
Information transmise par Marc Genessay de Viriat Patrimoine.
Rémi Riche
Chroniques complémentaires :
Claudius Favier, ma vie sportive à l’Alouette des Gaules
Alain Mimoun, de Bourg-en-Bresse 1940 à Melbourne 1956
Janvier 2024. Chronique rédigée avec la collaboration d’André Abbiateci, Claude Brichon, Maurice Brocard (†), Paul Drésin, Marc Genessay, Georges Lévrier (†), Roger Maître, Gyliane Millet, Mireille Perrier, Victor Venet (†).
Archives départementales de l’Ain.
Archives municipales de Bourg-en-Bresse.
Bibliothèque nationale de France (site Gallica).
Médiathèque Albert Camus de Bourg-en-Bresse.
Maison de la Culture et de la Citoyenneté à Bourg-en-Bresse.
Photos
[1] Journal de l’Ain du 10 janvier 1870.
[2] Journal de l’Ain des 8 mai et 14 août 1872, 21 mai 1873.
[3] A.D. Ain. BIB D 664-2.
[4] Voir notre chronique Le 23e R.I., un régiment dans la ville de Bourg-en-Bresse ; lien à la fin de celle-ci.
[5] Journal de l’Ain du 5 août 1874.
[6] Journal de l’Ain des 17 décembre 1877 et 18 janvier 1878. L’étude de la gymnastique est obligatoire dans les lycées depuis fin 1871.
[7] Courrier de l’Ain du 3 juin 1884.
[8] Publié dans le Courrier de l’Ain du 7 juin 1888.
[9] Publicité parue dans le Journal de l’Ain du 1er février 1884. Sa pharmacie sera ensuite déplacée dans la rue du Gouvernement, actuelle rue Victor Basch.
[10] A.D. Ain. D 664-1.
[11] Journal de l’Ain du 12 août 1887.
[12] Courrier de l’Ain du 22 mars 1888.
[13] Journal de l’Ain du 5 juin 1888.
[14] Exercices aux agrès.
[15] Courrier de l’Ain du 24 juillet 1888.
[16] Dans son édition du 24 mai 1892, le Courrier de l’Ain écrit : « Je soupçonne fort les organisateurs de cette fête d’obéir au mot d’ordre lancé par le dernier Congrès féministe ».
[17] Courrier de l’Ain du 9 mai 1893.
[18] Le Courrier de l’Ain du 7 août 1894 publie le palmarès complet.
[19] Courrier de l’Ain du 3 août 1900.
[20] Le texte intégral sera publié en février 2024, sur ce site.
[21] Courrier de l’Ain du 28 juin 1910.
[22] Voir ses souvenirs.
[23] Le "Livre d’or" de l’Alouette a été perdu.
[24] Témoignage de Claudius Favier. Le vert et le noir sont les couleurs du blason de la ville de Bourg-en-Bresse.
[25] Courrier de l’Ain du 25 août 1927.
[26] Un exemplaire est conservé aux A.D. Ain, cote 4M71.
[27] Courrier de l’Ain du 6 avril 1934.
[28] Son régiment est installé dans une usine désaffectée, située entre l’avenue Maginot et le cimetière.
[29] Son récit sera reproduit en intégralité sur ce site, en février 2024.
[30] Il meurt lors d’une mission de liaison le 12 juillet 1944 à Géovressiat, près d’Izernore.
[31] Voir le site internet actuel de l’Alouette des Gaules.